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mardi 15 mai 2012

L’Haïtienne de Matisse

Qu’est-ce qui séduit dans ce dessin datant de 1943 et que Matisse nomme L’Haïtienne ? Dans ce portrait, l’œil est émerveillé par l’ondulation des boucles timides qui rappellent un croissant de lune. La tête est ornée d’un bandeau dont la posture est celle d’une fleur. La parure féminine est, de part en part, apparence, elle adhère au corps, elle est aussi promesse. On découvre des yeux étonnés et des lèvres énigmatiques dans une élégante béatitude. Il n’y a rien de plus subtil, que ce moment où une échancrure rime avec une chair. Les lèvres murmurent un bruit d’étoffes précieuses qui laisse entendre le chuchotement des dentelles. Ce portrait donne à voir la lumière du désir, que le galbe d’une oreille nous révèle dans un surcroît d’intensité et de sensualité heureuse. Un rapport est instauré, une circularité établie. La fluide douceur de ce portrait nous rappelle que la peinture est avant tout la musique par laquelle on libère une émotion. La vie est ce qui dévie de la règle. Loin de la nier, la verticale met en valeur cette déviation. La révolution dont Matisse est l’auteur ne vise-t-elle-pas à rendre à l’art la condition qui fut la sienne ? Vivre l’art comme la plaque tournante entre le quotidien et le sacré, le sas entre deux mondes dissemblables, un intermédiaire entre les hommes et les dieux ? A Byzance, Matisse avait dans atelier des photographies de Sainte-Sophie et des spécimens d’art africain. On sait que Matisse a été l’un des tous premiers peintres à s’intéresser aux statuettes africaines rapportées par les voyageurs au début du 20ème siècle à une époque où elles étaient perçues comme des curiosités exotiques,comme en témoigne sa fameuse sculpture intitulée Les deux négresses.
On se souvient de la célèbre définition de Fusées, dans laquelle Baudelaire parlant de Delacroix donne sa propre conception du Beau. L’auteur des Fleurs du Mal l’illustre avec l’exemple du visage d’une femme :
« Une tête séduisante et belle, une tête de femme, veux-je dire, c’estUne tête qui fait rêver à la fois, -mais d’une manière confuse, -deVolupté et de tristesse; qui comporte une idée de mélancolie, delassitude et même de satiété, -soit une idée contraire, c’est-à-direune ardeur, un désir de vivre..[1].
Henri Matisse dans Propos sur l’art précise : « Le visage humain m’a toujours beaucoup intéressé. J’ai même une assez remarquable mémoire pour les visages, même pour ceux que je n’ai vus qu’une seule fois. En les regardant je ne fais aucune psychologie mais je suis frappé par leur expression souvent particulière et profonde. » Le seul mot qu’on connaisse de Rembrandt est celui-ci : « Je n’ai fait que des portraits[2] »
Les femmes, les fleurs, les objets élus par Matisse changent de substance sans rien perdre de leur présence. Loin de devenir plus distants du spectateur, ils s’en rapprochent.Aragon explique que si l’on voulait trouver un équilibre de la « facilité » de Matisse, il faudrait le chercher chez Bach. Mais prévient Matisse, « le modèle ne doit pas être coulé dans le moule d’une théorie ou d’un effet préconçu, il doit vous impressionner, éveiller en vous une émotion qu’ensuite, vous chercherez à exprimer » L’émotion perd ici toute note péjorative pour devenir l’essence même de la peinture. Vers la fin de sa vie, Henri Matisse fit cette confidence au Père Couturier : « On dit que mon art vient de l’esprit. Ce n’est pas vrai : tout ce que j’ai fait, je l’ai fait par passion. » Et l’auteur de L’Haïtienne d’ajouter : « Vous pouvez considérer ce modèle noir comme une cathédrale…Mais de temps en temps il est nécessaire de se rappeler que c’est un Noir et de ne pas le perdre, ni de vous perdre vous-mêmes dans votre construction. »
Elvire MAUROUARD
http://lewebpedagogique.com/litterature_negre/lhaitienne-de-matisse/

