« J'ai rencontré ces derniers temps Jean Bertrand Aristide, Jean-Claude Duvalier, Raoul Cédras et tous les leaders qui sont sur l'échiquier. Je veux parler à tout le monde et je le fais. Ce pays a besoin de ponts pour sortir de sa situation ». Celui qui s'exprime ainsi est Jean Henry Céant, candidat à la présidence sur la bannière de A.I.M.E.R. Haïti, une organisation qu'il a mise sur pied avec d'autres en octobre 2006. Son ambition est de faire naître un pays où « tout moun se moun, yon kote moun viv tankou moun ». Parcours de ce notaire au faîte de sa profession qui passe à la politique et brigue la magistrature suprême.
Haïti: « Ce pays m'a tant donné que je me dois de lui rendre quelque chose. J'accepte que mon fils soit candidat à la présidence. » Celle qui parle, le regard déterminé et la voix ferme est Marie Célima Céant, la mère de Jean Henry Céant le notaire bien connu.
« J'ai eu 11 enfants, le père, marié, ne pouvait pas les reconnaître légalement. J'ai dû, à la sueur de mon front, les élever et en faire des citoyens. Si l'un d'entre eux veut servir son pays, je me dois d'être à ses côtés », insiste la dame de 87 ans, fraîchement rentrée des Etats-Unis d'Amérique pimpante dans son ensemble fuchsia.
Cette mère qui a accompagné son Tiri, comme elle surnomme son fils, lors de son dépôt de candidature peut parler des heures d'un Port-au-Prince ancien, du temps de sa jeunesse, quand elle était marchande en gros de viande et sillonnait les marchés de la région. Pendant des années, semaine après semaine, à pied, un jour au haut de la Chaîne des Matheux pour s'approvisionner, un autre jour à la Croix-des-Bouquets ou à la Croix-des-Bossales pour vendre, elle affronte toutes les épreuves pour donner le pain quotidien et le pain de l'instruction à sa famille.
C'est à Gourreau, section rurale de Tabarre, localité de la Croix-des-Missions, que Jean Henry, enfant adultérin, voit le jour le 27 septembre 1956. Le père, Jean Paul, cultivateur, se partage entre sept femmes. Il a 24 enfants. Tout le monde va à l'école et la vie se déroule tranquillement autour de celui qui abandonne aujourd'hui le confort d'une situation établie pour se lancer dans la politique. « Du côté de mon père, je suis le 14e sur 24 enfants - ma mère en a eu 11, je suis le 9e », explique Me Céant.
« J'ai passé mon enfance à Tabarre. En semaine, j'allais en ville m'instruire à l'école Frère André et je regagnais Gourreau chaque week-end. Mon père avait 7 femmes et elles s'entendaient entre elles. Souvent, une seule faisait de la nourriture pour tout le monde, une seule faisait la lessive... Mon père, cultivateur puis ouvrier à la Hasco, entretenait l'équilibre au sein de cette famille élargie. J'ai appris à partager dans cette ambiance.»
« La plupart des femmes de mon père n'avaient pas été à l'école. Une d'entre elles, qui ne savait pas lire, nous faisait réciter et supervisait nos devoirs. Ma mère, je n'ai su qu'elle était illettrée qu'en classe de 6e. Un jour que je tenais sa comptabilité de marchande, j'ai compris qu'elle n'y comprenait rien et pourtant elle aussi nous faisait étudier. Pour nous faire apprendre nos leçons, elle avait un secret, elle écoutait le ton de notre récitation et nous renvoyait étudier si nous ne la convainquions pas. »
« Elle s'est fendue en quatre pour nous donner le meilleur niveau de l'instruction, son exemple me guide quand je parle d'éducation. Il faut rendre l'école de qualité accessible à tous les niveaux. Cet engagement, je le dois à ma mère. »
« J'ai fait mes classes primaires chez Frère André et mon secondaire, de la 6e à la Rhétorique, chez Franck Etienne. Ensuite, la classe de philosophie chez Grégoire Eugene. Mon meilleur souvenir d'enfance reste le jour de la remise des bulletins, le dimanche. On remettait des médailles aux premiers et souvent j'en étais. Après la messe à la cathédrale, les médaillés s'en aillaient passer devant le Quartier général des Forces Armées d'Haïti, au Champ de Mars, pour se faire applaudir par les soldats. Cela nous servait de motivation. Mais c'était aussi une émulation féroce. Entre amis, on était en compétition. »
« Chez les frères, la compétition était sauvage, la pression permanente. Arrivé en 6e, quand j'ai pu choisir, j'ai décidé d'aller chez Franck Etienne. Une école de liberté, un espace de liberté. Il n'y avait pas d'uniforme, les élèves pouvaient fumer. Je fis alors face à des difficultés nouvelles. De brillants élèves ne pouvaient pas payer l'écolage. La direction les sanctionnait en dernier recours. Mais les autres, eux, devaient laisser la classe. C'est ainsi que j'ai compris qu'il y avait des disparités entre nous. Que tout le monde n'avait pas les mêmes moyens. Cela m'a marqué toute ma vie et m'a poussé à vouloir aider les plus faibles, à aider les autres. »
« Trois de mes professeurs m'ont marqué plus que les autres: Franck Etienne, bien entendu - un grand Monsieur -, René Philoctète et Victor Benoît. Maître Benoît est celui qui m'a permis d'être l'homme que je suis aujourd'hui. Un jour au baccalauréat, il est intervenu personnellement pour que, malade, on me laisse quand même entrer en salle d'examen. Si j'avais raté cet examen, je ne sais pas si ma trajectoire aurait été la même. »
