Roland Léonard et Eunice Éliazar.
Le département du Sud-Est a toujours été retenu comme un immense grenier de talents artistiques, en arts plastiques, en littérature comme en musique. Ce dernier domaine a été maintes fois honoré par des célébrités inoubliables dans les champs populaires et savants. Citons : Cyriaque Archille Paris, dit « Ti-Paris », Vaille Rousseau, Hector Lominy, Hughes et Pierre Leroy, les jazzmen Lionel Volel, Edgard Depestre et Buyu Ambroise, sans compter d’autres noms d’illustres devanciers que nous n’avons plus en mémoire.
La relève est permanente dans cette région du pays. Côté jazz, on peut compter aujourd’hui sur des jeunes, très doués, enthousiastes et dynamiques au brillant avenir. Ils sont presque tous, à l’exception de quelques autodidactes, issus de l’école Dessaix Baptiste et du grand ensemble de jazz de Jacmel, dirigé par Pierre Leroy. Le jeune bassiste Richecard Ciné est du nombre.
Ce dernier a reçu par ailleurs des formations en éducation musicale des enfants et en technique de jazz, en République dominicaine, avec des moniteurs comme Mario Canonge, David Sanchez et le saxophoniste américain Marco Pignatao, directeur de la célèbre Berklee school of Boston.
De retour à Jacmel, il a fondé le Richecard Ciné quartet et créé le festival de jazz de cette ville. Nous avons eu le bonheur en compagnie de la journaliste Eunice Eliazar et du photographe Casimir Veillard d’assister, en After-hour à son concert « en boîte » au Café 36, Pétion-Ville, rue Clerveaux. Le Richecard Ciné, 29 ans : basse et leader ; Shalomson Lamy, 22 ans : sax alto et soprano ; Jacky Polycarpe, 31 ans : piano électrique « Roland » ; Ronald Sanon, 31 ans : batterie. Ils sont tous jacméliens, souvenons-nous-en.
Notre consœur Eunice Eliazar nous livre ses impressions et son appréciation de la soirée.
Symbiose. En voilà un mot pour nommer cette soirée captivante au PaPJazz 2020. Des mélodies traitées avec pondération et jazzistique, sur des rythmes haïtiens ou caraïbes, ont permis une synchronisation aux couleurs du moment. En effet, Richecard et son groupe, tous des jeunes jacméliens, ont ouvert au Café 36 l’élégance du dire, de jouer et l’alternance des lumières, tel un jeu en mouvement.
Pour la 14e édition du festival international de jazz en Haïti, Jacky Polycarpe, au piano électrique lors de ce spectacle, a enrichi le sens de la beauté, de l’harmonie auditive et de l’érotisme latent. C'était le meilleur élément pour donner un vrai sens, en des termes artistiques, à cette représentation. Des airs connus et célèbres en version spéciale de ballade, comme YoYo, le Rara de Melvin Butler et une version instrumentale de la fameuse chanson de John Lennon, « Imagine », ont servi de tremplin aux développements, paraphrases improvisées des solistes.
À une époque où les jazzmen sont de plus en plus sur scène, il peut sembler que le fossé qui sépare les amateurs de jazz des érudits est comblé. Toutefois, il n’est pas de mauvais augure de se demander si cette forme de récupération élitiste du jazz, pour ne pas dire cette forme bourgeoise, ne constitue pas l’ossature de cette nouvelle influence qui amène des amateurs curieux des pratiques culturelles à consommer une telle variété musicale.
Avec communion, malgré la délicatesse de notre supputation, le jazz ne reste plus aujourd’hui là où il était avec les artistes qui se passent de présentation, comme : Miles Davis, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Louis Armstrong et peut-être également Billie Holiday. Passation de flambeau ou nouvelle génération pour récupérer et conserver ce style de musique né au début du XXe siècle aux États-Unis, aujourd’hui, la nécessité d’avoir une éthique de la connaissance s’y mêlent à l’hi
stoire du jazz. En tout cas, il y a les festivals, les savants et les théoriciens pour inventer les normes, ne serait-ce que pour assurer la prolifération de ce croisement musical. Voyons le bon côté des choses.
Ambiance
Le cadre de la grande salle du restaurant, au Café 36, est beau à voir : celle-ci s'apparente à une longue « tonnelle » ou
« choucoune », étirée de l’est à l’ouest, avec les solives supportant son toit en tôles et à angles, à deux versants comme un livre ouvert et en chapeau. Il y a les lumières du plafond, les tables et fauteuils. Une scène à l’ouest est à la disposition des musiciens, de leurs instruments, « amplis » et micros. La sono et ses musiciens sont à l’arrière, au fond et à l’est.
Le Richecard Ciné quartet nous propose un concert en trois « sets » de vingt minutes, et de trois morceaux chacun.
Le premier set commence par une version « kata » et un peu « biguine » de « New Morning », composition du groupe « Yellow Jacket ». On apprécie l’exposition en appels et réponses du sax, des claviers et de la basse, les improvisations du saxophone alto et de la basse électrique. On peut citer ensuite : le thème-contredanse « premye a » présenté a l’unisson par le saxophone soprano et la basse, supporté par les accords discrets du piano, commenté par le saxophoniste ; un morceau de salsa, de latin-jazz, « Thevens minor » arrangement d’une composition à un cousin de Richecard. Ces canevas sont bien développés par les solistes.
Le deuxième « set » est plus enthousiasmant par ses audaces : un arrangement de « Yoyo », en
ballade 4/4, tr
ès lente, très originale par ses équivoques de mesures, ses beaux accords introductifs du piano lyrique dans le solo, son improvisation de la « Carotte » ou sax soprano ; un rara très entrainant et qui vous met la ceinture en mouvement et en feu, par l’imitation de nos « vaccines » obstinées, composition du saxophoniste américain Melvin Butler développée au sax alto avec brio ; un morceau au rythme latin, version de « Yes or No » de Wayne Shorter.
ès lente, très originale par ses équivoques de mesures, ses beaux accords introductifs du piano lyrique dans le solo, son improvisation de la « Carotte » ou sax soprano ; un rara très entrainant et qui vous met la ceinture en mouvement et en feu, par l’imitation de nos « vaccines » obstinées, composition du saxophoniste américain Melvin Butler développée au sax alto avec brio ; un morceau au rythme latin, version de « Yes or No » de Wayne Shorter.
On retient du troisième « set » une sympathique version ballade et pop-jazz de « Imagine » de John Lennon, avec le sax-soprano en vedette ; une salsa « Nothing serious » où participe un joueur de congas, bénévole, présent comme par bonheur sur les lieux (c’est un « jam » ou le nouveau venu s’exprime bien en solo) ; un dernier morceau de « rara » version du titre « Yellow Jacket ».
De bons improvisateurs, pleins d’avenir.
Courage, passion et persévérance !
Auteurs: Roland Léonard
Eunice Éliazar
Soiurce: https://lenouvelliste.com/article/211459/le-vent-frais-et-aromatise-de-jacmel