Les fils de Toussaint Louverture

La frégate qui portait les enfants de Toussaint Louverture s’était en vain présentée devant le Cap le 15 pluviôse (3 février). La terre lui avait refusé des pilotes, et les balises ayant été enlevées, elle n’avait osé s’engager dans les passes ; par suite de cette circonstance, la guerre était en pleine activité avant que les jeunes Louverture eussent pu lui remettre la lettre du premier consul et remplir leur mission de paix. Toussaint Louverture n’arriva à Ennery que dans la nuit du 20 au 21 pluviôse (du 8 au 9 février 1802) à deux heures du matin, il les embrassa avec émotion. M.Coisnon, leur instituteur voyant des larmes couler crut le moment favorable pour dire : « Est-ce bien Toussaint, le serviteur de la France, qui me tend le bras ? »Toussaint Louverture lui répondit, en se jetant à son cou : « Pouvez-vous en douter ! »M.Coisnon lui dit alors : « Général, vous allez entendre vos enfants ; ils sont en ce moment auprès de vous les fidèles interprètes des intentions du premier consul et du capitaine général de la colonie ; croyez à leur innocence et à la pureté de leurs sentiments ; c’est l’exacte vérité qu’ils vont vous annoncer. » Le jeune Isaac prit la parole et rendit fidèlement à son père ce que lui avait dit le premier consul et le capitaine général leclerc.
Toussaint embrassa ses fils avant de s’en séparer. Ce ne fut que dans la nuit du 22 au 23 pluviôse (du 11 au 12 février 1802) que M.Granville qui élevait dans son institut des Gonaïves le troisième fils de Toussaint Louverture arriva à Ennery, porteur d’une dépêche. En effet Toussaint Louverture lui avait intimé l’ordre de ramener au capitaine général Leclerc ses enfants venus de France.
Le capitaine général s’empressa de lui renvoyer ses enfants, avec une réponse dans laquelle il l’engageait à venir concerter avec lui les moyens d’arrêter les désordres à Saint-Domingue lui donnant sa parole « que le passé serait mis en oubli ; qu’il serait traité avec la plus grande distinction, s’il se rendait à l’appel qu’on lui faisait, il serait à l’instant même proclamé le premier lieutenant du capitaine général de la colonie. »
Le général Leclerc finissait sa lettre en disant à Toussaint Louverture que bien qu’il eût pour instruction précise de ne point discontinuer les opérations de guerre, s’il était dans le cas de les commencer, il voulait bien dans l’espoir d’un rapprochement, condescendre à une armistice de quatre jours ; mais que passé ce délai, il le déclarerait par une proclamation, ennemi du peuple français, et le mettrait hors la loi.
Toussaint Louverture dit à ses enfants qu’il « les laissait libre de choisir entre leur patrie et leur père ; qu’il ne blâmait pas leur attachement pour la France à laquelle ils devaient leur éducation ; mais qu’entre la France et lui il y avait sa couleur… « Mes enfants, prenez votre parti ; quel qu’il soit je vous chérirai toujours. »
Isaac se détache tout à coup des bras de son père : « Eh bien : lui dit-il, voyez en moi un serviteur fidèle de la France, qui ne pourra jamais se résoudre à porter les armes contre elle. »
Toussaint pétrifié bénissait Isaac alors même qu’il s’éloignait. Pendant ce temps son autre fils nommé Placide se jetait en sanglotant à son cou : « Je suis à vous, mon père ; je crains l’avenir, je crains l’esclavage ; je suis prêt à combattre pour m’y opposer ; je ne connais plus la France. »
Toussaint Louverture lui remit alors le commandement d’un des bataillons de sa garde. Le commandant Placide Louverture sera lui aussi l’un des pères de la révolution de Saint-Domingue.
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