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mardi 15 octobre 2013

Lyonel Trouillot: Alléluia pour un poète failli

Par Tirthankar Chanda
Parabole du failli est le onzième roman de Lyonel Trouillot. Le Haïtien creuse, livre après livre, son sillon dans une littérature francophone déjà riche en talents et en originalités. Puisant son inspiration autant dans la réalité bloquée de son pays que dans son imaginaire riche d'une histoire exceptionnelle, Trouillot a construit une œuvre singulière qui se situe au carrefour de l'engagement et du poétique.
Lyonel Trouillot aime à rappeler que les écrivains haïtiens, aussi bien lui que ses amis, les Frankétienne et Gary Victor, n’ont pas tous déserté leur île natale pour aller vivre à l’étranger. Le romancier fait partie de cette catégorie d’auteurs haïtiens qui partagent le quotidien de leur peuple, puisant leur miel dans les heurs et malheurs de leur pays natal.
Romancier, poète, essayiste, Trouillot a construit une œuvre résolument engagée dans la réalité haïtienne. Le récit qu’il vient de publier en cette rentrée 2013, Parabole du failli, son onzième roman, raconte le profond désespoir de l’humanité en souffrance dont est issu le héros du livre. La faillite que le récit met en scène n’est pas seulement celle du réel, elle est aussi celle de la parole poétique qui se révèle inadéquate face au vide et aux violences de la vie.
Poète dans l’âme et comédien de métier, Pedro parcourt les rues de Port-au-Prince déclamant les vers de Baudelaire, Eluard et Pessoa, dans l’espoir de combler l’abîme existentiel auquel il est confronté. Un abîme dans lequel celui-ci finira par plonger, comme on l'apprend dès les premières pages du livre. Le récit s’ouvre sur le plongeon tragique de Pedro du douzième étage d’un immeuble, lors d’une tournée à l’étranger. A travers la voix du narrateur avec lequel Pedro partageait un appartement insalubre dans le « quartier pourri de Saint-Antoine » à Port-au-Prince, le roman revient sur le vécu du héros et tente d’expliquer le sens de son suicide. Anti-biographique
Raconté à la deuxième personne, ce récit consacré à la vie et la mort de Pedro est tout sauf une biographie. Ce n'est sans doute pas accidentel si le narrateur est journaliste de métier, préposé aux nécrologies. La nécrologie prosaïque, faite de dates et d'événements est l'anti-modèle contre lequel le romancier-narrateur construit son adresse poétique destinée au disparu, avec pour ambition de saisir le sujet dans son intimité par définition insaisissable.
C'est sans doute cette faillite langagière qui est la véritable cause du suicide du personnage principal, mais cette prise de conscience des limites de son art ne l’a pas empêché de tenter de produire une oeuvre poétique que ses amis découvrent après sa mort. Cette œuvre inachevée est la « parabole » à laquelle renvoie le titre du roman. Elle puise son inspiration, au dire du narrateur, dans la conviction qu’il faut malgré tout « parler aux hommes, comme dans le dos du vent, en retard de vitesse… Et, à force de tourner, il arrive que le vent revienne sur ses pas, ramasse de vieux mots, des consignes d’amour, autrefois inaudibles, et tout n’est pas perdu. »
Voici une belle leçon d’optimisme, qui nous vient d’Haïti!
Parabole du failli, par Lyonel Trouillot. Actes Sud, 192 pp, 20 euros. http://www.rfi.fr/ameriques/20131008-lyonel-trouillot-alleluia-poete-failli-ha%C3%AFti-litt%C3%A9rature