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vendredi 29 novembre 2019

Après 14 millions USD dépensés, la grande majorité des lampadaires solaires ne s’allument plus

Deux ans après le tremblement de terre, près de 14 millions de dollars américains ont été dépensés pour installer des lampadaires dans le pays. Aujourd’hui, la majeure partie de ces dispositifs ne fonctionne plus. Des maires dénoncent un gaspillage des maigres ressources de l’Etat
Lancé en 2012 à Port-au-Prince, le projet « Banm limyè, banm lavi » fut l’un des programmes phares de l’administration Martelly/Lamothe.

Ce projet de plusieurs millions de dollars américains, provenant notamment des Fonds Petrocaribe, visait l’éclairage des routes haïtiennes à travers l’installation de lampes solaires dans tout le pays. Il est difficile de trouver des informations sur la quantité de lampadaires installés. Cependant, le rapport de la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif (CSCCA) portant sur la gestion des Fonds PetroCaribe et soumis au Sénat de la République le 31 janvier 2019, parle d’une somme de 13 millions 780 000 dollars américains décaissés pour l’initiative.
Des dispositifs défectueux Aujourd’hui, les lampadaires chapeautés par des panneaux solaires sont dressés sur les principaux axes de Port-au-Prince, mais ne produisent pas de lumière.
À Carrefour par exemple, les 118 lampadaires installés sur la Route des Rails qui s’étend de Mariani à Bizoton ne fonctionnent pas. Pourtant, à part quatre poteaux qui ont été renversés par des véhicules, la majeure partie des dispositifs portent encore deux panneaux solaires, deux ampoules et des batteries.
Sur la route de Bourdon et à Canapé-vert, le constat n’est pas différent : les lampadaires se tiennent debout, mais ne produisent pas la lumière « si nécessaire pour combattre l’insécurité », comme l’a mentionné l’ancien ministre de la sécurité énergétique René Jean Jumeau, lors de la présentation du bilan du projet « Banm limyè, banm lavi », en août 2013.
À Delmas aussi, les lampadaires ne projettent que du « black-out ». Un projet truffé d’irrégularités
Comme gestionnaire du projet, « le Bureau de Monétisation des Programmes d’Aide au Développement (BMPAD) a eu recours à deux résolutions : 11 280 000 dollars américains, le 28 février 2012 et 2 500 000 dollars américains, le 11 décembre 2013 », peut-on lire dans le rapport de la CSCCA.
Dans ce document, l’institution a mis en lumière les irrégularités du projet. Les lampadaires de « Banm limyè, banm lavi » devaient être installés dans les 10 départements du pays. Au lieu de signer dix contrats, le BMPAD a choisi de passer vingt contrats à des firmes.
Sur ces vingt accords, seulement six ont respecté l’article 5.1 de la loi sur la passation de marchés publics. Les quatorze autres contrats ont été passés de gré à gré entre le BMPAD et douze firmes pour un montant total de 133 946 580,50 gourdes.

Qui est responsable ?
Le 13 août 2013, le ministre délégué chargé de la sécurité énergétique René Jean Jumeau parlait, lors d’une conférence de presse à la primature, de l’installation de 8 000 lampadaires solaires à travers le pays à raison de 25 lampadaires dans les villes communales et de 8 dans chaque section communale. Il s’agit du volet « Limyè pèp » qui émane du projet « Banm limyè banm lavi ».
Y avait-il un plan pour l’entretien ? Joint au téléphone sept ans plus tard, René Jean Jumeau, répond par la négative. Selon une feuille de route qu’il avait élaborée, la gestion des lampadaires allait être confiée aux différentes mairies qui à leur tour recevraient une aide de l’État central afin d’assurer la maintenance des lampes, en collaboration avec les firmes privées qui les ont installées.
René Jean Jumeau révèle que Laurent Salvador Lamothe, Premier ministre à l’époque, avait rejeté son plan. Et depuis, aucune décision n’a été prise sur la question.
M. Lamothe a été contacté. Son secrétaire a promis de rappeler Ayibopost. Cet article sera mis à jour s’il réagit.

