Qu'il s'agisse de l'intérêt du chercheur pour l'ethnobotanisme ou de l'enthousiasme tenace derrières ses idéologies politiques, Roumain reste multiple et se livre difficilement. Celui qui est mort à 37 ans de cyrrhose de foie ne s'est pas laissé enregimenté par le « déterminisme social », souligne madame Michèle Pierre-Louis.
jeudi 15 février 2007. Nous sommes arrivés à la salle polyvalente de Fondasyon Konesans ak Libète (FOKAL) au moment où l'on projetait sur un grand écran des images en noir et blanc de Jacques Roumain. Ces dernières frappent l'attention de l'assistance aussi bien par le raffinement élégant du romancier que par l'évocation des moments importants de la vie de l'homme. Son enfance, sa présence à côté de sa femme, son voyage à Cuba et une image inédite « Roumain sportif » comme l'aurait aimé Albert Camus sur une plage d'Alger...
Nous n'avons pas eu la chance d'entendre la présentation de madame Michèle D. Pierre-Louis sur Jacques Roumain, le
Bref ! Un film de souvenirs en sépia qui traduit aussi la vie haïtienne au moment où les grandes technologies informatiques n'avaient pas encore envahi l'existence des foyers antillais. Dans la posture libertaire et la modernité des gestes, il y a des ressemblances étonnantes entre le romancier de « L'Etranger » et l'écrivain de « Gouverneurs de la rosée ». On n'a qu'à voir cette cigarette tenue entre deux doigts évoquant aussi bien la mode existentialiste qu'un mal-être athée. La fumée n'arrive pas à cacher l'angoisse humaine en dépit du côté snob de la pause ! De Sartre (la pipe) à Camus, la nicotine a cohabité avec la pensée existentialiste.
Nous présumons que Michèle D. Pierre-Louis ne s'est pas trop attardée sur les aspects des archives familiales d'un écrivain dont on ne cesse d'explorer les conceptions politiques. Pour avoir été le premier à fonder un parti communiste dans un pays à l'économie dominée par une oligarchie foncière et dans le contexte international d'un plan Marshall qui s'étend dans son agressive splendeur, Jacques Roumain-idéologue fascine mieux que le créateur du personnage Manuel.
Les questions posées à la conférencière désignent ce choix. Michèle D. Pierre-Louis s'est rendu compte que le portrait physique fixé par la caméra ou décrit par la biographie était secondaire par rapport à la priorité de l'idéal communiste de Roumain. On cherche un modèle, un repère dans une conjoncture de désarroi et de confusion. Comment actualiser Roumain ? C'est la question principale qui résume tout le débat qui a suivi la présentation.
Madame Pierre-Louis pense que Roumain, dans le curriculum du secondaire, devrait être étudié. Mais combien de justes pensées l'enseignement officiel haïtien n'a-t-il pas récupéré suivant les normes dominantes ? Bien connaître Roumain ne passe pas exclusivement par les manuels de littérature haïtienne.
« Il faut lire Roumain, car ses convictions, souligne Michèle D. Pierre-Louis, ne sont pas nées du hasard ! ». La directrice de la FOKAL argumente autour du fait que les élèves d'un collège en Martinique connaissent mieux Roumain que ceux du lycée de Gros-Morne qui porte le nom de l'écrivain. Le problème reste entier tant qu'on ne s'efforce pas à voir le village Fond-Rouge, comme une annonce fatale des désarticulations de notre époque troublée.
Qu'il s'agisse de l'intérêt du chercheur pour l'ethnobotanisme ou de l'enthousiasme tenace derrières ses idéologies politiques, Roumain reste multiple et se livre difficilement. Celui qui est mort à 37 ans de cyrrhose de foie ne s'est pas laissé enregimenté par le « déterminisme social », souligne madame Michèle Pierre-Louis. Il avait la liberté de choix, en dépit du fait que Roumain, reconnaît la conférencière, « caricature un peu la paysannerie haïtienne ».
Jacques Roumain et Mussolini
Le débat a failli tomber dans les réductionnismes idéologiques quand l'architecte Didier Dominique a considéré comme « secondaire » la problématique de l'affrontement entre Manuel et Gervilien. Pour cet adepte du matérialisme dialectique pur et dur, il y a un « traitement autonome » qui est fait sur la question de la quête de l'eau. Cette dernière serait récupérée par les forces dominantes... Un peu jdanovien sur les bords, Didier Dominique, dont il faut reconnaître le courage de ne pas se laisser influencer par les sirènes des théories révisionnistes, applaudit toutefois au nationalisme du romancier quand il avait écrit à « Monsieur Mullet » de son époque pour lui dire que « le nègre Jacques Roumain ne daigne pas fréquenter les blancs ». Sauf que Mullet 2007 est un guatémaltèque. Autre temps, autre stratégie !
