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vendredi 24 août 2007

La tête de Gassant mise à prix

Les sénateurs de la République viennent de se lancer dans un nouveau bras de fer avec le Pouvoir exécutif. Au cours d'une rencontre fort tard, hier soir, de la Commission Justice et Sécurité du Sénat avec le ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Me René Magloire, rencontre transformée en séance en dehors des normes et règlements internes de l'institution de l'avis de plusieurs sénateurs. Les Pères conscrits ont lancé un ultimatum de 24 heures au gouvernement de la République, l'enjoignant de procéder à la révocation pure et simple du commissaire du gouvernement près le tribunal de Première instance de Port-au-Prince.

Le ministre de la Justice et de la Sécurité publique a ainsi été convoqué par la Commission autour de l'incarcération de certains hommes d'affaires et de la poursuite d'autres pour leur implication présumée dans des activités contraires aux lois en vigueur. Dans la lettre d'invitation, les membres de la Commission auraient souhaité voir le ministre accompagné du commissaire du gouvernement de Port-au-Prince. Mais le commissaire Claudy Gassant a brillé par son absence au Sénat. Selon le ministre chargé des Relations entre l'Exécutif et le Parlement, Joseph Jasmin, qui intervenait sur les ondes ce matin, le commissaire avait motivé son absence à son ministre de tutelle. Il revenait de l'étranger et n'est pas encore entré en possession des dossiers.

Certains parlementaires ont exigé la présence du commissaire et se disaient prêts à passer toute la nuit au Sénat jusqu'à l'arrivée de "l'oiseau rare". C'est que de gros intérêts sont en jeu.

Inattendu, n'est-ce pas ?

Dans une résolution adoptée hier soir par le Sénat de la République, la tête du chef du parquet de Port-au-Prince est mise à prix. Les sénateurs de la République menacent de procéder à l'interpellation du chef du gouvernement si, d'ici ce jeudi au soir, le commissaire de Port-au-Prince est encore à son poste. Ainsi, jusqu'à la soirée de ce jeudi 23 août 2007, le gouvernement a l'alternative : passer le test d'interpellation ou assouvir la soif de ces élus de voir partir le chef de la poursuite dans la juridiction de Port-au-Prince.
Cet ultimatum surprenant est arrivé à un moment où plusieurs hommes d'affaires haïtiens sont dans le collimateur de la Justice pour leur implication présumée dans la contrebande, la corruption et/ou le trafic illicite de stupéfiants ou d'autres crimes financiers.

Entrée en matière

En effet, le PDG du journal Le Matin, Réginald Boulos, a répondu aujourd'hui à une invitation du commissaire du gouvernement pour son implication présumée dans la contrebande et la corruption. Homme d'affaires et détenteur de plusieurs entreprises, M. Boulos a été auditionné par le commissaire du gouvernement autour des soupçons dont il est l'objet. D'autres membres du secteur privé des affaires, dont la responsable de la compagnie Emex Import-Export S.A, Margareth Emeran, et celle de MGM Import-Export, Johanne Gornail, ont également été interrogés au parquet dans le cadre de cette lutte contre la corruption lancée par le gouvernement du Premier ministre Jacques-Edouard Alexis.
Depuis le vendredi 27 juillet en cours, David Brandt et Fritz Brandt, deux hommes d'affaires très connus en Haïti, ont été arrêtés et écroués au Pénitencier national pour « faux, usage de faux en documents bancaires, contrebande, corruption et association de malfaiteurs. » la décision de les incarcérer a été prise après leur audition par le commissaire du gouvernement.
Ce feuilleton d'arrestation d'hommes d'affaires avait débuté le 6 juin 2007 avec l'entrée en lice de Franck Ciné, PDG de la compagnie de téléphonie mobile Haïtel S.A. et ancien vice-président du Conseil d'Administration de la SOCABANK. M. Ciné est poursuivi « pour faux, usage de faux, association de malfaiteurs et escroquerie » suite à la faillite de cette institution bancaire. Dans les deux cas, l'instruction suit son cours.

Nouveaux rebondissements
C'est dans ce contexte que des sénateurs de la République se sont réunis pour exiger le renvoi du commissaire sous la menace d'une interpellation du chef du gouvernement. L'interpellation est une prérogative du Pouvoir législatif. Mais cette menace survient sous l'instigation de parlementaires intéressés, dont le sénateur Rudolph Boulos, frère de l'homme d'affaires Réginald Boulos. De quoi faire sortir de ses gonds le sénateur Yvon Bissereth qui dénonce « la défense des intérêts personnels de certains de ses pairs dans ce dossier. »
De l'avis du parlementaire du Sud, « le commissaire du gouvernement devrait être, au contraire, encouragé pour le travail qu'il effectue dans le cadre de la lutte lancée par le gouvernement contre les corrupteurs et les corrompus, les contrebandiers et les trafiquants de dogue de tous poils. » On se souvient de l'épisode de Franck Ciné au cours duquel des parlementaires avaient à peu près les mêmes attitudes. Fourvoyés dans l'erreur, ils avaient finalement retrouvé la raison en se rappelant le principe de la séparation des Pouvoirs tracé à la fois dans l'esprit et la lettre de la Constitution en ses articles 59 à 60-2.
En tout cas, entre le sénateur Anacacis qui dénonce les « vices de forme » qui entachent la procédure, le sénateur Séméphise Gilles qui, elle, prêche dans le désert en lançant « des appels à la raison et à la cohésion en vue de sauvegarder l'institution », le sénateur Yvon Bissereth qui, lui, ne voit que « la manifestation d'intérêts personnels et mesquins », d'une part, et Rudolph Boulos et Youri Latortue qui estiment que « le gouvernement doit faire preuve d'autorité et révoquer Gassant » d'autre part, il y a de quoi s'inquiéter.

A suivre...

Samuel BAUCICAUT
baucicaut@yahoo.fr
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=47654&PubDate=2007-08-24

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