L’effet dévastateur de la politique
L’autre faux pas dans l’installation des lampadaires solaires a rapport avec la politique.
Selon René Jean Jumeau, il était convenu de passer par les mairies pour placer les dispositifs dans les communes. Cependant, des députés et des sénateurs se sont accaparés des lampadaires dans l’objectif d’en tirer un avantage politique dans leurs circonscriptions électorales.
Aujourd’hui, certaines de ces lampes sont vandalisées par des individus en signe de désapprobation de la politique menée par ces parlementaires.

Qu’en disent les mairies ?
Selon le maire de Carrefour, Jude Édouard Pierre, l’installation de pareilles infrastructures dans une commune sans impliquer la mairie traduit la volonté récurrente de ceux ayant accédé au pouvoir central d’exclure les municipalités.
Parlant d’un « véritable gaspillage des ressources financières de l’État » dans ce projet, Jude Édouard Pierre, également président de la Fédération nationale des maires, dézingue « l’euphorie » et le manque de vision d’un gouvernement qui a pensé à installer 118 lampadaires sur la Route des Rails sans aucun plan pour les maintenir en vie. « Cela prouve que ceux qui ont initié ce projet n’ont pas cru à la décentralisation » fustige le maire. D’un autre côté, Jude Édouard Pierre confie que l’Autorité nationale de Régulation du secteur énergétique (ANARSE) en partenariat avec l’EDH a déjà effectué une évaluation des lampadaires de la Route des Rails dans le but de les réparer. Cependant, les autorités sont encore à la recherche du financement nécessaire pour mener le projet.
À Pétion-Ville, la mairie a pris la décision de réparer les lampadaires solaires. Le maire de la municipalité, Dominique Saint-Roc, dit avoir déjà contacté une firme qui doit évaluer la situation à l’heure où l’insécurité bat son plein dans les rues les plus obscures de la localité. Le projet sera financé par la mairie.
Par ailleurs, selon le directeur général de l’Électricité d’Haïti (EdH), Nicolas Hervé Pierre Louis, les mairies de la région métropolitaine ont une dette de 2,1 milliards de gourdes envers l’institution alors que celles des villes de province affichent 1,9 milliard de gourdes. Ces montants concernent uniquement l’éclairage public.

Source: https://ayibopost.com/apres-14-millions-usd-depenses-la-grande-majorite-des-lampadaires-solaires-ne-sallument-plus/
Auteur : Samuel Celine

D’où vient la crise que traverse Haïti. De très loin répondent les historiens.

