Je professe une admiration non dissimulée envers tous ceux-là qui vivent leur foi de façon réellement irrationnelle. Et ce tout en acceptant le choix délibéré et conscient de garder pour moi ma conviction sur mon rapport avec tout ce qui est sacré et divin.
Ce n’est pas un sujet d’une passion universelle. Surtout quand toute une base de réflexion peut être profondément ébranlée par une seule assertion posée comme préalable.
L’école m’avait surtout appris que les sociétés primitives ramenaient souvent dans la logique du surnaturel voire divin, tout événement ou phénomène qui ne pouvait pas s’expliquer se fondant sur les éléments de la grille des connaissances scientifiques du moment.
En 2016, ces considérations et bien d’autres peuvent se révéler utiles pour comprendre le rapport des citoyens haïtiens avec le religieux.
Avec les facilités de diffusion que permettent les réseaux sociaux, il est très facile de tomber sur des occurrences hilarantes empreintes de la naïveté du « croyant qui croit parce que oui ». Certaines trouveraient bien une place de choix dans la célèbre rubrique incroyable mais vrai.
Par exemple, une fois j’ai vu deux croyants démontrant avec des textes bibliques que le peuple haïtien représentait seul et à lui seul l’authentique peuple Israël.
Un échelon au-dessus du connu « israélites par la foi ».
Ceci m’avait renvoyé quelques années en arrière quand en 1971 à la mort du président à vie François Duvalier, son fils âgé de 19 ans avait été remis à l’oligarchie militaro-bourgeoise pour en faire leur président aussi à vie.
Après cet événement qui avait surtout l’allure d’une plaisanterie de très mauvais goût, bon nombre de prédicateurs se servaient d’une prophétie décrite dans un des chapitres de l’ancien testament pour démontrer que notre Haïti chérie était un pays béni car Dieu avait accompli une de ses promesses faites à Israël c’est-à-dire d’asseoir une domination de jeunes sur des vieux.
Il y a très peu de temps, me laissant glisser le long des mailles du réseau tissé entre les amis des amis, je me suis retrouvé sur la page Facebook de l’ami de l’ami d’un ami. Là, mon attention s’arrêta sur une vidéo postée en position d’arrêt.
Si le hasard m’avait en quelque sorte lâché sur cette page, ma curiosité avait pris le dessus. La lecture de l’activité d’une personne sur Facebook me donne une idée assez fidèle de certains axes de ses intérêts.
Je voulais donc en savoir un peu plus sur cet individu.
Ce fut avec cet objectif-là que j’ai démarré en cliquant sur le bouton lecture de la vidéo. Le film qui se déroulait sous mes yeux mettait en scène une jeune dame dans sa trentaine peut-être, qui, d’une voix faible et fatiguée se voulant plutôt décidée et convaincante, exhortait ceux l’écoutaient à se repentir de leurs péchés parce que cette fois-ci, le retour du Christ, accompagné de son respectif fin du monde était proche.
Elle prononçait son sermon malgré un groupe assez réduit de badauds beaucoup plus curieux de voir l’acteur central de cette scène qui à lui seul représentait la preuve de l’imminence du retour du Christ, que de s’intéresser à la bonne parole de Dieu.
Il s’agissait en effet d’un bébé-vache, un veau de quelques semaines qui gisait à même le sol en exécutant des mouvements semblables à ceux que reproduisent les reptiles pour bouger et se déplacer. Oui, un petit animal né sans ses quatre pattes.
Sans aucun doute ceci pouvait attiser une curiosité certaine comme dans tous les cas de survenue d’événements peu communs. La naissance d’un veau qui naît sans patte, un bébé animal né avec une « agénésie complète des membres inférieurs » ne doit sûrement pas être un phénomène aussi rare dans les communautés des éleveurs.
Dans les pays développés où les réflexions sont plus cartésiennes, sans doute cet animal aurait fait l’objet d’études scientifiques pour déterminer la cause de cette naissance avec une malformation ; ou tout simplement il aurait été euthanasié.
Chez nous la naissance d’un animal avec un handicap majeur devient preuve irréfutable du retour du Christ.
Comme l’a été sans doute le tremblement de terre de janvier 2010 qui fit plus de 200.000 morts.
La société haïtienne garde en 2016 des réflexes et des comportements assez archaïques et primitifs.
L’incapacité de faire usage des bases réelles et scientifiques pour appréhender les événements et les moments de la vie, pousse à se réfugier dans l’irrationnel, dans le religieux, le divin ; non seulement pour trouver des explications mais aussi pour trouver des réponses et des solutions aux problèmes qui sont déclenchés par ces occurrences et ces moments.
Ainsi, on meurt rarement de maladies. Et ce, même si la mort survient à un âge où le départ vers l’au-delà est tout à fait compréhensible.
Un échec reste le fruit d’un mauvais sort ou de l’action directe d’un envieux.
Cette quête d’explication à défaut d’éléments scientifiques ramène tout au divin, au mystique et au surnaturel.
Et ce culte du surnaturel compensant une carence dans le domaine du scientifique explique la pertinence et la prolifération de diseurs de rêves et de bonnes aventures à venir.
Dans le cas de cette preuve imminente du retour du Christ la société haïtienne ne subit ni fracture ni lésion. Les croyants après avoir prêché la repentance avant le retour du Christ annoncé par la naissance d’un quadrupède sans patte devront attendre d’autres signes.
Car le Christ ne sera pas de retour.
Comme il n’était pas revenu pendant les guerres et les bruits de guerres qui ont animé le vingtième siècle.
Dans d’autres situations, les conséquences peuvent se révéler plus nocives.
Quand l’origine de la maladie est acceptée comme surnaturelle, on se trompe donc de porte quand on part à la recherche de solution. Au lieu de faire confiance à la science, on remet ses espoirs sur d’autres individus dotés de connaissances et de capacités souvent douteuses.
Les revendications par exemple, pour la nécessité de bons centres de santé ne sont pas portées par l’ensemble de ceux qui en ont le plus besoin. Il en est de même pour d’autres dysfonctionnements sociétaux attribués à des forces surnaturelles ou irrationnelles. Quand les questions ne se posent pas en des termes corrects, les réponses ne sont ni adaptées, ni utiles.
Aujourd’hui Haïti se retrouve dans le livre de records malheureux pour avoir été le siège de la plus grande catastrophe humanitaire du monde dans les suites du tremblement de terre de 2010. Tout le monde reconnaît que les dégâts causés par ce séisme d’une magnitude certes considérable ont été surtout provoqués par les défauts et l’anarchie dans les constructions dans la capitale et les villes les plus frappées.
Les connotations religieuses se sont aussi rangées dans les listes de tout ce qui se disait. Les chrétiens épargnés avec raison ont béni le Seigneur. Certains n’ont pas oublié de le remercier pour avoir fait, qu’il n’y ait eu que 300.000 morts.
Mieux que d’autres peuples, nous sommes plus attentifs au retour du Seigneur. Peut-être une démarche subconsciente devant l’envergure imposante de la montagne de difficultés qui se dresse devant nous d’un côté et la cupidité de nos hommes de mains peu importe leur couleurs, leurs origines ou leurs idées
La solution ne semble plus pouvoir venir de nos hommes.
Et si le retour du Christ n’était pas pour demain, ou après-demain ?
Auteur: Dr Jonas Jolivert
30/05/2016
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)