Après avoir démontré que Jacques Roumain était « le favori de sa mère », d'où la part belle faite à la femme dans Gouverneurs de la Rosée, madame Pierre-Lopuis affirme que « c'est une chose dramatique que les jeunes sortent de l'école sans rien savoir de Roumain et d'Alexis ».
A l'importante question d'Elisabeth Pierre-Louis au sujet de la fascination du fascisme chez des écrivains de l'époque, la conférencière répond que le duce séduisait le romancier par sa théorie d'exploit physique et de force de dépassement nietzschéen, mais cet engouement fut de courte durée. Le désenchantement fasciste laissait la place à un nationalisme qui avouait ces errements mussoliniens.
Face à la question d'un participant qui propose de s'inscrire dans le combat marxiste, Michèle Piere-Louis souligne que les choses changent de nature et que la situation haïtienne, fragilisée par divers facteurs, ne peut être simplement appréhendée par « la vulgate marxiste » ou les effets de mode du progressisme.
Nous espérons avoir le texte de présentation de Michèle Pierre-Louis pour une analyse plus approfondie.
Pierre Clitandre Source Le Nouvelliste sur http://www.lenouvelliste.com
….Madame Pierre-Lopuis affirme que « c'est une chose dramatique que les jeunes sortent de l'école sans rien savoir de Roumain et d'Alexis ».C’est là une question primordiale que formule la conférencière. On pourrait la prolonger et l’étendre à un univers encore plus ample et plus large. Que savent les enfants haïtiens dans leurs bagages quand ils sortent de l’école de nos jours ? Le système éducatif en Haïti devrait déjà faire l’objet d’un vaste débat pour déboucher sans tarder à un vaste chantier à travers lequel des grands axes seraient identifiés et feraient l’objet d’une attention intensive afin de redresser la barre en essayant de sauver ce qui peut l’être encore.
Comme dans tous les domaines en Haïti, il est difficile de dire sans se tromper à partir de quand les choses ont commencé à dégringoler pour arriver au plus profond de l’abîme ou elles accompagnent l’âme et l’essence de la nation souffrante. On serait cependant tenter de croire qu’après 1986 – sans vouloir glorifier les détenteurs de la chose publique de l’époque ni regretter les évènements qui ont créé l’après 1986 – la grande année des acquis sociaux pour certains : démocratie à gogo, liberté gratis ti chéri, le fameux slogan, et le fameux slogan « tout moun se moun » qui a vu le jour, dans un contexte et une logique d’absence de vison et de méconnaissance généralisée primaires des vraies tares de notre société, celle-ci a du supporter malgré elle et bien à son insu les affres d’un nivellement par le bas orchestré à dessein.
Nous avons ainsi côtoyé sur les bancs de certaines facultés des étudiants dont le niveau se jaugeait assez proche de la première année de nos classes humanitaires d’antan. Un grand travail doit être entrepris immédiatement.
D’un autre point de vue, nous avons lu Jacques Stéphen Alexis (Compère Général Soleil, Le Romancier des étoiles, l’espace d’un cillement) après notre départ d’Haïti. Dans cette liste d’auteurs haïtiens dont nous avons palpée et pénétré l’univers étincelant de leurs talents se situe par exemple Monsieur René Depestre. Pour augurer un élément d’explication il suffit de rappeler que le premier chef d’œuvre de cet illustre écrivain que j’ai eu l’honneur de lire a été le Mat de Cocagne, une vraie satire du gouvernement de Duvalier.
En effet, la génération des jeunes qui ont vécu pendant la dictature macoutiste, n’a pas eu accès à ces grands écrivains dont l’œuvre était carrément proscrite. Les pages transcrites dans les traités de littérature en particulier Le manuel co-écrit par le Docteur PRADEL POMPILUS, malgré ses qualités didactiques ne suffisaient point pour dévoiler au grand public l’étendue et la profondeur des idéologies véhiculées et l’ampleur de la pensée passées en revue dans l’ensemble des œuvres de ces écrivains.
Finalement, nous avons lu gouverneurs de la rosée de Jacques ROUMAIN, nous avons aussi vu l’adaptation cinématographique mais peut on comprendre un Jacques ROUMAIN quand on a 17 ans ? (Decky Lakyel 25/02/07)