11 mars 2017 | Guillaume Bourgault-Côté à Port-au-Prince, Haïti
Le Conseil de sécurité des Nations unies décidera dans un mois de l’avenir de la mission des Casques bleus en Haïti. Un retrait militaire est presque certain, mais le volet policier — auquel collabore le Canada — devrait être maintenu : la police nationale n’est en effet pas prête à prendre le relais. Reportage.
« Hey you ! » Dans le dédale des rues et passages de Cité-Soleil, des enfants surgissent de partout pour présenter leurs petits poings fermés aux quelque 25 militaires brésiliens qui patrouillent. Ceux-ci libèrent une main de leur arme pour venir cogner doucement les jointures des jeunes. Qui repartent amusés de la scène.
Ce vendredi après-midi, le plus important bidonville de Port-au-Prince avait des airs paisibles — si le mot peut être employé dans ce concentré de pauvreté extrême. Pour les Casques bleus en service, ce fut une patrouille de routine : essentiellement pour « se faire voir », mentionne Fernando Silva, un des commandants des troupes brésiliennes.
Ni anicroche ni menace, presque une marche de santé — hormis l’impression de cuire sous cette veste pare-balles et ce casque militaire (bleu, bien sûr). Après quelque 90 minutes à sillonner la zone à pied et en camion, les militaires regagnent leur quartier général — une succession de bâtiments en tôle, pas une once de verdure — pour un débriefing qui se résume en deux mots (calme plat) et un geste (pouce en l’air). C’est d’ailleurs souvent le cas, même si Cité-Soleil demeure une zone sous pression, reconnaît M. Silva.
C’est pour cette raison que l’ONU songe ouvertement à mettre un terme au volet militaire de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH). « La composante militaire de la MINUSTAH [quelque 2350 soldats] devrait selon toute vraisemblance s’effacer dans un avenir relativement proche », indiquait il y a trois semaines le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, Hervé Ladsous. Selon lui, les tâches militaires ne « s’imposent plus dans le contexte sécuritaire qui est celui d’Haïti ».
Photo: Guillaume Bourgault-Côté Le Devoir
Des Casques bleus brésiliens en patrouille vendredi dans Cité-Soleil. Le Brésil fournit près de 40% de tous les effectifs militaires de la MINUSTAH, qui devraient être réduits dans les prochains mois.
M. Ladsous vient de terminer une évaluation complète de la MINUSTAH : ce qu’elle fait, ce qu’elle ne devrait plus faire, ce qu’il lui reste à accomplir. Il déposera mercredi prochain son rapport au secrétaire général des Nations unies. Le mandat actuel de la mission vient à échéance le 15 avril : le Conseil de sécurité décidera alors de son avenir.
À Port-au-Prince, la rumeur est partout la même dans les milieux diplomatiques ou onusiens. On s’attend à ce que le Conseil de sécurité prolonge la mission pour une période de six mois, tout en annonçant que ce sera le dernier mandat du volet militaire.
Le volet policier — l’accompagnement de la Police nationale d’Haïti (PNH) par quelque 2600 policiers, dont certains font partie d’unités quasi paramilitaires — ne serait toutefois pas menacé à court terme, dit-on. Hervé Ladsous le mentionnait lui-même : « Il y a encore beaucoup de travail à faire sur la police. »
Canada
En attendant la décision du Conseil de sécurité, « tout le monde spécule et fait des scénarios A, B et C » pour la suite des choses, confiait jeudi un diplomate. Qui restera ? Avec quels effectifs ? Mystère. À l’ambassade canadienne, les impacts possibles d’un changement d’orientation de la mission sur la sécurité du pays « font partie des deux grandes préoccupations » du personnel, indique-t-on.
Pour le Canada, l’impact devrait toutefois être minime : les 90 Casques bleus canadiens sont dans les faits des Bérets bleus, dont une majorité de Québécois prêtés par 11 services de police à travers la province. L’essentiel du travail qu’ils effectuent se concentre dans trois secteurs : la formation des cadres, le développement d’une police communautaire et la mise sur pied d’un secteur du renseignement criminel (un programme qui en est aux balbutiements, disait son responsable au Devoir jeudi).
