le 16 octobre 2011 21H53 par Jacques Attali
En survolant cette semaine l’ile que se partagent Haïti et la République dominicaine, je pensais à cette réplique de Bubble, le pathétique dealer des bas fonds de Baltimore, découvrant le quartier aisé de la même ville, où vivent l’ex femme et les enfants du policier dont il est l’indic , dans le quatrième épisode de la première saison d’une de mes séries américaines préférées, the Wire : « Je ne savais pas que la frontière était si fine entre le paradis et l’enfer » .
Car, si Saint Domingue n’est pas tout à fait le Paradis, rien n’est plus près de l’enfer qu’Haïti, l’oubliée des médias, moins de deux ans après le tremblement de terre qui a fait de plus de 200 000 morts , laissé plus de 1,5 millions de personnes sans-abri , avec plus de 10 millions de mètres cubes de débris pour des dégâts chiffrés à près de 11,5 milliards de dollars.
Certes, le monde entier s’est alors mobilisé et a promis 10 Mds $ de dons, dont une commission , présidée par Bill Clinton, devait garantir le meilleur usage. Plus de 20.000 étrangers, représentant plus de 10 000 ONG étrangères, aux origines, et mandats divers, ont accouru. En apparence, avec un certain succès : la croissance économique est estimée à près de 9%.
Mais, en réalité, c’est , une fois de plus, un marché sans état de droit et le chaos reste total, dans l’indifférence quasi-générale.
D’abord, l’Etat haïtien, déjà dramatiquement faible, ne s’est pas relevé du coup porté. Un nouveau président , Michel Martelly n’a pu nommer son premier ministre que la semaine dernière, soit six mois après sa prises de fonction.
De plus, sur les 10 Mds promis, seulement 2 ont été versés, soit moins de la moitié que ce qui était prévu pour la première année ; et encore : moins de 6% de cette somme a été versé au gouvernement haïtien, le reste restant entre les mains des ONG, beaucoup trop nombreuses ( dans certains secteurs, plus de 200 ONG font la même chose) et tres peu transparentes ( sur les 196 ONG américaines présentes, ayant collecté 1, 4 Mds$ , seules 38 ont accepté de rendre public leurs comptes et seules 5 ont accepté de dévoiler combien leur rapporte en intérêt le placement des dons reçus et non dépensés)
Résultat, l’enfer est toujours là : 4,5 millions d’haïtiens, soit la moitié de la population du pays, ne mangent pas à leur faim ; 800 000 sont en situation critique et 200 000 en état de famine ; l’eau potable manque ; le choléra est toujours là ; plus de 600.000 personnes vivent encore sous des abris précaires, répartis dans 894 camps ; la moitié des gravats n’a pas été déblayée ; les ports, les centrales électriques, les écoles n’ont pas été reconstruits; l’Etat de droit reste un désastre : la police nationale n’a toujours pas été reconstituée ; les trafiquants de drogue ont le champ libre.
Il est urgent, là comme ailleurs, de redonner une priorité à la mise en place de l’état de droit, au développement de l’agriculture, des sources d’énergie, de la formation et des microentreprises , conditions nécessaires au retour des investissements étrangers.
Il est urgent aussi, pour le suivi des grandes catastrophes comme sur tant d’autres sujets, d’organiser la gouvernance mondiale : prévoir des mesures contraignantes pour que les promesses de dons des gouvernements soient tenues, pour que l’action des ONG en charge de l’urgence soient coordonnée et pour qu’elles laissent au plus vite la place à d’autres, en charge du développement.
Naturellement, de tout cela, presque personne ne parle. En attendant la prochaine tragédie.
j@attali.com
http://blogs.lexpress.fr/attali/2011/10/16/au-voisinage-de-lenfer/
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
mercredi 19 octobre 2011
Marseille : ces militants (HAITIENS) qui luttent contre la misère
Leur bien le plus précieux est soigneusement posé sur la table du salon. D'apparence, un simple album photo que Justine et Josette, un couple de Haïtiens logé au dernier étage d'une tour de béton, présentent au visiteur avec une émotion non feinte. On y découvre des images devenues rares quand il s'agit d'évoquer les quartiers Nord et les clichés qui s'y rattachent, parfois à raison.
