Nous avions appliqué sans réfléchir et sans broncher une certaine attitude de table rase en nous disant qu’il fallait non seulement bannir le régime mais aussi effacer son œuvre sans en laisser la moindre trace.
En acceptant benoitement que tout ce qui se faisait avant était par définition mauvais.
Aujourd’hui, 18 mai, jour commémorant la création de notre drapeau, un des premiers maillons de notre identité naissante, tandis que le gouvernement tout neuf de Monsieur Michel Martelly voudrait mettre l’accent sur la souveraineté nationale, il m’est venu à l’idée de réfléchir sur ce qu’il en reste aujourd’hui de ce patriotisme que nous cultivions comme une fierté.
Pour ce faire, je n’ai nullement l’intention de rentrer dans le champ des politologues avertis qui dominent les expressions savantes ingurgitées sur les bancs des hautes écoles et les murs des insignes universitaires de renom. « Chaque bourrique devant braire dans son pâturage », je m’attèlerai seulement à des souvenirs qui me reviennent et qui ne cessent de me faire frissonner.
Si vous avez l’âge de notre président tout neuf ou si vous êtes de sa génération, ce que je vais évoquer ne vous sera ni inconnu ni indifférent.
Que vous rappellent donc les célébrations du 18 mai ?
En effet le 18 mai représentait une de ces journées ou les écoliers étaient tous inviter à parader devant le palais national. Oui cela ne se faisait pas seulement le 18 mai. On paradait aussi beaucoup de 22 de beaucoup de mois. Je ne me rappelle plus l’intérêt de plusieurs 22. Mais c’était sympa car cela permettait de quitter l’école et les cours de dictée et la rigwaz du professeur, ou les cours de calculs, le chapitre des règles de trois et encore la rigwaz du professeur et que dire des formules autour de la fameuse « allées en croix autour d’un jardin ».
Vous verrez que, par ce récit je ne fréquentais ni le Lycée français ni « l’Union School ».
En effet pour le 18 mai, l’occasion était quand même excellente car on célébrait la fête du drapeau. On était tous convoqués –sauf les trop-petits – proprement tenus dans nos uniformes impeccables propres, soutenus par des chaussures reluisantes à souhait, les cheveux divinement coiffés.
Pas de place pour le hasard. Ni pour la brebis galleuse de l’école. Avant le départ on était tous soumis à une inspection minutieuse et ceux dont la tenue pouvait déceler un accroc aux exigences de l’heure étaient écartés et punis.
On partait vers les tribunes du Champ de Mars. Oui le Champ de Mars d’antan ! On partait en chantant gaiement
"Nous te voulons chère patrie
Puissante et forte à tous les yeux
Nous te voulons terre bénie
Digne à jamais de nos aïeux
Libre et prospère ils t'ont léguée
A leur enfants nous qui t'aimons
Avec ardeur dans la mêlée
Pour ton salut nous lutterons
Refrain :
C'est nous jeunesse étudiante
C'est nous les grands, nous les petits
Demain la gloire d'Haïti
Les cœurs joyeux, l'âme fervente
Toujours en avant nous irons
La tête altière et haut les fronts?.
En avant tous et d'un pied ferme
Car nous voulons faire sentir
Que par-dessous notre épiderme
Coule un sang pur prêt à jaillir
Pour te laver pour te défendre
De toute injure à ton renom
A tous ceux-là qui veulent tendre
A te salir nous dirons "Non !"
Refrain:
C'est nous jeunesse étudiante
C'est nous les grands, nous les petits
Demain la gloire d'Haïti
Les cœurs joyeux, l'âme fervente
Toujours en avant nous irons
La tête altière et haut les fronts
Déployons-là notre bannière
Qu'elle rayonne à tout jamais
Dans la clarté dans la lumière
D'une Haïti croissant en paix.
Et s'il nous faut faire la guerre
Sans crainte ni peur, sans lâcheté
Nous irons tous comme à Vertière
Combattre pour la liberté. »
Nous partions, nous les moins petits défiler devant le palais national. Puis nous assistions à la parade des lycéens portant des uniformes rappelant ceux des militaires. Ils exécutaient des figures dignes des corps les plus exigeants et les mieux entraînés.
Je me rappelle encore les intégrants des fameux Corps d’Honneur du Lycée Alexandre Pétion qui à l’époque inspiraient le gouvernement pour ses recrutements pour l’académie militaire de Port-au-Prince!La jeunesse du pays s’imbibait à travers l’hommage rendu à ce symbole, d’un sentiment patriotique socle d’une fierté naturelle.
En 1986 nous avions fait table rase, nous avions accueilli et adopté le néant pour construire et progresser. Le nihilisme peut être érigé en courant philosophique. Mais seul Dieu a su créer à partir de rien.
Pour créer, pour fonder, pour grandir, il faut une base. Il faut des modèles. Il faut des points de départ.
Aujourd’hui, quand tous les haïtiens rêvent de faire du 14 mai 2011 le J1 de l’an I pour Haïti, j’aimerais que la société haïtienne dans son ensemble, prenne conscience des valeurs que nous avions laissées sur les routes, durant notre pénible et cruel pèlerinage sur les chemins tortueux de la démocratie.
Ces valeurs sont encore là. Eparpillées sur les terrains abandonnés par manque d’utilité. Elles sont encore recroquevillées dans les boîtes ou ont été rangées nos coutumes jugées peu modernes, trop archaïques…Elles sont partout. Elles attendent le temps du recyclage. L’heure des Mea Culpa.
Rien ne sert d’avoir un institut du patrimoine dédié à conserver des objets et à créer des postes pour des amis, si des éléments forts et indispensables de ce patrimoine sont rongés par l’oubli et corrodés l’indifférence. Un élément essentiel de notre lègue est justement notre mémoire. Ce devoir de mémoire reste l’essentiel de toutes les attitudes tendant à réunir des éléments pour refonder l’identité haïtienne.
La mémoire de nos erreurs comme la mémoire de nos prouesses; la mémoire de nos héros comme la mémoire de nos concitoyens, parfaits inconnus ; la somme des mémoires individuelles comme notre mémoire collective, voici un ciment sui-generis, un socle plus que solide pour construire et fonder une nation.
Enfin pourquoi pas? Des écoliers paradant devant le palais national arborant les couleurs patriotiques. Un 18 mai. Au rythme de :“
Nous te voulons chère patrie
Puissante et forte à tous les yeux
Nous te voulons terre bénie
Digne à jamais de nos aïeux
Libre et prospère, ils t'ont léguée
A leur enfants nous qui t'aimons
Avec ardeur dans la mêlée
Pour ton salut nous lutterons
18/05/2011
Decky Lakyel pour Haïti Recto Verso http://haitirectoverso.blogspot.com
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