Google

dimanche 29 mars 2009

SABINE RENCONTRE MAITRE MINUIT

Elle était prête ou presque. Quelque chose clochait encore. Tout n’était pas parfait. Pourtant, elle avait tout prévu la veille. Un samedi de mars il y en avait pas tous les jours.
Elle fit quelques pas longeant l’exigu espace entre le lit et la vieille commode. Les pieds s’accrochaient fermes à la terre battue. Pas de déséquilibre à chaque poussée exagérée de déhanchement. Les talons étaient excessivement hauts et pointus. Mais elle arrivait et arriverait à arpenter comme il faut les quelques mètres de trottoir. L’escalade de la butte qui surplombe la maison sera forcément impossible. Mais elle avait tout prévu. Elle sortirait comme d’habitude avec les sandales marque Bata. Dans son grand sac à mains se trouveront ces bottes à talons aiguilles. Sous les bras.
Le sac à main était assez volumineux. Le sac à main de celle qui exerce le plus vieux métier du monde se doit d’être un arsenal. Depuis une fronde et quelques pierres jusqu’aux porte-jarretelles. Il fallait tout prévoir. Elle ne sait jamais sur qui elle allait tomber. Entre les disjonctés et les plus besogneux « paraphyliques », la marge était énorme. Il fallait s’équiper d’une gamme riche et variée de paraphernales.
Sortir avec cette coiffure extravagante, arborée cette jupette en Jean très courte avec des sandales bata ne traduisait pas un gout raffiné de l’esthétisme de l’habillage. Cependant les pluies de la veille au soir avaient définitivement transformé la butte en pataugeoire et pseudo mât de cocagne.
Sabine n’était pas mal en jupe. Certains diraient qu’elle était plutôt bonne. Même très bonne.
- Ben oui ! Le problème vient de la jupe se dit-elle.
Elle arriva enfin a superposé les deux miroirs circulaires. En regardant a travers de celui de devant ; elle vit ses fesses et l’arrière de sa jupe. La fermeture éclair ne sied pas au milieu. Ses fesses et son allure en pâtissait grandement. Elles n’étaient pas symétriques. Pour des fesses aussi bien moulées ceci était synonyme de sacrilège.
Ce n’était pas si grave de toutes les façons. Quelques gestes simples d’ajustement. Le tour est joué. Elle rentre le ventre. Elle détient sa respiration. Elle fait tourner la partie haute de la jupe un peu à gauche, un peu a droite. Tout était devenu d’une perfection plus que mathématique. D’une exactitude chirurgicale.
Mais cette histoire de jupe fit accroc au rituel. Elle ne savait plus ce qu’elle avait décidé de porter comme parfum. Il fallait absolument tenir compte du bouquet que répandaient déjà le corsage en soie et le bustier en nylon.
Les lessives ne suffisaient plus. Ni la lessive en poudre marque FAB, ni le vieux gros « savon lavé » possédait l’immense vertu de supplanter les odeurs à renfermé, de l’asa fétida, de naphtalène ou de « gangolos » et de « coco rat » qui imprégnaient les maisons et les habits en ces périodes de forte humidité et de pluies soutenues.
Au moment du rinçage final, l’usage voulait que l’on ajoutât quelques gouttes d’odeur. Souvent des feuilles de jasmin de nuit faisaient l’affaire. D’autres fois on se fiait à la toute puissance aromatique du « ilan-ilan ». Dans ce domaine, cette zone des tropiques ne connaissait jamais ni pénurie ni disette. La panoplie des existences aromatiques était très vaste : essence de coco, de vanille, essence noyau ou de vétiver, fleurs d’orangers, d’hibiscus, de quinine. Et si par mégarde et négligence aucun de ces aromes ne répondaient à l’appel, on pouvait en ultime recours se servir du contenu du flacon de « bien-être » ou de « My dream ».
Sabine pourtant avait sorti trois petites fioles. Son choix n’avait pas encore été fixé. « My dream », ou « Bien être » ou le parfum des grandes occasions : « vétiver de Guerlain » ?
Elle adorait et vénérait ce parfum. Un vrai parfum français. Un client devenu ami le lui avait donné en cadeau. Pour services rendus ou contre les sévices subis ? Peu importe. Elle, elle avait été bien payée. Lui, le client, il avait été satisfait. En comptant les billets Sabine s’était dit que cela faisait partie des risques du métier. La pure logique des choses. En fin de compte c’est lui qui avait eu à tout supporter. Elle avait seulement joué un rôle inhabituel. Ce fut sa toute première fois.