De manière générale, les policiers québécois conseillent, forment, encadrent. Ils patrouillent aussi en tandem avec des policiers haïtiens, mais ils n’ont pas le pouvoir de faire des interventions directes ou des arrestations. « On est vraiment là en appui », dit le Québécois Sylvain Lemay.
Ce dernier est numéro 2 du commandement policier de la MINUSTAH. Et lui non plus ne semble pas douter qu’il restera quelques mois de plus en Haïti. « La police a fait de grandes avancées, elle a atteint une certaine maturité, mais il faut poursuivre le travail entamé », indique celui qui a fait carrière au Service de police de la Ville de Montréal.
Progression
Sur le mur de son bureau d’un baraquement de la MINUSTAH (où il flotte un parfum d’encens pour « couper l’odeur d’humidité de la climatisation »), Sylvain Lemay a un tableau rempli de cases et frappé d’un chiffre écrit en caractères gras : « 64,6 % ». C’est le pourcentage des objectifs atteints par la Police nationale d’Haïti au terme de son « plan de développement 2012-2016 ». Un résultat qu’il juge encourageant, mais qui montre aussi le chemin à parcourir.
L’heure est maintenant au « plan stratégique 2017-2021 », pendant lequel la PNH devrait être en mesure de prendre son plein envol, souhaite-t-on. « Il est un peu plus modeste que le précédent plan, dit Sylvain Lemay, parce qu’on sait qu’on va partir et qu’on veut donner à la PNH la capacité de procéder aux réalisations même quand la MINUSTAH sera partie. »
Déjà, une certaine transition est amorcée, note M. Lemay. « On a commencé à retirer les effectifs [des Bérets bleus] dans les commissariats pour concentrer nos énergies vers les membres les plus importants de la PNH », signale-t-il.
Sur ce, le chef tourne sa chaise vers un autre mur. Il y a là une affiche avec les photos de tous les dirigeants de la police nationale haïtienne. « C’est eux qu’on vise », dit-il en montrant du doigt le sommet de la pyramide. Le message ? « On va partir bientôt, préparez-vous. » L’idée ? Ce qui est assimilé au sommet va percoler jusqu’à la base.
« Les résultats sont déjà intéressants, argue Sylvain Lemay. Et plus ça va, plus ça va s’améliorer. Les gens deviennent plus professionnels, il y a un inspecteur général qui gère les bavures, on a une académie de police capable de faire graduer plus de 2000 candidats en deux ans… »
Effectifs
Pour le moment, les effectifs de la PNH demeurent nettement insuffisants, reconnaît-on à la MINUSTAH. On compte 13 100 policiers, ce qui laisse un ratio policiers/habitants bien en deçà de la norme internationale (2,2 policiers pour 1000 habitants ; Haïti est à 1,3 pour 1000).
Trois conséquences parmi d’autres : les patrouilles sont pratiquement invisibles la nuit ; certaines communes ne sont pas desservies ; et il y a un manque important de femmes policières (moins de 9 % des effectifs).
« Dans la prochaine promotion, elles sont 12 %, relève M. Lemay. Plus on va en recruter, et mieux on pourra travailler les questions de genre » auprès de la communauté, dit-il. Un aspect d’autant plus important que « les droits des femmes et des enfants haïtiens sont souvent bafoués et qu’il y a des viols collectifs [c’est arrivé encore en janvier] », rappelle le commissaire adjoint.
Croit-il réalistement que la PNH pourra bientôt s’occuper seule de la sécurité au pays, sans toute la logistique de l’ONU ? Sylvain Lemay adopte un ton résolument positif à cet égard. Mais il souligne du même coup que « l’aide bilatérale [par exemple, un corps policier qui envoie des gestionnaires sous l’égide de l’ambassade canadienne] est appelée à prendre beaucoup de place dans le futur » post-MINUSTAH.
D’ici là, les policiers de l’ONU vont poursuivre la formation de la PNH. Et les Casques bleus brésiliens pourront continuer à arpenter Cité-Soleil à coup de « fist bump »… tant que le calme règne.
Notre journaliste séjourne au pays à l’invitation de la Fondation Haïti Jazz.
http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/493755/haiti-place-aux-berets-bleus
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)