Les causes de nos malheurs actuels semblent résider dans notre incapacité de nous renouveler, d'organiser ou de réaliser une véritable communauté nationale qui - à partir d'une structure politique, économique - travaille inlassablement à assurer l'avènement du progrès social. Alfred de Vigny aurait - s'il n'était pas mort et avait suivi l'évolution de la société haïtienne - regretté amèrement d'avoir dit qu'«un homme passe, mais un peuple se renouvelle». Nos Aïeux, forgeurs de liberté et bâtisseurs de citadelle, ont passé, mais le peuple haïtien ne s'est toujours pas renouvelé, n'a pas encore senti l'impérieuse nécessité de renouveler les structures de l'Etat qui intégreraient toutes les relations familiales, individuelles, intellectuelles, d'affaires ou de travail pour influencer l'évolution structurale du groupe social.
2004 a un goût d'inachevé qui résume toute l'incapacité de notre pays à se renouveler. Le monument qui devait symboliser la célébration des 200 ans de notre indépendance est en suspend. Depuis près de quatre ans, nous ne pouvons nous résoudre ni à l'achever, ni à le démonter... De même nous trébuchons depuis des lustres, incapables de faire le moindrechoix important pour notre avenir.
Au regard de notre passé, du destin originel de cette nation, nous devons aujourd'hui reconnaître que nous sommes des incapables, des descendants dégénérés des fondateurs de cet Etat. Partis d'un sursaut collectif, d'un exploit inscrit dans l'histoire universelle, nous ne parvenons pas encore à incarner l'Etat pour dégager une conception, une vision suffisante de l'intérêt général, du bien-être collectif. A instaurer ou à restaurer l'autorité de l'Etat dans le sacrifice ou dans l'harmonisation des intérêts particuliers en vue de satisfaire au maximum l'intérêt général, de procurer, en conséquence, «le plus grand bien au plus grand nombre» et de donner «le pouvoir au plus capable».
La pauvreté n'est pas une excuse autant qu'elle n'empêche Haïti de produire de brillants intellectuels, d'éminents médecins, ingénieurs, scientifiques, de riches et respectueux hommes d'affaires, de grandes dignités morales et religieuses, de solides techniciens, des artistes de renom... De dimension, de rayonnement, de popularité, de reconnaissance internationale. Les causes de nos malheurs sont que ces réussites sont individuelles, participent d'un sauvetage individuel. Ces individus intelligents, civilisés ou riches se désintéressent des faits collectifs. Par égoïsme ou par lâcheté. Ces intellectuels, ces hommes d'affaires, ces références, ces experts ne se sentent pas responsables du comportement collectif et du progrès collectif.
Rien d'étonnant que les Aïeux passent que le peuple ne se renouvelle, que l'Etat traîne sa déchéance à tous les niveaux, national et international.
Durant plus de deux cents ans, l'Etat s'est déconstruit au lieu de se renouveler ; le groupe social s'est désagrégé au lieu de rechercher perpétuellement les points d'ancrage de son identité. Durant plus de deux cents ans, les élites intellectuelle, économique et politique, ont raté les occasions de l'histoire pour marquer la rupture vers un nouvel ordre social, vers une nouvelle forme ou un nouveau mode d'organisation sociale. Or, il est reconnu que les crises socio-économiques ou socio-politiques sont souvent l'occasion pour les peuples de se montrer inventifs, créatifs, capables de se relever. Sans jamais la souhaiter, l'adversité est un grand champ d'expérimentation, une grande école pour les hommes doués et de bonne volonté. Durant plus de deux cents ans, les élites intellectuelle, économique et politique ont bradé le patrimoine national. Par orgueil, par avidité, par cupidité, par égoïsme, par lâcheté.