« Après la philo, mes parents voulaient que je me dirige vers la médecine, comme deux de mes frères. La médecine était la voie royale. Homme de rupture, j'ai décidé de faire le droit. Je suis devenu président de ma promotion. J'avais les meilleures relations avec les étudiants. En 1981, Joseph Paillant et moi avons prononcé les discours de sortie de la promotion. Cette même année, tout m'arrive. Mon père meurt un mois avant que j'achève mes études, et il laisse 4 enfants en bas âge dont un seul est fils de ma mère. Je les adopte tous comme miens. Je vais travailler. J'ai deux emplois en plus de la fac. Et je me marie en décembre de la même année. »
« Les meilleurs de ma promotion, Bernard Gousse, Gerd Pasquet, Martine Benjamin, trouvent des bourses pour la France et vont poursuivre leurs études sur la recommandation du professeur français Yves Dodet. Dodet m'offre aussi la possibilité de partir, mais j'étais déjà père de famille. Cela me faisait rater mon doctorat en droit. J'avais l'ambition de bien connaître le droit. De tout étudier. Puis de tout savoir sur le notariat. En dépit du fait que je ne suis pas parti pour l'étranger, je crois que j'ai atteint mes objectifs sur le plan académique. »
« Dès 1982, ma femme et moi mettions au monde notre premier enfant. Je fais mon stage d'avocat, je travaille, je m'occupe de mon foyer qui compte, déjà en fait, cinq enfants. En 1986, mon oncle Emile Paul, notaire, meurt. Je prends sa succession. »
« J'ai la chance de recevoir le support de mon mentor, Me Ernst Avin. Il me guide, me forme. Je fais depuis mon chemin dans la profession et fus le 1er représentant d'Haïti au sein de l'Union Internationale du Notariat Latin. Après 12 ans, sans être candidat, on me propose d'être membre du gouvernement du notariat mondial et, depuis, 2002, je suis le conseiller général du notariat latin. »
« Le reste vous le connaissez, je suis notaire et je brique la présidence de la Republique. »
L'autre Céant
Quand on interroge le candidat Jean Henry Céant sur ses motivations, il remonte à son enfance. « Hormis les enfants de ma mère, nous étions à peu près 200 bambins dans le même quartier. Nous sommes deux à avoir fini nos études. Moins de 4%. Ma fonction notariale m'a mis en contact avec toutes les catégories de gens et surtout des pauvres qui n'ont pas eu la chance d'aller à l'école. Tout cela va me montrer comment l'éducation est importante, déterminante dans la vie. Je crois que c'est d'abord de là que me vient ma détermination de m'engager pour changer cette situation injuste qui écarte tant d'hommes du chemin de la réussite.»
En 2004, après le départ du président Jean Bertrand Aristide, pour se venger d'un de mes frères, directeur du Conseil National des Télécommunications (Conatel), on m'a placé sur une liste de l'Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) pour des actions que j'ai eues à poser dans l'exercice de ma profession de notaire sans que personne ne puisse me dire ce que l'on me reproche. J'ai découvert alors que beaucoup de gens se servent du malheur des autres pour réussir.»
« Je me suis battu pour défendre mon honneur et, à cette occasion, je me suis rendu compte que d'autres n'ont pas pu se protéger dans cette affaire contre le système, contre les cabales. En me défendant, j'ai compris qu'il fallait combattre l'exclusion qui est un cancer qui ronge le pays. »
« Tout au cours du déroulement de cette affaire, je me suis aussi rendu compte qu'il y a un grand vide, un grand manque de leadership et surtout qu'il y a la nécessité de rassembler les forces vives, intellectuelles, économiques pour permettre aux Haïtiens puissent de se parler à nouveau pour pouvoir bâtir ensemble. Il faut parler à tout le monde et je suis décidé à le faire. »
Me Jean Henry Céant, père de 4 enfants, notaire de profession, est actuellement Conseiller Général de l'Union Internationale du Notariat (UINL). Il compte plus de vingt (20) ans de vie professionnelle et a prêté ses services à l'Université Quisqueya pendant dix ans comme professeur de droit. Il est présentement professeur à l'École Nationale d'Administration Financière (ENAF). Il prononce des conférences et anime des séminaires pour les institutions financières, les organisations de jeunes, les groupements confessionnels, sociaux et politiques. Il prête ses services à titre gratuit à de multiples organisations de la communauté haïtienne vivant à l'Étranger, à des associations nationales et internationales dans la mise en place de leurs projets et actions.
Il est Membre fondateur de la coopérative de logement (COLOFE) de l'Amicale des Juristes, de l'Association Syndicale de Notaires de Port-au-Prince (ASNOP), de l'Association des Professionnels du Droit, du Collectif AIMER HAÏTI, du Centre de Recherche et de Développement de Tabarre, de la Fondation Haïtienne pour un Support à la Formation Universitaire (FHASFU). Il est le fondateur principal de l'Institut Dwa Pou Tout Moun. En Avril 2006, Jean-Henry Céant inaugura la salle FRANKETIENNE, lieu de partage, de rencontre de tous ceux voulant être à l'écoute du savoir et de l'expérience.
Convaincu que la Maxime « Nul n'est censé ignorer la loi » doit devenir une réalité, il présente à la télévision les débats dans le cadre de l'émission Dwa Pou Tout Moun. En 2005, il commença avec la série de publications des recueils de texte de loi « Le vade-mecum du notaire et de ses clients », « le vade-mecum de l'agent de la fonction Publique et de l'administré », Volume I (Tome I et tome II), Volume II, Volume III. À côté de son travail et de ses loisirs, Jean-Henry Céant reste et demeure un Haïtien croyant encore dans le rêve de l'Haïtien moderne et ouvert.
Frantz Duval
duval@lenouvelliste.com
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=82646&PubDate=2010-08-18