En octobre 2008, environ deux mois après le passage du dernier des cyclones ayant ravagé le pays cette année-là, une petite localité obscure du département du Sud-Est défrayait la chronique. La situation dramatique dans laquelle vivaient ses habitants a, en dépit des multiples désastres enregistrés un peu partout dans le pays, retenu l'attention des médias, des autorités gouvernementales, des ONG et de la population. Des enfants mourraient de malnutrition. Ainsi que le disait Haitian Press Network, « Une soixantaine d'enfants de Baie d'orange souffrant de malnutrition aiguë sont actuellement pris en charge par "Médecins du monde Canada". Dans cette petite localité du Sud-Est, 26 enfants sont déjà morts de faim ». Que s'est-il donc passé ?
Le 21 décembre 2008, pour donner suite à une invitation faite au quotidien Le Nouvelliste par l'organisation caritative Save The Children, je me suis rendu à Baie d'orange, une localité du Sud-Est, dépendant de la commune de Belle-Anse, qui se trouve seulement à quelques kilomètres de Seguin et du parc La Visite. Ce que j'y ai découvert ne correspond pas du tout à l'image de désolation à laquelle on pourrait s'attendre après toute la médiatisation faite autour d'une catastrophe humanitaire dans cette communauté.
Quand on a écouté les reportages radiodiffusés et qu'on a lu les articles écrits sur la situation désespérée de la population affamée de Baie d'Orange, il est normal d'avoir des idées préconçues sur l'environnement dans lequel vivent les victimes. Cliché ou pas, l'idée de famine ramène, on ne sait trop pourquoi, presque irrémédiablement à une vision de désert, d'arbres morts, d'animaux chétifs ou moribonds. Or, à baie d'orange, on est loin de cette vision infernale. Bien au contraire, on a l'impression d'entrer dans un véritable paradis qui, quoiqu'un peu déplumé, que dis-je? déboisé, n'en est pas moins agréable et accueillant en dépit d'une température qui a de quoi décourager les plus frileux.
On a beau chercher, on ne voit rien, en dehors de la misère, qui pourrait justifier la famine dans un endroit pareil. Or la misère, dans notre beau pays, elle est partout. Pourquoi, alors, ce qui se passe à Baie d'orange n'arrive pas ailleurs ? Et pourquoi les enfants meurent-ils de malnutrition en si grand nombre ici et pas ailleurs ?
Arrivé sur les lieux en plein rassemblement (la population se préparait à participer à une fête organisée par Save The Chidren à l'occasion de la Noël), j'ai pu me faire une idée de l'état physique de la majorité des enfants présents. Il n'est pas besoin d'être médecin pour réaliser que nombre d'entre eux souffraient de malnutrition à des niveaux différents. La situation avait, semble-t-il, évolué depuis que les autorités gouvernementales étaient intervenues dans la zone avec l'aide du PAM (Programme Alimentaire Mondial) et des organisations partenaires de la MINUSTAH et de "Médecins du monde Canada". De plus, de nombreux enfants, les plus malades, avaient été évacués vers des centres hospitaliers pour y recevoir les soins que réclamait leur état de santé.L'amélioration de la situation n'empêche pas de se poser des questions, lesquelles ne sont pas forcément pertinentes. Y a-t-il vraiment eu famine à Baie d'Orange ? Et pourquoi ? D'un autre côté, les cas de malnutrition, souvent sévères, enregistrés et incontestables découlent-ils de la famine? car il convient de faire la différence entre malnutrition et famine.
Si la famine est caractérisée par la privation ou un manque, en termes de quantité, de nourriture dans un espace donné pour une période assez longue, la malnutrition est plutôt liée à la qualité de la nourriture consommée, à son apport nutritionnel. Une nourriture qui ne fournit pas l'ensemble des éléments nécessaires à la santé (protéines, lipides, sucres, acides gras, fibres, vitamines, minéraux traces, etc.), consommée sur une longue période de temps provoque cet état pathologique que l'on appelle la malnutrition.
