Volontairement ou inconsciemment, nous vivons appendus et accrochés à l’actualité. Qu’elles nous concernent de près ou de loin, elles peuvent nous tomber dessus pour le meilleur et pour le pire.
Comme citoyen déraciné, inadapté, nostalgique et refusant catégoriquement l’assimilation, je vis les sens rivés sur l’actualité d’Haïti.
Comme on dit, ce n’est pas complètement anodin. Il y a des jours sans et des jours avec. Ce matin, une radio locale réalisait un entretien avec un hyper riche qui a lancé un appel à son gouvernement le suppliant de taxer un peu plus sa fortune. Pendant l’entretien, il a repris une phrase d’un lettré célèbre qui aurait dit que « si les inégalités sociales ne se réduisent pas de façon drastique et efficace, ce monde cessera d’être un monde civilisé »
Dans un monde libéralisé économiquement ou financièrement cette information n’aurait malheureusement sur moi aucun effet et ne revêtirait aucune importance. Mais automatiquement, mon logiciel le transfert, le traduit et le transpose dans le complexe contexte haïtien.
J’ouvre une parenthèse pour relater un fait vécu il y a un an lors d’un voyage humanitaire effectué l’année dernière. Ceci pour vous montrer que j’ai horreur que l’on rapporte tout à Haïti. Ce pays universel dans sa conception, genèse et naissance ne saurait loger des sentiments égocentristes. Haïti reste un patrimoine de l’humanité. Quoique l’on dise. Malgré l’indifférence idiote de ceux qui ont du mal à le comprendre et à agir en sa faveur.
J’avais bien entendu accompagné une mission d’une ONG qui s’occupe de plusieurs infrastructures hospitalo-universitaires haïtiennes. Malgré moi, je me suis vu entrain de fréquenter le restaurant le plus huppé actuellement dans les hauteurs de Pétion-Ville. Ce qui n’était pas pour me plaire. Je n’ai pu croquer une mangue ni déguster à la main un bon avocat. Ah se bon « sandwich » à l’avocat qui vous régale le palais, avec cette particularité de cette tranche d’avocat qui sort, expulsé comme une comète quand vous serrez entre vos dents les deux tranches de pain de mie !!!
Un jour, je me suis retrouvé occupant une table du fameux et sympathique hôtel OLOFFSON de Port-au-Prince. Devant une assiette de griot garni de pickliz assorti de bananes pesées, on discutait sur des sujets de l’heure, la reconstruction d’Haïti. Nous étions sept ou huit à table. A noter la présence de notre bonne amie Mademoiselle Monique RAFAEL qui «était aussi du déplacement.
A un moment de la durée, un des COOPERANTS, a fait comprendre qu’il était venu en mission pour observer Haïti dans le cadre du post modernisme car Haïti représentait l’exemple de tout ce qu’il ne fallait pas faire.
Je crois que j’ai été monté illico presto par l’esprit de Dessalines pour faire comprendre à ce coopérant de mes deux que nous en avions assez de voyeuristes qui ne se sont pas limités à nous observer en prenant leurs pieds mais qui ont osé faire semblant de nous aider en nous donnant de mauvais conseils.
Six mois après le 12 janvier, nous autres les haïtiens nous avions besoin de mieux que de voyeuristes incompétents hypocrites.
Bien entendu le COOPERANT s’est excusé en faisant un usage excessif du « bon usage ». Pour moi tout était clair. Je lui avais posé une certaine étiquette qui pour moi était devenue partie intégrante de sa propre essence. A tort peut-être mais bon, il l’avait cherché.
Revenons à nos moutons. Revenons sur le postulat idéaliste de la réduction des inégalités sociales pour conserver au monde un semblant de civilisation.
L’épisode du COOPERANT m’est revenu à la mémoire. Je me suis demandé si le comportement et l’attitude de la partie vulnérable de population haïtienne marqués par une dignité exacerbée, inexpliquée permettant la création de l’épithète et attribut RESILIENT ne seraient pas le reflet de la perte de ces valeurs universelles qui définissent et conceptualisent la CIVILISATION.
