Alors que l'Éducation est décrétée priorité n°1 d'Haïti depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2010, Radio France a inauguré vendredi une école maternelle et élémentaire flambant neuve à Savanette, gros bourg isolé de l'Est haïtien.
Haïti : une nouvelle école pour Savanette © FranceInfo
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La raison se nomme Pauline Auguste, 61 ans, Haïtienne, originaire de la région, fondatrice d'une petite association basée à Bagnolet baptisée "Donne ton coeur pour Haïti" et surtout préposée au courrier à la Maison de la Radio. Pauline mesure 1,50 et des poussières, s'autoproclame "maladivement timide" mais a eu le culot quelques mois après le séisme du 12 janvier 2012 d'aller frapper à la porte du patron, le président de Radio France, Jean-Luc Hees. L'aventure commence là en août 2012. Savanette fait régulièrement les frais de la crue de son fleuve, mais a été épargnée par le tremblement de terre. Et de nombreux habitants de Port-au-Prince, rescapés des décombres, reviennent dans leur campagne d'origine pour y trouver refuge. La population grossit, celle des écoliers aussi.
"On n'a pas pu mettre de l'argent mais du temps pour cette école"
La petite école fondée par Pauline en 2005, dans une grange aux quatre vents qui sert aussi d'église, ne suffit plus. Le tremblement de terre surtout, et la désorganisation qui s'ensuit, imposent l'évidence : le pays manque de cadres, les rares universitaires émigrent, le seul espoir réside dans l'éducation. En finir avec cette simili-fatalité qui laisse près d'un enfant sur deux à la porte de l'école.
Le projet se dessine. Radio France, entreprise publique, n'a juridiquement pas le droit de recevoir ou faire des dons, quels qu'ils soient. "On n'a pas pu mettre de l'argent, mais du temps, explique Alain Faucheur, responsable des opérations spéciales de Radio France, en charge du projet. Nous avons servi de catalyseur, fait marcher nos réseaux". La Fondation Architectes de l'Urgence, en Haïti depuis le lendemain du séisme, est aussitôt de l'aventure pour étudier le terrain et dessiner les plans. Restent à trouver des financeurs.
Des classes claires et ventilées pour supporter le cagnard haïtien © Radio France Cécile Quéguiner
Un chantier-école de sept mois
Un appel à dons est lancé sur les antennes de Radio France, permettant de récolter près de 30.000 euros. Le groupe GBH apporte le plus gros. Architectes de l'urgence aussi donne son pécule, complété par SFR, la Fondation Yves Rocher et la Fondation Varenne. Budget : 330.000 euros, de quoi construire une nouvelle école à Savanette, et rénover du même coup un orphelinat à Mirebalais, sur la route, qui accueille une trentaine de gamins de Port-au-Prince. Un chantier de sept mois. "Chantier-école", précise Patrick Coulombel, le président d'Architectes de l'urgence. C'est-à-dire qu'on a fait appel aux gens du coin, qu'on a formé aux techniques de construction parasismiques notamment. Et on a utilisé les ressources locales. Les pierres, les granulats, viennent du lit de la rivière à 300 mètres d'ici". Résultat : cinq immenses salles de classe ventilées, une cuisine, un préau couvert, et des toilettes sèches.
Frais d'"écolage" et système D
Un menuisier haïtien, Chef Benoît, a réalisé les dernières finitions jeudi dernier avant l'inauguration. Mais la rentrée a eu lieu, comme partout ailleurs en Haïti, en octobre. Avec 230 enfants inscrits pour cinq gourdes, soit quelques centimes d'euros, une somme symbolique dans un pays où près de neuf écoles sur dix pratiquent des tarifs exhorbitants.
Ici, certains enfants ont donc pu mettre les pieds pour la première fois à l'école cette année. À trois, six ou 12 ans. Les gamins en uniforme bleu ont fière allure sous ce soleil d'hiver qui frappe fort, mais l'établissement n'échappe pas aux travers de l'Éducation haïtienne. Des classes déséquilibrées où les enfants ont parfois cinq ou six ans d'écart. Métali, par exemple, à 15 ans, pointe en CE1. Tandis qu'Odaline, 12 ans, rentre... en maternelle.
Autre travers : la formation des professeurs. "Pour enseigner en élémentaire, il nous faudrait des enseignants à bac + 2 ou 3, comme chez vous, explique Dejean Thélon, le flegmatique directeur de l'école. Mais ces gens-là réclame 500 euros de salaire pour venir à Savanette, où on n'a pas de route, d'électricité, de structures pour les accueillir. C'est trop pour notre association". Système D : ce sont donc cinq lycéens et collégiens (de 20 ans et plus) qui enseignent ici le matin, avant d'aller prendre leurs cours l'après-midi. Leurs profs à eux ? Des étudiants. Un cercle vertueux dans cette région agricole majoritairement analphabète.
15.000 euros par an
C'est le budget évalué pour faire maintenant tourner l'école "Génération de la ronde" pendant un an. De quoi payer les salaires (l'équivalent de 100 euros mensuels) de ces professeurs, du directeur, du gardien, et bientôt fournir un repas par jour à chaque enfant.
"Il reste aussi quelques bricoles à faire, convient Patrick Coulombel. Des travaux de drainage sur le terrain, et l'installation d'un générateur, faute d'électricité. Car la 1ère ligne électrique se trouve à des kilomètres et en ce moment, il fait quasiment nuit à 17 heures. C'est dommage que l'école soit inutilisable à cette heure-là". Pauline, elle, est pragmatique : "On va faire avec, modeler, enjoliver cette école avec les enfants". Une idée la travaille en ce moment : revenir s'installer ici, dès sa retraite, pour faire des arts plastiques avec les timoun (les enfants en créole). C'est elle qui leur a appris à manier les ciseaux afin de fabriquer des dizaines de guirlandes en papier, pour accueillir la délégation de Radio France, de la Fondation Architectes de l'Urgence, et les donateurs de GBH, SFR et la Fondation Yves Rocher.
Jean-Luc Hees, le PDG de Radio France, raconte son expédition à savanette
"La génération de la ronde" est le nom d'un mouvement littéraire haïtien du 19e siècle.
http://www.franceinfo.fr/education-jeunesse/une-ecole-pour-savanette-trois-ans-apres-le-seisme-haitien-837495-2012-12-18