Le 21 décembre 2008, pour donner suite à une invitation faite au quotidien Le Nouvelliste par l'organisation caritative Save The Children, je me suis rendu à Baie d'orange, une localité du Sud-Est, dépendant de la commune de Belle-Anse, qui se trouve seulement à quelques kilomètres de Seguin et du parc La Visite. Ce que j'y ai découvert ne correspond pas du tout à l'image de désolation à laquelle on pourrait s'attendre après toute la médiatisation faite autour d'une catastrophe humanitaire dans cette communauté.
Quand on a écouté les reportages radiodiffusés et qu'on a lu les articles écrits sur la situation désespérée de la population affamée de Baie d'Orange, il est normal d'avoir des idées préconçues sur l'environnement dans lequel vivent les victimes. Cliché ou pas, l'idée de famine ramène, on ne sait trop pourquoi, presque irrémédiablement à une vision de désert, d'arbres morts, d'animaux chétifs ou moribonds. Or, à baie d'orange, on est loin de cette vision infernale. Bien au contraire, on a l'impression d'entrer dans un véritable paradis qui, quoiqu'un peu déplumé, que dis-je? déboisé, n'en est pas moins agréable et accueillant en dépit d'une température qui a de quoi décourager les plus frileux.
On a beau chercher, on ne voit rien, en dehors de la misère, qui pourrait justifier la famine dans un endroit pareil. Or la misère, dans notre beau pays, elle est partout. Pourquoi, alors, ce qui se passe à Baie d'orange n'arrive pas ailleurs ? Et pourquoi les enfants meurent-ils de malnutrition en si grand nombre ici et pas ailleurs ?
Arrivé sur les lieux en plein rassemblement (la population se préparait à participer à une fête organisée par Save The Chidren à l'occasion de la Noël), j'ai pu me faire une idée de l'état physique de la majorité des enfants présents. Il n'est pas besoin d'être médecin pour réaliser que nombre d'entre eux souffraient de malnutrition à des niveaux différents. La situation avait, semble-t-il, évolué depuis que les autorités gouvernementales étaient intervenues dans la zone avec l'aide du PAM (Programme Alimentaire Mondial) et des organisations partenaires de la MINUSTAH et de "Médecins du monde Canada". De plus, de nombreux enfants, les plus malades, avaient été évacués vers des centres hospitaliers pour y recevoir les soins que réclamait leur état de santé.L'amélioration de la situation n'empêche pas de se poser des questions, lesquelles ne sont pas forcément pertinentes. Y a-t-il vraiment eu famine à Baie d'Orange ? Et pourquoi ? D'un autre côté, les cas de malnutrition, souvent sévères, enregistrés et incontestables découlent-ils de la famine? car il convient de faire la différence entre malnutrition et famine.
Si la famine est caractérisée par la privation ou un manque, en termes de quantité, de nourriture dans un espace donné pour une période assez longue, la malnutrition est plutôt liée à la qualité de la nourriture consommée, à son apport nutritionnel. Une nourriture qui ne fournit pas l'ensemble des éléments nécessaires à la santé (protéines, lipides, sucres, acides gras, fibres, vitamines, minéraux traces, etc.), consommée sur une longue période de temps provoque cet état pathologique que l'on appelle la malnutrition.
Notons, en passant, qu'un apport excessif de certains nutriments, comme les graisses, les protéines et les sucres ainsi qu'un régime déséquilibré peuvent également provoquer la malnutrition. Ce qui implique que cette maladie n'est pas liée à la famine.
L'infirmière nutritionniste, affectée dans le département du Sud-Est par Save The Children, a mis l'accent sur le régime déséquilibré des enfants de Baie d'Orange tout en ne réfutant pas la réalité du manque de nourriture. Par ailleurs, elle a souligné le fait que les habitudes alimentaires régionales peuvent avoir des effets extrêmement négatifs sur la santé des habitants, en particulier sur celle des enfants qui sont plus fragiles. Ce que nous a confirmé le docteur Daniel Charles de Profamil. Pour preuve, dit-il, il est difficile d'imaginer le taux élevé de personnes atteintes de malnutrition dans le département de la Grand'Anse, une zone pourtant considérée comme l'un des greniers du pays. Cette situation découlerait du mode d'alimentation des Grand'Anselais basé sur la consommation d'aliments énergétiques (sucres), les fruits de l'arbre véritable en particulier et les produits vivriers occupant une place prépondérante dans leur régime alimentaire.
