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dimanche 29 août 2010

SABINE RENCONTRE MAITRE MINUIT...QUATRIEME PARTIE

Elle longe le trottoir une fois de plus. Dix fois de plus, depuis qu’elle avait décidé de faire un dernier tour et partir. Sa nuit était sur le point de finir sur une note trop sèche. Elle déambulait. Elle prenait grand soin de maitriser son déhanchement excitant ; tombeur et provocateur, qu’elle peaufinait à souhait en s’approchant de ces jeunes encore attelés à apprendre par chœur l’assimilation chlorophyllienne ou les propriétés chimiques du benzène.

Personne à l’horizon. La nuit tombait de plus en plus drue. Elle lâchait son manteau sombre foncé sur les rues évidées de ses gens et des ses bruits. Sabine comprit, comme souvent, que ses espoirs s’éteignaient et ses espérances s’évanouissaient dans l’incertitude se débattant entre la veine et la chance. Autour de la déveine et la malchance.
Malgré les propos verts de Rosemond annonçant une pêche miraculeuse, elle alla rentrer bredouille. Elle se résigna à reprendre sa route. Dans l’autre sens. Le sens de son autre vie.
Ce fragment de sa journée lui inspirait une sensation mitigée. Entre figues et raisins. Elle rentrait une nouvelle fois bredouille. Une après-midi blanc.
Il n’était pas trop tard. Mais elle craignait les situations dangereuses qui viennent surtout à la tombée du jour et à l’approche de la nuit. D’autant plus qu’après dix-neuf heures, les regards inquisiteurs des badauds, les yeux perçant des curieux abasourdis par l’oisiveté vaquent éparpillés, attirés par des curiosités de tous genres. Des rondeurs féminines dans la pénombre passent simplement au premier plan.
Si à vingt heures, elle n’avait toujours pas eu le loisir d’honorer, elle était convaincue qu’elle ne pouvait rentrer chez elle que le portefeuille vide. S’empêtrer dans des embrouilles inextricables avec les jeunes brigands de La Rochelle et de carrefour s’avérait inutile et surtout très con.
Elle et sa silhouette réduites à une ombre errante à la disposition de ceux qui voudront bien se soulager leurs bourses et de quelques gourdes. Elle et sont corps confinés à la merci des fantasmes de vieux riches en quête de sensations fortes à allure de pénultième, propre d’une jeunesse que l’on refuse de bannir, anéantir ou oublier.
Les sensations partagées à demie pouvaient se convertir, à défaut de bonheur en moments gratifiants, avec quelques liasses de gourdes regorgeant son sac à main en contre partie.
Mais il y a des jours sans et des jours avec. Comme dans tous les corps de métier. Comme dans le domaine des jeux avec enjeux.
Rien par contre ne justifiait qu’elle s’en allât fanée et négligée. Comme le fleuriste range avec soins les roses non vendues pour les exposer le lendemain, elle se devait de prendre soin de sa valeur marchande : son apparence.
Le soleil était bien couché. Il avait pris soins d’endormir ses rayons qui, quelques minutes plus tôt, dardaient et zébraient la surface de la mer devenue complètement immobile de sérénité dans le zéphyr des espaces infinis.
Sabine se retira un instant de la vue des passants. Entre l’ombre d’un fier palmier et la lumière tamisée d’un lampadaire délaissé par les étudiants à cause de sa position trop proche de la route nationale. elle prit son sac à main. Elle l’ouvrit en regardant de tous les côtés. Elle y soustrait un sac encore plus petit pour y extraire de quoi se refaire une vraie beauté. Un coup de fond de teint par ci. Une bribe de rouge à lèvres par là. Et le petit miroir circulaire à peine craquelé en superficie qui lui chuchote en un clin d’œil, combien elle était belle et bien faite. Vraiment impressionnant le nombre d’articles sortis du petit sac à main : miroir, tubes, petits pots ronds, petites boîtes plates, crayons, pinceaux... La manipulation devenait de plus en plus audible dans l’épaisseur du silence de l’aube d’une nuit noire à peine étoilée.
Elle fit quelques espaces plus tard, les mêmes gestes dans l’autre sens pour tout ranger.
