« Selon le Trésor de la langue française, une dictature est un régime politique dans lequel une personne ou un groupe de personnes exercent tous les pouvoirs de façon absolue, sans qu'aucune loi ou institution ne le(s) limite(nt) ». Citée dans Wikipédia, cette définition est en train de résumer la situation politique en Haïti, où il ne demeure qu’une seule institution à résister aux désirs du président Moïse et de ses alliés : le Sénat.
Mais depuis quelques jours, des voix s’élèvent, même parmi les sénateurs, pour que le président Jovenel Moïse passe outre la ratification du Sénat et installe Fritz William Michel comme premier ministre après le vote des députés.
Cette proposition survient alors que les semaines et les mois se suivent, sans que le président Jovenel Moïse arrive à se défaire de sa malchance. A chaque fois que le président pense gagner un point, les évènements ou les circonstances se liguent contre lui. A une semaine d’un voyage qu’il espère triomphal à l’Assemblée générale des Nations Unies, voilà qu’il doit hésiter entre encore une fois perdre la main ou faire un très grand saut dans l’inconnu.
Aujourd’hui, le président Jovenel Moïse a sa majorité dans les deux Chambres. Le président a deux premiers ministres et deux gouvernements. Le président a son état-major et son armée. Le président dispose de son chef de la Police nationale d'Haïti. Le président a son président de la Cour de cassation et président du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Le président a son conseil d'administration de la Banque de la République d'Haïti. Le président a ses appuis diplomatiques. Le président a son secteur privé, sa société civile, ses médias, ses partisans. Le président a son administration publique.
Le président, sur le papier, a tout, mais certains de ses alliés estiment qu’il n’a rien car il n’a encore ni gouvernement légalement constitué, ni calendrier électoral ni Conseil électoral ni loi électorale pour les prochaines élections, ni budget, ni accord politique avec l’opposition ou les bailleurs de fonds internationaux, ni l’amour et le respect de la population. Alors ils lui propose de faire main basse sur ce qui lui échappe.
Mais voilà, le président Moïse est malchanceux ces derniers temps.
La malchance présidentielle commence avec le cyclone Dorian qui évite Haïti. Pour le pays c’est une bonne nouvelle, pour l’exécutif et ses alliés c’est une catastrophe. Les ravages d’un ouragan changent toujours la conversation pour plusieurs mois car il faut porter secours aux victimes. Les dégâts permettent de mobiliser les fonds de la communauté internationale pour la reconstruction et de prendre des mesures d’urgence qui offrent beaucoup de perspectives. Une catastrophe et souvent tout est possible en Haïti. Dans le passé le pays a connu tant et tant de fois ce scenario. Pas de chance pour Jovenel Moïse, Dorian nous ignore. Il ne pourra même pas en prendre excuse pour expliquer les retards qui s’accumulent dans tous les secteurs.
La malchance s’est poursuivie. Après une rentrée des classes réussie dans des conditions économiques très difficiles, le pays se met à l’arrêt aussitôt pour une question d’essence. Entre rareté et marché noir, les motards imposent un peyi lòk. La gazoline devenue le carburant des pauvres sert à alimenter les barricades aussi bien que le transport public. Jovenel Moïse n’a pas la baraka. Depuis juillet 2018, les produits pétroliers sont de tous les mauvais coups qu’il subit, le pétrole est son principal talon d’Achille. Cela déchaine les passions quand on veut ajuster les prix ou déstabilise le budget national à cause de la subvention aveugle de la consommation nationale de carburant.
Comme si tout cela ne suffisait pas, le président n’a pas le temps de jouir de la victoire massive de son premier ministre nommé devant la chambre des députés. Pas un vote contre et voilà que des secteurs font barrage à Fritz William Michel. Et depuis, les scandales à l’haïtienne (accusations sans preuve) se succèdent. Les allégations de corruption ensevelissent les ambitions du premier ministre nommé et recouvrent d’opprobres ses appuis au parlement haïtien. Fritz William Michel se retrouve empêtré dans une affaire de plusieurs centaines de milliers de dollars de pot-de-vin et une autre de quelques milliers de gourdes pour des cabris améliorés. Dans un pays où les présomptions font office de verdict, sa réputation est entachée.
Comme si cela ne suffisait pas, ce sont les alliés les plus sûrs du président de la République qui le lâchent. Le PHTK, le parti qui lui a donné emblème pour qu’il se fasse élire, et Evans Paul, l’un de ses principaux alliés, disqualifient Fritz William Michel et la manière dont le président s’y prend pour gouverner. Renforts de luxe pour toutes les oppositions qui sont au travers du chemin du président, KP et le PHTK semblent vouloir donner un coup de grâce au projet des plus ambitieux des alliés du président qui souhaitent qu’il s’érige en dictateur et installe Fritz William Michel en se passant de la bénédiction du Sénat.
Cette option de faire du président élu un dictateur est la dernière pierre d’un projet ancien, supporté par des élus et des amis du PHTK, qui souhaitent que le pays soit pris à la hussarde et soit gouverné par une main de fer avec ou sans gant de velours pour que la corruption des institutions triomphe.
Jovenel Moïse va-t-il se laisser tenter par l’appât de ce piège. S’ériger en homme fort d’Haïti en se passant du consensus et de l’appui du Sénat, en bafouant encore plus les lois et la constitution.
Sans attendre que le parlement soit caduc en janvier prochain, va-t-il se mettre à gouverner par décret pour le bonheur de ses amis ?
https://lenouvelliste.com/article/207055/le-president-jovenel-moise-va-t-il-seriger-en-dictateur
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