Dans ce cas bien précis, la malnutrition serait donc le résultat d'un manque d'information et/ou de formation; l'individu, ne sachant comment bien se nourrir, confond alimentation suffisante et alimentation équilibrée. Malheureusement pour lui, la quantité n'est pas la qualité. Voilà qui justifierait grandement un programme d'éducation alimentaire, et pour ceux qui souffrent de malnutrition, et pour les soi-disant « bien portants ».
A Baie d'Orange, où la famine n'aurait jamais dû exister, la terre, apparemment riche, est, pour une raison ou pour une autre, abandonnée, les caféiers sont infectés par un parasite qui fait des ravages et les cultivateurs ne bénéficient pas, selon leurs dires, de l'assistance du ministère de l'Agriculture. Ce n'est que récemment qu'un agronome a été affecté à la zone par Save The Children. De nombreux agriculteurs désertent la région pour aller travailler en République dominicaine, ce qui affaiblit la force de travail. L'intervention du ministère de l'Agriculture serait des plus nécessaires et urgentes pour une exploitation rationnelle des ressources de la localité au moment où l'on parle de relance de l'agriculture et d'autosuffisance alimentaire. Baie d'Orange n'est pas un cas isolé, il y en a d'autres. Sa situation n'est que le résultat de son isolement, conséquence prévisible d'une politique de centralisation à outrance. Il n'est que d'espérer que la décentralisation tant attendue devienne un jour une réalité afin que le « pays en dehors » puisse aspirer à un certain développement et sortir enfin de la misère.
Patrice-Manuel Lerebours
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=66003
L'infirmière nutritionniste, affectée dans le département du Sud-Est par Save The Children, a mis l'accent sur le régime déséquilibré des enfants de Baie d'Orange tout en ne réfutant pas la réalité du manque de nourriture. Par ailleurs, elle a souligné le fait que les habitudes alimentaires régionales peuvent avoir des effets extrêmement négatifs sur la santé des habitants, en particulier sur celle des enfants qui sont plus fragiles. Ce que nous a confirmé le docteur Daniel Charles de Profamil. Pour preuve, dit-il, il est difficile d'imaginer le taux élevé de personnes atteintes de malnutrition dans le département de la Grand'Anse, une zone pourtant considérée comme l'un des greniers du pays. Cette situation découlerait du mode d'alimentation des Grand'Anselais basé sur la consommation d'aliments énergétiques (sucres), les fruits de l'arbre véritable en particulier et les produits vivriers occupant une place prépondérante dans leur régime alimentaire.
Dans ce cas bien précis, la malnutrition serait donc le résultat d'un manque d'information et/ou de formation; l'individu, ne sachant comment bien se nourrir, confond alimentation suffisante et alimentation équilibrée. Malheureusement pour lui, la quantité n'est pas la qualité. Voilà qui justifierait grandement un programme d'éducation alimentaire, et pour ceux qui souffrent de malnutrition, et pour les soi-disant « bien portants ».
A Baie d'Orange, où la famine n'aurait jamais dû exister, la terre, apparemment riche, est, pour une raison ou pour une autre, abandonnée, les caféiers sont infectés par un parasite qui fait des ravages et les cultivateurs ne bénéficient pas, selon leurs dires, de l'assistance du ministère de l'Agriculture. Ce n'est que récemment qu'un agronome a été affecté à la zone par Save The Children. De nombreux agriculteurs désertent la région pour aller travailler en République dominicaine, ce qui affaiblit la force de travail. L'intervention du ministère de l'Agriculture serait des plus nécessaires et urgentes pour une exploitation rationnelle des ressources de la localité au moment où l'on parle de relance de l'agriculture et d'autosuffisance alimentaire. Baie d'Orange n'est pas un cas isolé, il y en a d'autres. Sa situation n'est que le résultat de son isolement, conséquence prévisible d'une politique de centralisation à outrance. Il n'est que d'espérer que la décentralisation tant attendue devienne un jour une réalité afin que le « pays en dehors » puisse aspirer à un certain développement et sortir enfin de la misère.
Patrice-Manuel Lerebours
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=66003