D’où vient la crise que traverse Haïti. De très loin répondent les historiens.
La crise que le pays connaît en ce moment est structurelle. Il faut prendre des mesures structurelles pour la contrecarrer expliquent des historiens.
En seulement trois semaines de protestations populaires, beaucoup de choses se sont produites en Haïti. Les activités sont pratiquement paralysées, le président a parlé et des nominations s’en sont suivies. Mais le calme tarde à revenir.
Face à la conjoncture, un ensemble de démarches ont été entreprises par différents secteurs de la nation. Plusieurs professeurs d’université, écrivains, artistes engagés ou non, sont sortis de leur mutisme. Des foules de plus en plus denses se joignent aux fréquentes manifestations.
L’Exécutif est incapable, les parlementaires sont véreux, le pouvoir judiciaire ne peut pas mener le procès Petro Caribe… Tels sont entre autres, les reproches adressés au régime PHTK.
La plupart des protestataires optent pour un chambardement du système, comme c’est le cas pour les signataires d’une pétition signée par des universitaires. Alors que d’autres acteurs ne réclament que la tête du chef de l’État.
Entretemps, la situation demeure chaotique. Ces derniers jours, beaucoup de meurtres ont été perpétrés et le bilan des pertes matérielles est lourd. Jovenel Moïse continue à inviter au dialogue les forces vives de la nation qui se sont levées contre lui.
La crise à laquelle le pays fait face de nos jours n’est pas spontanée. Elle résulte de décisions (forcées ou pas) que les chefs d’États haïtiens ont prises antérieurement
Selon certains historiens, la crise à laquelle le pays fait face de nos jours n’est pas spontanée. Elle résulte de décisions (forcées ou pas) que les chefs d’États haïtiens ont prises antérieurement.
Un État qui a subi
Dans un ouvrage publié en 2010, Haïti : entre colonisation, dette et domination. Deux siècles de luttes pour la liberté, Sophie Perchellet a dressé un panorama des périodes difficiles de l’histoire d’Haïti.
En effet, deux ans après son Indépendance, le chef du nouvel État a été assassiné. Tout compte fait, Jean Jacques Dessalines n’a pas eu le temps de mettre tout son plan en exergue.
L’autre événement majeur qui a marqué l’histoire du pays toujours selon l’auteure est la dette de l’indépendance payée à la France.
L’ordonnance royale de 1825 exigeait la somme de 150 millions de francs-or pour dédommager les anciens colons. Cette somme représentait quatre fois le budget de la France à l’époque si l’on croit Sophie Perchellet.
Cette indemnité a pesé lourd sur l’économie de la jeune nation qui a dû s’endetter auprès d’institutions bancaires françaises pour payer son ancienne métropole.
Le fardeau de l’occupation
L’occupation américaine est un autre événement ayant conduit le pays à des conséquences économiques désastreuses. Le 16 septembre 1915, les États-Unis ont signé une convention avec Haïti qui les autorise à s’emparer des douanes. Ils ont ensuite changé la Constitution pour permettre aux étrangers de posséder des propriétés dans le pays.
Perchellet écrit que les Américains ont contrôlé les finances du pays même après les 19 ans de l’occupation.
Plus tard, le pays connaîtra des instabilités politiques qui déboucheront sur le régime dictatorial des Duvalier qui a quasiment duré trente ans. En plus de mettre toutes les ressources du pays à son profit, François Duvalier a fait des alliances fallacieuses avec la mafia nord-américaine.
Une administration de prévarication
Ce régime répressif a délaissé les paysans qui jusque-là ont constitué un facteur important de l’économie nationale.
Laënnec Hurbon dans Comprendre Haïti relate que des fonds internationaux destinés à l’agriculture ont été détournés par la famille présidentielle dans les années 1980.
L’un des coups forts du duvaliérisme à la classe paysanne a été l’éradication des porcs créoles par l’entremise des États-Unis et des institutions financières internationales.
L’un des coups forts du duvaliérisme à la classe paysanne a été l’éradication des porcs créoles par l’entremise des États-Unis et des institutions financières internationales. Une décision qui a cassé les bras des paysans.
De 1957 à 1986, la dette extérieure du pays a été multipliée par 17,5. Alors que la fortune de la famille Duvalier représentait 900 millions de dollars.
Après Duvalier la situation ne change pas
Sophie Perchellet parle dans son livre du programme d’ajustement structurel que le pays avait adopté pour une sortie de crise.
