J'ai été invité dernièrement par la Télévision nationale d'Haïti à participer à une table ronde sur la problématique du littoral de la baie de Port-au-Prince. Je partage ici avec les lecteurs du Nouvelliste les remarques et propositions publiques que j'ai faites lors de cette rencontre.
D'aucuns se souviennent de notre fameux «bicentenaire» conçu par l'homme des Verrettes en 1949, point culminant de l'âge d'or du tourisme haïtien. Les bateaux de croisière mouillaient ou accostaient jusque dans les parages du quai Colomb en face de la place de la Mairie de Port-au-Prince.
Colomb, mis à genoux, comme pour épier sa peine, depuis des années dans l'arrière court de l'hôtel de ville de Port-au-Prince, attend courageusement d'être gracié par le peuple en colère qui l'a mis là. Il est temps que le tribunal de l'histoire du peuple se prononce définitivement sur le cas : «Haïti Vs Christophe Colomb.
Le littoral dans cette partie de la baie se trouve dans un état déplorable et est devenu méconnaissable. Quelque chose doit être fait dans l'immédiat pour sauver le paysage urbain de Port-au-Prince. La transformation du bord de mer en poubelle ne s'est pas produite du jour au lendemain; elle a pris des années et elle a été faite au vu et au su de toutes les autorités locales, nationales, et de la société civile organisée.
Une grande partie de ce désordre écologico-sanitaire se trouve à quelques mètres de l'Hôtel de Ville, du ministère des Affaires étrangères et du Parlement haïtien. Peut-être que c'est par pure ignorance ou par manque de volonté politique, mais toute une génération de nos hommes d'Etat a failli à l'une des plus importantes missions confiées à l'homme qui est de protéger l'environnement, en particulier l'environnement marin, le littoral qui fait partie intégrante du paysage urbain qui peut et doit être utilisé à des fins d'embellissement urbain.
Le problème de littoral mal traité, mal utilisé n'est pas seulement commun à Port-au-Prince ; toutes les villes côtières d'Haïti sont menacées. Cette génération a aussi trahi la mémoire de Dumarsais Estimé en abandonnant la poursuite de son rêve qui était de faire de Port-au-Prince le nerf central du tourisme caribéen. Estimé avait commencé aussi à faire du bord de mer le plus beau de la Caraïbe.
Il y a ceux qui ne se souviennent pas ou qui ignorent que l'hôtel Beau Rivage, le site actuel de la USAID en Haïti au Boulevard Harry Truman, avait une vue superbe de la rade de Port-au-Prince. De nos jours, on ne sait pas si on se trouve au bord de la mer quand on est dans la zone.
L'association des pêcheurs de Martissant/Mariani vous dira que la situation est tellement lamentable que les poissons ont fui la baie de Port-au-Prince. La rénovation de la place d'Italie sous la première présidence de René Préval a été une bonne initiative: mais ne faisant pas partie d'un «Master plan» (à long terme), elle ressemble aujourd'hui à du saupoudrage politique et de l'argent gaspillé parce que c'est toute la zone qu'on devait intégrer dans un vaste programme de redéveloppement urbain.
Pour l'histoire, rappelons que des Dominicains sont venus en Haïti en plusieurs occasions pendant les moments forts du Bicentenaire pour s'informer et voir de leurs propres yeux comment nous autres avons pu transformer notre bord de mer en ce lieu enchanteur. Ils ont copié le plan d'urbanisation du bas de la ville qui était dans un état piteux à l'avènement d'Estimé au pouvoir.
De retour en République Dominicaine, ils ont créé leur «Malecon» à Santo-Domingo et à Puerto Plata qui faisait partie de leur plan directeur du tourisme. Nous ne pouvons plus continuer à utiliser le littoral comme habitat humain avec toute la pollution que ça engendre, alors que des lieux plus appropriés qui pourraient être affectés à la construction de logis sont restés vides.
Que faut-il faire ?
Ce ne sera pas une tâche facile; mais les autorités locales et le gouvernement central devront instituer une politique de sauvegarde du littoral en nommant une commission pour étudier la faisabilité de :
1) Relocaliser tous les riverains qui ont fait du littoral leur habitat de Cité Soleil à Mariani
2) Renforcer l'OSAMH ou créer une autre instance pour gérer le morne l'Hôpital suivant les lois de la bonne gouvernance environnementale
3) Procéder à l'introduction d'un vaste programme d'éducation civico-environnementale des riverains qui vivent le long des bassins versants (gestion des déchets solides et construction de latrines)
4) Entreprendre le gabionnage des bassins versants qui déversent dans la baie de Port-au-prince
5) Assainir les bassins versants et le bord de mer de Fort Dimanche à Mariani
6) Draguer la baie de Port-au-Prince entre le Wharf de l'APN et Cité de l'Eternel pour rendre plus facile le mouillage et l'accostage des paquebots de croisière
7) Joindre le Boulevard Harry Truman à une nouvelle route à trois voies qui relierait les zones précitées
8) Interdire le transport public et les poids lourds sur cette nouvelle route
9) Construire un mur de séparation entre le marché de la Croix-des-Bossales et le Boulevard la Saline, du marché Hyppolite tout près de l'Hôtel de Ville à la gare du Nord ou Carrefour Wharf Jérémie
10) Encourager (subventionner) le cabotage comme moyen de transport en commun entre les communautés le long du littoral de la baie
11) Aménager un quai/Marina moderne dans la baie pour promouvoir le tourisme maritime local et pourquoi pas? louer des yatch et des petits bateaux de plaisance ?
L'assainissement, la revitalisation et le redéveloppement du bord de mer de Port-au-Prince sont là. Rappelez-vous qu'on avait traité Estimé de fou en voulant construire la cité de l'exposition au bord de mer.
Jean Pierre Alcindor
Centre haïtien pour l'avancement du tourisme
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