Elle sourit d’un rire convaincu. Elle voulut prendre du temps pour vanter sa beauté. En commençant par le teint parfait de sa peau sapotille divinement bien entretenue par les propriétés magiques du soleil d’Haïti. Pour finir par ses rondeurs plus que féminines, fermes et harmonieuses bien façonnées, bien placées et bien reparties.
Elle éloigne son visage du reflet du miroir. Regarde autour d’elle. Personne ne semblait l’observer. Même les voyeuristes étrangers attirés par le coucher du soleil avaient disparu chacun dans sa nature. Elle reprit son cycle de contemplation. Elle jeta un coup d’œil encore une fois autour d’elle. Elle resta assise. Elle se sentait cependant observée.
Elle se leva.
Souvent, une sensation de ce genre augurait des situations peu recommandables pour les filles de son métier. Elle avait, malgré son jeune âge, été informée et formée pour y faire face en prenant la fuite tout en évitant les endroits peu ou pas assez éclairés et fréquentés.
Cependant, cette fois-ci, elle se croyait habitée d’un sentiment de bravoure non justifié, de la forteresse d’un courage jamais éprouvé. Si ce regard qui fait froid au dos croisait le sien juste ce soir, elle aurait voulu aller bien au-delà de la résistance automatisée et l’affronter de face ce je ne sais qui.
Elle fit un discret signe de la main à l’un des derniers étudiants encore présent sous les lampadaires du patio de l’hôtel. Elle aurait aimé ne pas emprunter la route du retour seule. Un de ces jeunes ferait l’affaire. Elle ne craignait rien avec eux. Mais ils ne fréquentaient pas ouvertement ce genre de filles. Beaucoup d’entre eux ne disposaient pas de moyens pour se la payer. Ce luxe.
Dans ces circonstances, même la présence de Rosemond au physique de freluquet apeuré aurait servi à la rassurer un peu plus. Deux silhouettes sont en principes plus dissuasives qu’une seule féminine.
Elle assuma l’évidence de sa solitude. D’ailleurs dans ce métier on se fait rarement des amis. Les gens les plus proches sont soit de vieux amants convertis en protecteurs paternalistes, soient de jeunes femmes avec qui elle partage une vraie et sérieuse rivalité. Comme dans d’autres occasions, il ne lui resta que le choix de rentrer sur la route de son destin.
Elle pressa le pas et tourna le dos à l’immeuble de l’hôtel puis prit la direction de droite. Face à Port-au-Prince. Mince alors ! Elle va devoir ouvrir et chercher quelque chose dans son sac en pleine rue. Ce qui est peu intelligent, à cette heure de la nuit. Pourtant la route lui paraitrait trop longue et trop bruyante.
Le boulevard Jean Jacques Dessalines luisait assez animée, moyennement éclairée. Les tap-taps assuraient l’ambiance en exhalant des ondes rythmées et entrainantes. Ce même rythme se faisait cacophonie quand plusieurs tap-taps s’entrecroisaient ou s’arrêtaient pour monter ou descendre des passagers. Le type de musique qui sortait des hauts parleurs permettaient de deviner, les goûts, l’âge et l’origine géographique du chauffeur.
Sabine n’aimait pas le bruit. Elle pouvait être prise de vertige et d’étourdissement. Ça lui arrivait de vomir en pleine rue. Les gens qui la voyaient dégueuler élucubraient sans base ni motif en pensant à la drogue ou à une grossesse accrochée non voulue.
Elle avait un remède infaillible qui lui rendait la vie assez paisible et apaisante même dans les vacarmes les plus aigus des journées de carnaval. C’était son petit poste de lecteur de cassette de la marque Phillips. Elle y tenait beaucoup. Elle l’avait reçu en cadeau d’un vieil amant canadien transformé en père-protecteur. Elle eut même l’impression qu’il lui avait porté chance.
Avec les écouteurs bien enfouis dans le conduit auditif externe, elle obtenait une insonorisation de son milieu qui lui permettait de marcher en rêvant de lieux magnifiques, jamais visités. Une sorte d’évasion dans l’univers magique de la simplicité et de la différence.
