Le Nouvelliste | Publié le :19 septembre 2013
Roberson Alphonse
« C'est une anomalie de commémorer la mort et non la vie de Dessalines », tranche Paul Osny Antoine, favorable à "une révolution culturelle" pour "réapproprier l'héritage de Dessalines".
15 septembre 2013. Le soleil écrase Marchand-Dessalines, la première capitale de la République d'Haïti. Les ruines de cinq forts, construits à partir de 1805 pour défendre l'indépendance en cas de retour des Français, surplombent la ville, plantée entre les piémonts et une plaine verdoyante.
Quelques rues portent les noms de héros de l'indépendance. Dans d'autres, on trouve des logis célèbres comme celui de l'impératrice Marie-Claire Heureuse Félicité Bonheur Guillaume. Mais, dans ce haut lieu de l'histoire universelle à l'abandon, peu de gens savent que le 20 septembre ramène l'anniversaire de naissance de Jean-Jacques Dessalines. Aucune commémoration officielle n'y est prévue aux dernières nouvelles. C'est le parricide du 17 octobre 1806 qu'on commémore avec faste. Sur la vie et le projet de l'empereur Jean-Jacques Dessalines, symbole du refus de l'esclavage, on fait souvent le black-out.
« C'est une anomalie de commémorer la mort et non la vie de Dessalines », tranche Paul Osny Antoine, féru d'histoire et membre de la Fondation Dessalines. « Il faut aujourd'hui un cerveau collectif pour enclencher la révolution culturelle indispensable à la réappropriation de l'héritage de Dessalines », lâche-t-il, à l'ombre, dans la petite cour d'une maison qui fait l'angle de la rue Jacques 1 er et l'avenue Chanlate. Dans cette petite maison sans luxe recouverte de tôles, vit Joseph Dessalines. 86 ans, fils de Surpris Dessalines et de Clairomène Pericles,Joseph est un descendant du père de l'indépendance d'Haïti.
Alerte, cet octogénaire au teint clair (grimo) répète avec ostentation qu'il est de la « cinquième génération des enfants de Dessalines ». « Avant le cyclone, je vivais dans la maison de l'empereur avec mon frère Dirogène qui est mort au Canada », explique Joseph Dessalines, incapable de se souvenir de l'année de cet événement. Sur ce site, à l'angle des rues Dupuy et Jacques 1 er, où Joseph Dessalines a des souvenirs heureux, il ne reste que deux cahutes peintes de chaux destinées à des divinités vaudou. Dans son armoire, Joseph Dessalines garde des titres de propriété datés d'après 1804. Ces bouts de papiers jaunis ont été mieux gardés qu'un sabre de l'empereur passé de père en fils dans la famille. Ce sabre a été confié il y a plus de trente ans, indique-t-il, au feu député de Marchand-Dessalines, Pierre V. Etienne.
Dans un sourire, l'historien Pierre Buteau, président de la Société d'histoire et de géographie, confirme que Dessalines, selon des récits historiques, était un « grimo, un pintlé ». D'un autre côté, il soutient qu'il est important de s'approprier le projet de Dessalines. « Il avait le rêve, le projet de construire une nation dans sa pleine autonomie. Politique et économique », souligne l'historien, ajoutant que l'empereur était en dehors de la dualité noir/mulâtre. Pour lui, l'Haïtien est noir et la terre d'Haïti, terre d'affranchissement pour tous ceux qui s'enfuiraient des colonies encore debout à l'époque.
Dessalines et son projet ont souffert d'un black-out de plus de 40 ans. C'est sous la présidence de Jean Louis Pierrot (16 avril 1845- 28 février 1846) qu'on a réhabilité la mémoire de Jean-Jacques Dessalines, indique Pierre Buteau, rappelant aussi le superbe discours de Lysius Salomon allant dans le même sens.