Ici, pas de carcasses de voitures calcinées. Rien de très spectaculaire. Mais une concentration de douces tranches de vie. Des pères de familles d'origines différentes qui cultivent avec ardeur un jardin collectif, des mamans qui cuisinent, se tiennent par les épaules et prennent fièrement la pose, des gosses qui dévalent un toboggan comme s'ils se trouvaient à Disneyland... C'était en mai dernier, aux Aygalades, une des cités les plus fragiles du quinzième arrondissement.
Ce jour-là, Josette et Justin, 40 ans chacun, avaient initié une journée de la famille. "Ce genre d'action de terrain, c'est notre manière de combattre la pire des fatalités : celle du repli sur soi et de l'indifférence au sort de l'autre", souffle Josette. Qui insiste : "Par petite touche, on tente de créer du lien" C'est par l'entraide que les gens s'en sortiront. La misère est l'oeuvre des hommes.Ce n'est qu'en s'unissant qu'ils parviendront à l'éradiquer. Le 17 octobre, pour nous, c'est toute l'année".
C'est ainsi, modestement, sans tapage, mais avec une foi inébranlable en leurs semblable, que ces deux volontaires d'ATD Quart Monde remplissent au quotidien leur "mission" de volontaire à plein-temps au service de ce mouvement international de lutte contre l'exclusion sociale.
Une structure multiconfessionnelle fondée par le père Joseph Wresinski en 1957, dans un camp de sans logis à Noisy-le-Grand.
Le Credo ? "Faire appel à l'engagement de chaque citoyen, en premier lieu les victime de la précarité, pour poser des actes concrets de solidarité". Ces volontaires implantés aux Aygalades, parents de trois enfants, se sont rencontrés en 1999 à Port au Prince. Elle est une jeune institutrice sans "prise directe avec la pauvreté". Lui, étudiant très croyant, milite déjà pour ATD dans les pires bidonvilles de la capitale haïtienne.
"On s'est croisé dans une bibliothèque de rue animée par Justin", se souvient Josette. "Je trouvais le principe extraordinaire. On allait apporter des bouquins dans des endroits reculés, où les livres sont un luxe. On permettait à ces gens de découvrir le monde". Très vite, en 2003, séduite de la volonté de fer de ces jeunes recrues, l'association propose au couple de devenir missionnaire au Nord de Marseille, dans une ville et un pays qu'ils ne connaissent pas.
"La proposition, enchaîne Justin, c'était de vivre comme les gens, à leur contact : habiter au même endroit, prendre les mêmes transports en commun, aller chercher nos enfants dans les mêmes écoles. Et essayer d'apporter, dans toutes ces circonstances, un message positif".
Sans visée religieuse ni politique, au seul service de la solidarité. "On a accepté sans hésiter. On était convaincu que c'était ce qu'il fallait faire". Un saut dans l'inconnu qui réserve toutefois son lot de surprises. "De notre terre natale, concède Justin, il est difficile d'imaginer que dans un pays comme la France, on puisse avoir une telle pauvreté. Un habitat dégradé, un manque évident de mixité sociale".
Mais ce qui choque le plus les deux missionnaires, c'est le peu de dialogue entre les populations. "À Haïti, les habitants sont pauvres mais ils se parlent. Ici, c'est plus compliqué".
Pourtant, Justin et Josette ne renoncent pas. Ils donnent des coups de main aux voisins, écoutent les souffrances des uns des autres, aident aux devoirs des enfants... Des gestes simples. Mais essentiels au vivre ensemble. "Il ne faut pas brusquer les choses", posent-ils. "Souvent, ça commence par obtenir un bonjour. Parfois, il faut deux jours, d'autre fois, trois ans.
Mais au fil du temps, on finit par se comprendre". Ce qu'ils retiennent après 8 ans passés au coeur des Aygalades ? "Les parents sont attachés à l'école. Ils veulent que leurs enfants réussissent mieux qu'eux, obtiennent des diplômes Il faut arrêter de noircir le tableau". Et Josette de conclure, regard perçant: "Et surtout, quand quelqu'un s'affaisse, il est du devoir de chacun de l'aider à se relever."