Là, en plein milieu de ce va et vient incessant de véhicules bondés de monde, de mawoulés sentant mauvais, tirant , poussant des bœufs fatigués et affamés vers les abattoirs du centre ville des marchands de thé et de biscuits à grosse mie étalant leur marchandise sur l’étroite bande de la chaussée réservée aux piétons, elle les sentait venir les signes avant coureur de l’évanouissement.
Peu importe le risque. Il fallait ouvrir son sac en pleine rue et sortir le lecteur de cassettes Phillips. En fait ce n’était qu’un petit appareil un petit peu plus grand que la cassette elle-même.
Le walkman. Oui, elle se souvient encore de l’hilarité béate et niaise que lui provoqua l’évocation de ce mot pour la première fois. Elle avait ri parce qu’elle avait trouvé que le nom n’avait aucun rapport avec la fonction réelle de l’appareil. Pour elle, ce n’était qu’un petit lecteur de poche de casettes audio. En anglais ça aurait du faire a little pocket cassette reader. Mais pas walkman. Pas l’homme qui marche ou simplement le marcheur. Il en fallait de l’imagination pour traduire en un seul mot le petit lecteur de poche de cassette audio. Walkman.
Elle en avait vu des postes lecteurs de cassettes. La mode était de charger sur les plages des boîtes à musiques énormes. Certains plus sophistiquées que les autres. Certains avaient la propriété de pouvoir capter des ondes en bandes AM ou FM. Il y en avait même capables de lire des disques en vinyl et captaient à la fois les stations émettant en amplitude modulée et en fréquence modulée. Certains pouvaient lire et enregistrer. Le tout premier qui avait attiré son attention, elle l’avait remarqué chez un pasteur protestant qui en faisait usage pour enseigner l’anglais à ses fidèles. Tout le monde l’appelait player. Il était assez rudimentaire dans l’apparence et dans la fonction.
Ils en arrivaient aussi de plus en plus gros et de plus en plus puissants. Les jeunes qui recevaient des articles de toute sorte de leurs parents travaillant au Canada ou aux USA en exhibaient fièrement sur les places publiques et sur les plages au sable blanc de Léogane de Saint Marc ou de Jacmel. Ils les portaient sur les épaules coincés entre la tête d’un côté et le bras relevés de l’autre. En matière de puissance, ils animaient sans sourciller tout un quartier.
Grâce à ces énormes boîtes à bruits colportés par des exhibitionnistes in conscients, le Walkman devint quelque chose d’assez ridicule. Sauf pour celui qui en avait besoin.
Donc, Sabine ne courrait aucun risque a sortir son walkman juste l’espace bref de quelques minutes pour y introduire la cassette, le jeu d’écouteurs et appuyer sur le bouton « play ». Les hommes de manies peu recommandables feraient de meilleures affaires avec des mega postes qu’avec un petit lecteur de cassette audio. Peu importe que ce fût de la marque phillips.
Sabine y tenait énormément. Il ne fallait pas non plus tenter le diable. Avant de sortir l’appareil, il s’avérait beaucoup plus intelligent d’avoir choisi au préalable la cassette. Sur la lune il n’ya a pas de roses de Sylvie Vartan ou emmenez-moi danser ce soir de Michèle Thor ? Un sacré dilemme.
Après une journée sèche, elle ne ressentait pas trop l’envie de danser. Encore moins joue contre joue, serrés dans le noir. Elle n’avait pas non plus de raisons de vouloir s’accrocher à la terre et refuser catégoriquement d’aller voir ailleurs et faire un tour sur la lune. Pourtant elle n’avait ni plus ni mieux.
Elle opta pour l’évasion, le rêve irréalisable. Elle le savait. Il n’y aura ni astronaute, ni d’invitation à s’envoler vers la lune. Mais elle pourra peupler son imagination de sons agréables, de couleurs apaisantes et d’odeurs à tendresse. Des sensations très discordantes et opposées à la crue réalité de ce panorama du boulevard Jean Jacques Dessalines qui ressemblait à une course pour éviter le pire, pour s’échapper à la fin du monde. Ce vide pesant aux trousses qui s’entête et s’acharne par vocation à vouloir vous broyer le corps, l’âme et l’esprit. Entre un cillement et une pulsation.