Ainsi, quand le client revint trois mois plus tard, elle n’hésita pas une seconde à le rencontrer. La relation avait changé. Il l’avait invité à manger. Un hamburger au Petit Louvre du centre ville. Ce fut son premier hamburger. Elle garda longtemps le goût de Katchup et de mayonnaise comme une découverte presqu’insolite. Ce jour là, pour comble de bonheur ils se sont promenés dans plusieurs rues de la ville. Elle regardait d’un air ébahi les devantures de ces magasins qui pour elle représentait un autre monde. Le monde du rêve. Le monde de l’interdit.
Il avait tout compris. Il l’avait comprise aussi. Elle l’invita à franchir le pas. Ils pénétrèrent tous les deux dans l’antre du magasin « c’est du français » ou, entre mille et une merveille il lui fit cadeau du flacon de Vétiver de Guerlain. Sur le chemin du retour il lui expliqua que l’essence vient d’une herbe, le vétiver, qui pousse partout dans nos brousses et broussailles…
- Ce soir n’était pas un soir particulier, se disait-il en rangeant le flacon de parfum français. Qui plus est il a plu hier soir. Le temps est couvert aujourd’hui. Le vieux « My dream » devrait suffire.
- Voyons Sabine ! fais-toi plaisir. On ne sait jamais. L’odeur ne sera pas discordante avec le jasmin de nuit émanant du corsage et du bustier.
Elle se mit d’accord avec elle-même. Fit grincer le tiroir de la veille commode, sortit le flacon de parfum français et s’asperge quelque seconde de nébulosité bien odorante.
Elle reprit les deux miroirs ronds. Porta un à la hauteur du visage et l’autre à la hauteur du postérieur. Elle tourne et tournoya une auréole invisible autour de cette jeune fille que la vie para trop vite en femme pour le bonheur des hommes. Une femme aimable, surtout payable aux porteurs. Elle s’aimait. Elle était fière d’être elle-même.
Elle décrocha son sac à main du pan de mur caché par la porte ouverte vers l’intérieure de la pièce. En récitant un au nom du père, et du fils et du saint esprit elle se signa, pris soi n de franchir le seuil de la porte du pied droit. Il ne pleuvait pas encore. Mais on ne sait jamais. En Haïti quand la météo annonce la pluie ont est presque sûr de pouvoir profiter d’une belle journée d’été. Mais à n’importe quel moment des averses et des pluies torrentielles peuvent surprendre. Il ne fallait jamais tenir compte des caprices du temps. Les femmes se reconnaissent souvent dans le temps. Et dans ses caprices.
Elle ferma de deux tours la porte sans faire attention aux regards qui se braquaient sur elle. Certaines prêtes à dégainer pour la fusiller pour atteinte aux bonnes mœurs. D’autre tout simplement par envie. Et un nombre non négligeable à cause de l’auto dédain que leur inspirait cette dure réalité de ne pas se sentir qualifiés pour participer à ce festin ou la chair fraiche et féminine se marchandait l’espace d’un coup, le temps d’une éjaculation.
Elle se dirigea rapide et discrètement vers l’angle droit de la petite cour, juste au flanc d’une des parois de la bute qui surplombe le groupe de maisonnettes. Elle souleva, en s’assurant de ne pas être vue, un bloc jeté et oublié entre détritus anonymes et mégot de Comme-il-faut et Lucky Strike, y plaça discrètement quelque chose.
Elle se releva. Remis les pans de jupe en place. Quand elle s’était accroupie, elle avait subi une certaine ascension qui laissait voir trop facilement ce qui ne doit être vu que sous certaines conditions.
Sabine sorti de sa petite cour et entrepris immédiatement la montée de la butte. Elle inclina le buste en avant et en bas de façon à vaincre les rudesses de la pente. Elle semblait remorquée par sa poitrine discrètement opulente qui mimait le vol harmonieux d’un couple de pigeons roucoulant à l’unisson une sérénade d’amoureux.