Si le fondateur d'Haïti a été réhabilité par Pierrot, ce n'est que sous Sténio Vincent (15 mai 1941 au 11 janvier 1946) que ses restes collectés par la folle nommée Défilé, déposés devant la résidence de Inginac puis enterrés au cimetière de St-Anne allaient être transférés au MUPANAH, à côté du palais national où ont siégé des membres d'un personnel politique « non rodé ». Des chefs très peu au fait de l'histoire ayant participé à des actes de flétrissures de la mémoire de Jean-Jacques Dessalines.
La présence de militaires étrangers fait partie de ces flétrissures, explique l'historien Pierre Buteau. « Dessalines se retourne forcément dans sa tombe à cause de la présence de la MINUSTAH », croit Pierre Buteau, engagé dans la transmission de connaissances sur Dessalines, ce géant qui n'a pas encore eu toute sa place dans l'histoire à cause d'un processus subtile de dénigrement, un héritage de la bibliothèque coloniale.
Depuis des années, une passionnée, Bayyinah Bello, entre bibliothèque et récits populaires, milite pour que l'on retienne le vécu de l'empereur, son projet. Et le 20 septembre, à Village Théodat, au numéro 4, parallèlement à des conférences d'universitaires étrangers, elle organise une fête à l'occasion de l'anniversaire de naissance de l'empereur Jean-Jacques Dessalines.
En venant dire bonne fête à "papa Dessalines", c'est, explique-t-elle dans la presse, un hommage et un début de prise en compte de l'héritage de Dessalines, de son vécu. Un heritage dilapidé que Eric Jean Baptiste, homme d'affaires, homme politique et pourfendeur de la MINUSTAH trouve dans ces mots de l'empereur: "Prenez garde à vous, nègres et mulatres. ous avez tous combattu contre le blanc. Les biens que nous avons tous acquis en versant notre sang apparatiennent à nous. J'entends qu'ils soient partagés avec équité".
Le non respect de cet appel a expliqué le 17 octobre 1806 et bien d'autres mésaventures qu'a connu et connait encore Haiti, soutient Eric Jean Baptiste, dessaliniste comme Paul Osny Antoine et d'autres membres de la Fondation Dessalines qui luttent afin d'arracher Dessalines de la mort, de l'oubli.
Roberson
Trouillot sur Dessalines
Installé dans la conscience populaire comme la divinité vengeresse face aux flétrissures, face à l'indignité, rappelle Lyonel Troullot Dessalines, a été systématiquement dénigré. « C'est un héritage de la bibliothèque coloniale relayé par les premiers historiens haïtiens, eux-mêmes plus proches culturellement des discours dominants de l'époque que des masses populaires haïtiennes », soutient Lyonel Trouillot, déplorant la valorisation « des héros qui font aujourd'hui consensus aux yeux de l'Occident, qui lui sont « acceptables », comme si là encore nous avions besoin de son approbation ». « C'est toute l'ambiguïté que porte la figure de Toussaint Louverture, jugée plus présentable », selon l'écrivain.
« Je dirai simplement que le travail de décolonisation de nos mémoires, s'il est bien avancé, n'est toujours pas fini. Nous aurions tort de croire que le référent d'un discours épique caribéen s'impose comme une évidence. Les porteurs de la rupture politique, sociale, culturelle avec le système colonial esclavagiste ne sont pas forcément ceux que nous vénérons le plus, et le panthéon fixé par la littérature et l'histoire officielles ne correspond pas forcément au panthéon de la mémoire et de la mythologie populaires », souligne Lyonel Trouillot.
Son combat est clair.
« Dans l'épopée à construire, la rupture avec le fait colonial ne saurait être négociable, au moins sur le plan symbolique, indépendamment des stratégies politiques imposées par l'histoire ou choisies par les peuples. Et pour atteindre l'épique, il y a toute une historiographie à faire tomber de son socle », soutient Lyonel Trouillot dans « L'épopée collective de la Caraïbe : avec quoi construire notre chant général ».
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