Pour tout autre peuple, la construction de la Citadelle Henri Christophe jurerait avec l'élévation de Cité Soleil au rang de commune près de deux cents ans plus tard. Le lycée Alexandre Pétion resterait une référence et constituerait encore le bastion des intellectuels et des surdoués et ne serait pas tombé en ruine. Le Palais Sans-Souci attirerait la convoitise des visiteurs de toutes les nations. Le Pic Macaya, le Parc La Visite, la Forêt des pins constitueraient le poumon de la Caraïbe et seraient classés parmi les réserves naturelles et/ou biologiques. La ville du Cap-Haïtien, pour son architecture et son histoire, serait transformée en un vaste musée historique de l'esclavage. L'ancienne cathédrale de Port-au-Prince et celle de Hinche constitueraient des reliques historiques et religieuses. Les forts du pays se dresseraient encore majestueux, non pour conjurer un retour éventuel des Français, mais pour sceller un contrat d'obligation de mémoire. Le Bel-Air ne serait pas transformé en bastion électoral, estropiés politiques, mais bénéficierait d'un plan d'urbanisme rénovateur... Rien d'étonnant que les Aïeux passent, que le peuple ne se renouvelle, que l'Etat traîne sa déchéance à tous les niveaux, national et international... Durant plus de deux cents ans, les élites intellectuelle, économique et politique ont bradé l'honneur national, la souveraineté nationale, le patrimoine national. Par orgueil, par avidité, par cupidité, par égoïsme, par lâcheté!
Les causes de nos malheurs sont d'ordre politique. L'accession aux plus hautes sphères des pouvoirs publics ne prend pas sa source dans l'autorité que confèrent la suprématie de la science, la supériorité de l'intelligence, du savoir, les exigences de la morale, de l'éthique, de bonne gouvernance...
La haute fonction publique n'est pas convoitée pour la satisfaction du devoir accompli dans la gestion de la chose publique, mais pour les privilèges, les avantages, le prestige qu'on peut en tirer. S'il en était autrement, les charges de la gestion de ce pays «en faillite» auraient effrayé et écarté d'office ceux qui n'ont pas de vision, de programmes d'action visant le développement national.
Il est loisible, dans ces conditions, que chaque gouvernement, chaque administration se cache derrière l'argument suprême selon lequel il a hérité d'un pays dévasté, ravagé par les coups d'Etat, avec une couverture végétale de moins de cinq pour cent (5%), avec une économie atrophiée, et patati, patata.
Les causes de nos malheurs sont d'ordre économique. L'instabilité politique - qui détruit les capacités de l'Etat d'assurer aux entreprises commerciales et industrielles la sécurité de fonctionnement et de production - réduit considérablement les activités économiques du pays, qui a ainsi raté toutes les révolutions, industrielles, technologiques et autres.
Il est, dans ces conditions, naturel que le pays soit considéré comme un port de transit ou un vaste comptoir de vente de produits importés et que ses principales villes soient transformées en de vastes bidonvilles par un prolétariat urbain agressif dans l'expansion du secteur informel. Avec comme corollaire obligé l'appauvrissement du secteur agricole ou la dégradation accélérée de la vie paysanne.
On peut conjurer cette fatalité du sous-développement, dissiper ce mal-être existentiel, ce malaise social si les élites intellectuelle, politique et économique se résolvent à la réalisation d'une véritable communauté nationale par la reconnaissance de leur responsabilité commune dans le projet collectif à élaborer, à concevoir, à exécuter. Si elles sont déterminées à s'ouvrir les unes aux autres, à ne plus se constituer en castes gardant jalousement leurs privilèges, arborant les mêmes prétentions, les mêmes préjugés, à élargir leur secteur respectif, pour la promotion ouverte, à tous les héritiers de ce coin de terre.
C'est dans le renouvellement de son engagement social, de sa foi en ce sauvetage national, collectif possible que le journal Le Nouvelliste - témoin plus que centenaire de nos errements, de nos actes manqués, de nos turpitudes - forme des vœux de solidarité, de prospérité, de bonheur à tous ses lecteurs, collaborateurs et commanditaires à la veille du 204e anniversaire de notre Indépendance.
Nous souhaitons une heureuse année 2008 à toutes les Haïtiennes, à tous les Haïtiens qui croient encore et travaillent à ce sauvetage national, collectif possible.
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=52623&PubDate=2007-12-28
Notre avis:
Un excellent article du doyen des journaux haïtiens, Le Nouvelliste qui encore une fois appelle à la prise de conscience, à cet effort conjuguant le sens du devoir et la valeur de l’abnégation pour amorcer l’escalade de la pente ascendante. Un appel à notre capacité de nous renouveler. Se renouveler sous entend que l’on a existé à un moment de la durée. Il faudrait pour certains de nos compatriotes se convaincre de cette grande vérité.
Nous aimerions des messages de cet acabit en lieu et place des invectives et des messages codés mal décodés avec les résultats que nous subissons tous et que supportons très mal. Nous aimerions ces analyses de consciences à ces écrits mimant un style mal travaillé type lodyans.
Il faudrait que nous apprenions et que nous nous évertuions à nous renouveler pour ne pas cesser d’exister…