René Préval a privatisé une bonne partie des institutions publiques. C’est ainsi que la compagnie de télécommunications TELECO est devenue NATCOM après avoir financé à maintes reprises des gouvernements et des instances privées.
Par cette même politique, le pays a libéralisé ses finances et son commerce. Les droits de douane ont chuté. De ce fait, les produits étrangers ont envahi le pays au détriment des producteurs nationaux.
Affaiblissement de la classe paysanne
L’historien Pierre Buteau parle de la faiblesse de la classe paysanne. « Les paysans ne pouvant pas travailler la terre viennent grossir les masses populaires urbaines. En 1986, il y avait quelque 800 000 habitants à Port-au-Prince. Cette population s’élève de nos jours à 3 000 000. »
Selon le professeur, l’État devient faible, car il y a une inadéquation entre la quantité de bouches à nourrir et la quantité de ressources disponibles. « Nous avons un problème de structure de l’État, enchaîne-t-il. L’État est faible. L’État ne fonctionne que pour lui-même. La fonction d’assurer l’unité et la cohésion du corps social n’est pas remplie. »
Quant à Michel Acacia, un autre historien, il pense que l’État est illégitime. « En 1804, c’est la capacité et la disponibilité de l’État à encadrer l’engagement des citoyens à défendre l’intégrité du territoire qui assurait sa légitimité. En 1825, l’option du président Boyer de monnayer l’intégrité du territoire avait mis à mal la légitimité de son gouvernement. »
Il poursuit : « Quoiqu’il en soit de l’origine de l’illégitimité de l’État, une chose est certaine : le gouvernement issu des luttes qui sont menées aujourd’hui contre la corruption et la dilapidation des fonds publics ne jouira de légitimité que s’il entretient la perception de s’attaquer ou de vouloir s’attaquer aux structures qui marginalisent le plus grand nombre. »
« Jean Bertrand Aristide, Michel Joseph Martelly et Jovenel Moïse n’étaient pas préparés à accéder au pouvoir. » Pierre Buteau
Pierre Buteau affirme que les gouvernements qui ont succédé au régime des Duvalier n’ont pas compris l’étendue de la crise. Et l’international qui selon le professeur avait son propre agenda n’a pas aidé en ce sens. « Jean Bertrand Aristide, Michel Joseph Martelly et Jovenel Moïse n’étaient pas préparés à accéder au pouvoir. Le parti Lavalas a causé d’énormes dégâts dans les institutions et le PHTK ne s’en sort pas mieux », lance le professeur.
Selon la lecture des deux historiens, la crise que le pays connait aujourd’hui est la conséquence de la paupérisation des masses populaires, de la faiblesse et de l’illégitimité de l’État.
Que faire ?
Pour une sortie de crise, Michel Acacia pense qu’il faut attaquer la base de la crise. « Il faut d’abord se faire à l’idée que la crise est structurelle, qu’elle porte sur les rapports qui lient et délient les différentes strates sociales.  Sur ce fonds structurel se greffe une crise de légitimité. Il n’y a pas que le gouvernement qui est illégitime ; l’État est illégitime. Chacun sait que l’État n’est pas ce qu’il devrait être. »
Pierre Buteau pour sa part pense qu’il convient de solidifier les secteurs les plus fragiles du corps social. Il entend par là les couches populaires particulièrement les paysans. « Cela doit se faire en priorisant l’agriculture. Il faut se mettre au travail. »
Par ailleurs, le professeur Buteau soutient qu’il faut un recadrage du système politique. « N’importe qui ne peut pas être président », lance-t-il avant d’ajouter que l’Haïtien doit reprendre sa manière modeste de vivre.
Selon le professeur, L’Haïtien vivait modestement autrefois. « De nos jours, des gros commis de l’État aux citoyens lambda, tout le monde vit au-dessus de ses moyens. »
L’historien regrette qu’il y ait autant de parlementaires pour un pays aussi pauvre. Il critique aussi le fait que la famille de la plupart de ces derniers vit dans le luxe à l’étranger aux frais de la République.
Somme toute, Michel Acacia avoue que : « la question à l’ordre du jour est celle d’un changement de « système », c’est à dire des structures sociales. Il reviendra aux organisations de défense des droits humains et de groupes de pression comme le Rasanbleman pou Diyite Ayiti (RADI) de maintenir une vigilance soutenue pour que le pays ne revienne pas au même ou ne sombre dans le pire. »
Source : https://ayibopost.com/dou-vient-la-crise-que-traverse-haiti-de-tres-loin-repondent-les-historiens/?fbclid=IwAR0DKU-UjlzxHUTxazcNMtR1yLrOfMaipMUpaW4Ddn5-G3RPs5ISJfqlG3g
Auteur : Laura Louis