Elle avait parcouru le chemin du retour sur quelques centaines de mètres. L’esprit occupé dans les remembrances de son lecteur de cassette de poche et le choix entre ses deux chansons préférées, elle traversa sans peur aucune la partie réputée la plus dangereuse du trajet.
Apparemment elle ne s’était pas retournée une seule fois pour vérifier si elle était suivie ou non. Juste avant de tourner à droite pour reprendre la rue Madame Ganot, elle se tourna d’un geste relevant plus de l’automatisme que du souci de se savoir suivie. Elle ne nota personne de suspect. Il ne lui restait que quelques mètres avant de bifurquer à gauche pour s’engouffrer dans les petits sentiers en terre battus traversant les terres des SAUREY pour regagner sa maison.
Généralement sur ce tronçon de routes, elle ne se faisait aborder par aucun client. Les maisons étaient trop proches de la rue. Celui qui abordait une femme de petites vertus s’exposait à des quolibets de mauvais gouts de groupes de badauds réunis sous des lampadaires pour rire de tout et de rien.
Ainsi n’accorda-t-elle point d’attention à cette grande voiture qui roulait aux pas ralentis, moteur ronronnant à peine qui suivait sa direction à quelques dizaines de mètres derrière elle.
Elle se mit à chanter à voix haute avec Sylvie Vartan. Elle regarda à gauche et a droite pour traverser la rue et emprunter l’autre trottoir. Elle aperçut encore la voiture qui ne s’était toujours pas arrêtée. Elle allait bientôt tourner à gauche. A partir de là aucune voiture ne pourra la suivre.
Le seul danger viendrait des loups garou. Mais il était encore trop tôt pour croiser ces créatures qui sortent surtout après minuit et respectent les gens de leurs propres quartiers.
Juste avant de tourner, le lalalala de la chanson s’arrêta net. Elle entendit à travers l’écouteur, quelqu’un l’interpeller par son prénom. Elle sortit le lecteur de cassette pour se rendre compte que la cassette continuait à tourner. Elle sortir l’écouteur de l’oreille gauche. Souffla un brin dessus. Et le réintroduit à sa place. En guise de musique, une voix masculine riait à gorge déployée. Elle pensa donc que quelqu’un lui avait joué un tour en enregistrant une blague sur sa cassette. Cependant elle avait bien pris soin de faire ce qu’il fallait pour éviter tout enregistrement accidentel. Quelqu’un l’avait donc fait par méchanceté. Elle se disait qu’elle se paierait le luxe de l’étrangler de ses propres mains ce salaud qui lui aura abimé sa cassette préférée.
- Sabine !
Retentit la voix de nouveau qui ne rigolait plus. Elle se défit du lecteur et de tout ce qui va avec ; tourna sur elle-même pour apercevoir à quelques mètres, la silhouette de la voiture qu’elle avait cru voir un peu plus bas juste après avoir laissé le boulevard Jean Jacques Dessalines.
- Ah ! c’est vous qui m’avez interpelée ? Comment vous avez fait pour me crier à l’oreille ? Que voulez-vous ? J’ai fini de travailler.
- Vous avez fini de travailler ? J’ai l’impression que vous aviez eu une journée plutôt sèche.
- Cela ne vous regarde pas en plus mon travail ce n’est pas de faire de la conversation en pleine rue.
- C’est vrai je m’excuse d’avoir procédé ainsi mais il fallait bien attirer votre attention…
- Vous l’aviez fait et bien fait rassurez vous…que me voulez vous ?
- Laissez-moi commencer par le commencement. Voulez-vous m’accompagner ?
- Vous ne demandez pas mes tarifs ?
- Tarifs de quoi ? Je veux juste que vous m’accompagniez…
- Il vous sera appliqué le tarif par heure
- Vos tarifs ne m’inquiètent pas …venez. Montez.

La portière arrière gauche s’ouvra toute seule. Sabine hésita un instant. L’inconnu lui fit un petit signe de la main. Elle vit sa main et ses doigts et se sentit rassurée. Elle s’installa juste derrière l’inconnu bien assis au volant de sa grande et belle voiture.
(A SUIVRE)
DL

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