Une fois arrivée au sommet, juste avant de tourner à gauche pour reprendre un chemin à tendance descendante, elle sortit de son sac un walkman marque philipps. Elle y introduit avec des gestes d’automates, une cassette de Michèle Torr ou se trouve enregistré en boucle le dernier tube « emmenez-moi danser ce soir ». Elle fit chevaucher un casque entre ses deux oreilles. Sans abîmer la coiffure.
Elle marche. Elle chante. « ….Joue contre joue et serrés dans le noir, fais moi l’amour comme au premier instant…comme cette nuit ou tu as pris mes dix-sept ans… »
Ce type de phrases était de trop dans son jargon. Au pied du mur, les compagnons du moment préféraient souvent des diatribes moins douces. Il lui arrivait – très rarement certes- d’avoir envie de répéter ces phrases qu’elle ne comprenait qu’à moitié. Mas les réactions étaient souvent imprévisibles. En contradiction violente avec l’effet escompté.
En sortant de chez elle, cette chanson servait de diversion et transformait en cacophonie indéchiffrable l’ensemble des commentaires désobligeants que lui proféraient les gens du quartier.
Elle longea ainsi les corridors sinueux limitant les propriétés des Saurey et des Ganot, traversa la place du marché. Quelques mètres plus loin, elle fit le signe de la croix juste devant le parvis de l’église saint Michel.
Avant de déboucher sur la rue goudronnée de Madame Ganot. Elle sortit les bottes à talons aiguilles. Remit les sandales Bata dans le sac, la jupe bien à la ceinture. Elle s’assura de bien aborder le trottoir du pied droit. Elle se retrouva ainsi, dans son monde face à son destin. Seule contre les désirs et les vanités des autres. Pour un dialogue entre sa conscience et celle de son Dieu, autour de sujets incompréhensibles.
Les passants à pieds se retournaient sur son passage. Les chauffeurs de tap-tap ralentissaient comme attiré par une magie indescriptible. Elle marchait d’une allure carrément divine. Elle personnifiait à elle seule la raison de croire en un créateur. Une telle architecture ne saurait définir le hasard. L’évolution atteignit son sommet le plus élevé dans un physique aussi parfait.
Elle se dirigea lentement mais sûrement vers la grande rue qu’elle atteindrait dix minutes plus bas. Elle n’avait pas encore décidé si elle débuterait par le trottoir du Simbie Continental ou du Royal Haitian Club Hotel.
Elle rencontra juste devant la petite boutique de Ti-Wilner, Rosemond, un jeune ami du quartier. Il travaillait de très près dans le tourisme. Il se faisait appeler guide touristique. Certains disaient qu’il entretenait un rapport très étroit et assez particulier avec les touristes du genre masculin. Pour Sabine c’était un éclaireur. Un genre de poisson-pilote. Il allait lui dire sans le savoir comment allait être sa soirée. Il allait aussi lui indiquer si elle devait se parquer devant le Simbi Continental ou devant le Royal haitian.
- Vient ma beauté créole. Je t’offre quelque chose. Tu as le don d’égayer mon existence quand j’ai l’honneur de croiser ton chemin. Lui dit Rosemond en lui prenant innocemment la ceinture et en l’entrainant vers l’intérieur de la boutique.
- Tes éloges me font toujours rougir Rosemond. Je vais finir par te prendre au sérieux. Lâcha Sabine d’un air enjoué et puéril, montrant un sourire brillant nacré, large et contagieux.
- Prends ce qui te plait ma beauté créole.
L’éventail de choix était énorme : boîtes de lait concentré, des sucreries, des boîtes de bonbons Ritz inclus dans le décor mais oublié des acheteurs. Sabine porta son choix sur quelque chose de simple mais utile : deux petites boîtes de deux pastilles de chewin gum Adams.
- Tu es définitivement une perle créole ma beauté. Je dois m’éclipser. Aujourd’hui un grand paquebot s’est accosté au warf et a débarqué pas mal de blancs aux yeux verts. Nous avons de la chance. Plusieurs autocars des chauffeurs-guides ont fait route vers le Royal Haitian. Je pars me faire présentable et je retourne là-bas.
- Merci Rosemond. Tu es un cœur. Répondit-elle.
Merci pour l’info. Aurait-elle du dire. Donc ce soir l’appât devrait être posé sous les lampadaires jonchant le trottoir du Royal Haitian Hotel.
(A suivre)

Aucun commentaire: