Depuis l’année dernière, je ne cesse de me poser les mêmes questions autour de la disparition forcée d’un des haïtiens dignes de ce nom que le pays a eu la chance d’engendrer. Comment fait-on pour assassiner un JEAN LEOPOLD DOMINIQUE quand on est humain, quand on est haïtien ?
Cette année encore, neuf ans après sa mort, malgré l’omerta qui gravite autour de cet assassinat crapuleux, je continue à reprendre ces questions en attendant que quelqu’un veuille bien me donner une réponse.
J’ignore si j’ai toujours été d’accord avec ses prises de position. Cependant je dois avouer que JEAN LEOPOLD DOMINIQUE restera l’un des personnages de la vie publique haïtienne qui aura le plus marqué mon jeune âge.
Oui. Je l’ai connu JEAN LEOPOLD DOMINIQUE. Je ne lui ai jamais serré la main. Mes mains n’ont jamais servi à nourrir des applaudissements témoins de mon accord sur ses idées et les principes qu’il défendait. Mais je l’ai connu si bien, si profondément; autant que j’ai compris son attachement à cette terre et à la cause d’une grande partie de la population; autant que j'ai compris son engagement pour la défense de la liberté contre l’arbitraire, autant pour pleurer sa mort et sa disparition comme j’ai pleuré en 1983 à la suite du décès de mon propre père.
Nous étions en 1974. Ou 1975. Je ne me souviens pas très bien. Nous portions avec une fierté non dissimulée notre chemise à carreaux blancs et bleus qui constituait l’essentiel de l’uniforme du Centre d’Etudes Secondaires, cette école de grande renommée supportée par un solide trépied formé par Jean Claude, Pierre Riché et Pradel Pompilus.
Après l’incendie de notre premier bâtiment (à bois verna!) qui nous avait transformés en étudiants errants, nous étions heureux d’inaugurer notre local à nous, à l’avenue du travail. Le Centre d 'Études Secondaires (CES) à l’époque était considéré comme une école plutôt bourgeoise élitiste à un titre différent d’autres établissements scolaires de Port-au-Prince. Une école accueillant un nombre très réduit d’élèves tout en privilégiant une discipline presque militaire et un niveau académique très relevé.
C’est au moins ce qui se disait au-delà des murs de l’école. Mais nous autres comme élèves, on avait du mal à comprendre pourquoi le CES accueillait souvent des élèves très « turbulents » (au sens haïtien du terme) et surtout des « vagabonds » notoires (vagabonds au sens haïtien du terme), rejetés par d’autres établissements de renom ou remis aux parents. Pour preuve, nous pourrions vous citer quelques noms et prénoms mais nous craignons assez des procédures judiciaires. Nous nous contenterons de vous dire par exemple que notre « Sweet Micky » et Alex Abélard sont passés par le CES !!!
Elle faisait partie de cette catégorie celle qui était tout le temps interpellée par Monsieur Riché. Elle se prénommait N….Elle n’était pas seule. Souvent elle prenait l’allure de chef d’orchestre, leader d’un groupe ou tous les membres reflétaient des caractéristiques à peu près similaires : elles étaient belles, blanches, chic, s’exprimaient en un français plus correct que parfait ; elles venaient et partaient de l’école en grosses voitures accompagnées de leurs parents. Les membres les plus influents du club se nommaient Martine J, Magalie J, Carine B, Maryline B.
La jeune N… semblait définitivement jouir d’un traitement de faveur. Le monsieur qui venait souvent le chercher conduisait une grosse 4x4. Il s’habillait souvent en pantalon et chemisier type « guayabera » en kaki et fumait toujours sa pipe. Souvent il parquait sa voiture devant l’école et rentrait discuter quelques minutes avec Riché ou Jean Claude ou Pompilus, les trois directeurs de l’école.
Au fil du temps, je ne savais pas si j’étais fasciné par cette fille sur qui était souvent attirée l’attention de l’école ou par ce père qui m’intriguait par son style très particulier et l’énergie qui gravitait autour.
Cette scène se répéta si souvent que tout le monde avait fini par savoir qu’il s’agissait de Monsieur Jean Dominique, Directeur de Radio Haïti Inter. Il était devenu donc beaucoup plus intéressant pour moi d’assimiler en associant le physique du personnage à ce discours tranchant fait de mots aiguisés et sculptés de mains de maîtres, les commentaires qui commençaient par un perçant : « SUR HAÏTI TOUTE ENTIÈRE, IL EST SEPT HEURES »
(A SUIVRE)