Selon le fils de la pensée, on arrive juste au moment ou il faut illustrer et renforcer les propos avec des cas spécifiques. Les exemples surabondent et sont visibles à l’œil nu et non avisé.
L’élite haïtienne par exemple contre la valeur solidarité, opposent une attitude marquée par un égocentrisme désinvolte. Elle construit des quartiers huppés pour s’éloigner de la crasse du centre ville. Au lieu d’exiger des conditions sanitaires et des infrastructures décentes, elle se prémunit de moyens lui permettant de patauger dans la boue immonde de l’insalubrité sans être éclaboussée. Au lieu d’exiger et d’investir dans l’établissement d’un système de santé correct, elle considère comme une police d’assurance, le fait de pouvoir se faire soigner à l’étranger. Haïti reste un fond de commerce intéressant. Juste un « lieu » avec des « gens » d’où l’on puise jusqu’à la dernière goutte, jusqu’au dernier souffle, l’ultime denier. Peut importe ou à qui importe l’avenir.
En dehors de ce contexte, en dehors des lignes ignobles de ces images, Haïti n’existe pas. Tout est programmé avec en ligne de mire la quête d’une sorte de concupiscence d’un groupe apposée en voyeuristes pervers contre les maigres élans de survie de cette majorité désœuvrée, abandonnée, ayant reçu de la vie que cette capacité de lutter contre les adversités et la mort à petit feu.
Dans le contexte haïtien comme dans les autres régions du monde abritant des pays au profil social similaire, l’élite n’est pas la seule frange à « battre sa coulpe ». Les représentants de ce qui est connu aujourd’hui comme communauté internationale qui en réalité regroupe les agents des systèmes prédominants s’allient ouvertement ou en sourdine à l’élite vernaculaire. Ainsi elle s’imprègne de cette insensibilité environnante. Elle fait mieux. Au lieu de chercher une relation de causes à effet, elle se réfugie derrière une fatalité dont elle ne partage aucune responsabilité.
En ce qui concerne la frange vulnérable de la population devenue résiliente, le fait d’accepter avec un stoïcisme morbide de vivre dans des conditions infrahumaines, dénote aussi un détour voire un déni de ces valeurs intrinsèques à la civilisation. Dans ce contexte, l’un de ces comportements que je qualifierais de carrément aberrant est la perte du respect de la vie humaine.
Je suis par erreur, doté d’une sensibilité à fleur de peau. Je suis incapable de voir de la violence gratuite. De la violence ciblée contre un individu tout court.
Il y a de ces très bons films qui me laissent un goût assez désagréable à travers certaines scènes présentant la violence de l’agresseur et l’angoisse de l’agressé. Je comprends assez mal comment un homme peut prendre un certain plaisir inconscient a frappé impunément une femme par exemple.
Certaines photographies ou certaines scènes ont la vertu de me gâcher une journée une semaine ou un mois en fonction de sa teneur en violence. J’ai encore en tête l’image d’un groupe d’individus brandissant des couteaux et des machettes derrière le corps calciné de Sylvio Claude. J’ai encore dans ma pensée cette image d’un homme amputant la main d’un autre à la machette. Je ne peux oublier cette image de la tête d’un haïtien gisant à coté de son corps après sa décapitation filmée par des gens en liesse. Aujourd’hui j’ai vu la photo d’un homme soulevant un énorme caillou destiné à réduire en bouillie le crâne d’un autre…
Tout pousse à croire que ces actes-là ne sauraient être acceptés par notre société dite civilisée. Donc les auteurs de ces actes ne sont pas civilisés.
Il en est de même pour ces compatriotes qui chez nous et en République Dominicaine tuent et découpent à la machette d’autres concitoyens.
Souvent nous expliquons ces comportements par le manque d’éducation. Les membres de notre société ne reçoivent pas tous la même éducation à cause de ces systèmes fondés sur l’inégalité.
Haïti, comme bien d’autres pays pauvres est déjà le théâtre de cette décadence de la civilisation.
Aujourd’hui plus que jamais les inégalités provoquent une situation qui risque d’être à la genèse d’une implosion de notre société qui poussera les êtres humains à avoir des comportements proches de ceux des animaux inférieurs.
JONAS JOLIVERT