Laurent D'ANCONA
http://www.laprovence.com/article/a-la-une/marseille-ces-militants-qui-luttent-contre-la-misere
Ici, pas de carcasses de voitures calcinées. Rien de très spectaculaire. Mais une concentration de douces tranches de vie. Des pères de familles d'origines différentes qui cultivent avec ardeur un jardin collectif, des mamans qui cuisinent, se tiennent par les épaules et prennent fièrement la pose, des gosses qui dévalent un toboggan comme s'ils se trouvaient à Disneyland... C'était en mai dernier, aux Aygalades, une des cités les plus fragiles du quinzième arrondissement.
Ce jour-là, Josette et Justin, 40 ans chacun, avaient initié une journée de la famille. "Ce genre d'action de terrain, c'est notre manière de combattre la pire des fatalités : celle du repli sur soi et de l'indifférence au sort de l'autre", souffle Josette. Qui insiste : "Par petite touche, on tente de créer du lien" C'est par l'entraide que les gens s'en sortiront. La misère est l'oeuvre des hommes.Ce n'est qu'en s'unissant qu'ils parviendront à l'éradiquer. Le 17 octobre, pour nous, c'est toute l'année".
C'est ainsi, modestement, sans tapage, mais avec une foi inébranlable en leurs semblable, que ces deux volontaires d'ATD Quart Monde remplissent au quotidien leur "mission" de volontaire à plein-temps au service de ce mouvement international de lutte contre l'exclusion sociale.
Une structure multiconfessionnelle fondée par le père Joseph Wresinski en 1957, dans un camp de sans logis à Noisy-le-Grand.
Le Credo ? "Faire appel à l'engagement de chaque citoyen, en premier lieu les victime de la précarité, pour poser des actes concrets de solidarité". Ces volontaires implantés aux Aygalades, parents de trois enfants, se sont rencontrés en 1999 à Port au Prince. Elle est une jeune institutrice sans "prise directe avec la pauvreté". Lui, étudiant très croyant, milite déjà pour ATD dans les pires bidonvilles de la capitale haïtienne.
"On s'est croisé dans une bibliothèque de rue animée par Justin", se souvient Josette. "Je trouvais le principe extraordinaire. On allait apporter des bouquins dans des endroits reculés, où les livres sont un luxe. On permettait à ces gens de découvrir le monde". Très vite, en 2003, séduite de la volonté de fer de ces jeunes recrues, l'association propose au couple de devenir missionnaire au Nord de Marseille, dans une ville et un pays qu'ils ne connaissent pas.
"La proposition, enchaîne Justin, c'était de vivre comme les gens, à leur contact : habiter au même endroit, prendre les mêmes transports en commun, aller chercher nos enfants dans les mêmes écoles. Et essayer d'apporter, dans toutes ces circonstances, un message positif".
Sans visée religieuse ni politique, au seul service de la solidarité. "On a accepté sans hésiter. On était convaincu que c'était ce qu'il fallait faire". Un saut dans l'inconnu qui réserve toutefois son lot de surprises. "De notre terre natale, concède Justin, il est difficile d'imaginer que dans un pays comme la France, on puisse avoir une telle pauvreté. Un habitat dégradé, un manque évident de mixité sociale".
Mais ce qui choque le plus les deux missionnaires, c'est le peu de dialogue entre les populations. "À Haïti, les habitants sont pauvres mais ils se parlent. Ici, c'est plus compliqué".
Pourtant, Justin et Josette ne renoncent pas. Ils donnent des coups de main aux voisins, écoutent les souffrances des uns des autres, aident aux devoirs des enfants... Des gestes simples. Mais essentiels au vivre ensemble. "Il ne faut pas brusquer les choses", posent-ils. "Souvent, ça commence par obtenir un bonjour. Parfois, il faut deux jours, d'autre fois, trois ans.
Mais au fil du temps, on finit par se comprendre". Ce qu'ils retiennent après 8 ans passés au coeur des Aygalades ? "Les parents sont attachés à l'école. Ils veulent que leurs enfants réussissent mieux qu'eux, obtiennent des diplômes Il faut arrêter de noircir le tableau". Et Josette de conclure, regard perçant: "Et surtout, quand quelqu'un s'affaisse, il est du devoir de chacun de l'aider à se relever."
Laurent D'ANCONA
http://www.laprovence.com/article/a-la-une/marseille-ces-militants-qui-luttent-contre-la-misere
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