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mercredi 21 mai 2014

« QUE CHAQUE BOURRIQUE BRAIE DANS SON PÂTURAGE »

En lisant les éphémérides de ce matin, 21 mai, j’ai appris qu’un jour comme aujourd’hui, en 1874, le président Nissage Saget laissa le palais national, à la fin de son mandat comme président de la république et retourna comme un citoyen normal vivre dans sa ville natale de Saint Marc.
Ce geste à l’époque avait une énorme importance, dans la mesure où jusque là, tous les présidents étaient soit déchouqués, soit reconduits comme présidents moyennant des tours de passe-passe des plus invraisemblables.
Selon le Professeur Jean Julien, il était considéré comme un Président anormal. Cette anormalité était selon les gens qui le connaissait du au fait qu’il avait un peu perdu la tête pendant des séjours prolongés en prison.
Pour moi il est devenu comme une sorte de symbole juste par le fait qu’il est sans doute le seul à avoir tout fait pour respecter les lois et surtout notre constitution. Il prit la décision de partir quand ses partisans et les sénateurs qui à l’époque nommaient les présidents lui avaient demandé de rester au pouvoir.
Il est devenu un symbole puisque après 210 ans d’histoire il est le seul président d’Haïti, à avoir appliqué cette vision du pouvoir et de la gestion des affaires publiques.
Avec Nissage Saget, seuls trois autres chefs d’état ont pu boucler leurs mandats et rester tranquillement dans le pays. Les circonstances entourant la présidence des trois autres n’ont rien à avoir avec celles que connut le mandat de Nissage Saget.
En effet Sudre Dartiguenave (1915-1922), donc sous l’occupation américaine resta en Haïti après son mandat ; Sténio Vincent (1930-1941), une période qui coïncide avec l’occupation, sa fin et une surveillance rapprochée des Etats-Unis qui avaient décrété officiellement la fin de l’occupation mais qui gardaient un œil bien ouvert sur le pays, qui resta en Haïti après ses deux mandats consécutifs ; René Préval, qui vit tranquillement dans son pays après ses deux mandats constitutionnels contemporains de la mission de stabilisation de l’ONU (MINUSTAH)
Selon ce que raconte l’histoire, au cours d’une confrontation avec le pouvoir législatif, certains collaborateurs auraient demandé à Nissage Saget de sévir – comme d’habitude – contre le pouvoir législatif, il aurait prononcé cette phrase célèbre que comme écolier je répétais souvent. « Que chaque bourrique braie dans son pâturage ».
Ce fut une réplique assez forte qui donnait une vision de sa conception de la liberté d’expression et du sens du partage des pouvoirs.
De 1874 à nos jours, la vie politique haïtienne est caractérisée par des conflits à n’en plus finir qui ont provoqué l’occupation du pays et enterré nos désirs de souveraineté et d’indépendance dans le vrai sens du terme.
Ceci est du au fait que chez nous, certains ne savent pas rester dans leurs pâturages pour braire.
On doit être capable – si on veut être sérieux – de reconnaître ses capacités et ses limites.
Le projet de pays doit être basé sur l’ensemble des rôles de ses fils et filles. Comme dans un orchestre symphonique ou chaque musicien joue l’instrument qu’il domine, sans essayer de faire obstacle aux autres.
Tous les citoyens ne doivent pas se mettre en tête que leur utilité reste liée à une fonction publique, à un poste dans l’administration.
Sans juger du bilan de l’actuel président de la République, on est nombreux à avoir été surpris de voir Michel Martelly occuper la première magistrature de l’état.
Comme il aurait été anormal de voir un Wyclef Jean, un citoyen haïtien pétri de talents et regorgeant d’un patriotisme qui fait envie, devenir président de la République.
Les raisons de l’accession de Michel Martelly au pouvoir ont alimenté des débats. Cependant cet exemple ne doit pas servir de base pour une vision à l’haïtienne du fameux « YES WE CAN ».
On ne peut pas devenir un bon législateur par le simple fait d’avoir été un bon chanteur de KONPA. Un législateur doit légiférer. La popularité acquise sur les scènes et les foules en liesse ne peut pas servir de tremplin pour propulser celui qui fait danser des foules vers un fauteuil ou il est question de décisions nationales.
Ce n’est surement pas un critère d’exclusion mais dans le CV doivent figurer d’autres éléments qui permettent de comprendre qu’il sera en mesure d’exercer correctement ses fonctions.
La liste des artistes populaires voulant se présenter comme sénateurs et députés commence dangereusement à s’allonger. Le pire ce n’est pas qu’ils se présentent. C’est qu’ils peuvent gagner.
L’immense YOUSSOU NDOUR du Sénégal a été freiné dans ses aspirations présidentielles lors des dernières élections réalisées dans son pays. Pourtant, sa popularité n’est jamais mise en question.
Nous devons commencer à être un peu plus exigeant maintenant que nous pouvons compter des aspects positifs témoins d’un vent de changement.
Le pouvoir législatif n’est pas forcément l’opposition. Le pouvoir exécutif quand il est issu d’un parti politique bien enraciné dans le pays peut compter sur l’apport de ses députés pour exécuter un projet commun.
Que les députés, sénateurs et présidents soient issus de la « politique du béton » secondée par le clientélisme à tous les niveaux, reste une anomalie et une « exception politique haïtienne ».
C’est une voie biaisée qui loin de nous conduire vers la vraie démocratie, nous en éloigne et donne raison aux promoteurs de la tutelle ouverte ou masquée. Nous devons faire les choses différemment.
Commençons par exiger que « chaque bourrique braie dans son pâturage ».
Docteur Jonas Jolivert