De la présentation graphique aux textes bien diversifiés, le lecteur éprouve un plaisir du regard et une jouissance rare de la lecture. Il ne s'agit pas simplement de « vulgariser les points forts d'une oeuvre qui a toujours provoqué des ondes de choc. » Il est question aussi de pénétrer à l'intérieur d'un travail littéraire et artistique non pas dans la complexe élaboration théorique, mais par une grande démarche soutenue, de page en page, en vue d'exposer les multiples facettes d'un homme, ses rêves et sa prométhéenne volonté.
Une photo-souvenir : l'écrivain le jour de son mariage avec Marie-Andrée.
Les responsables de Raj Magazine, à travers photos, textes, témoignages, entrevues et autres illustrations nous font pénétrer dans l'univers chaotique d'une écriture de contingence sans tentative trop intellectuelle de tout dire sur celui qu'on appelle « le maître à penser du spiralisme ».
On a beaucoup élaboré sur le thème de la spirale. Frankétienne ne s'est jamais lassé de montrer les liens dynamiques de l'énergie, du temps, de l'espace et des interrelations entre l'homme et la nature qui l'environne. Le numéro de Raj Magazine a la vertu d'illustrer le rapport existant entre la vie, l'époque et l'oeuvre de Frankétienne. Comme une esthétique du délabrement.
Le lecteur apprend que Franck Etienne est né le 12 avril 1936 à Ravine Sèche, petit village de l'Artibonite. L'écrivain confie qu'il a toujours écrit contre la nuit. Bien que cette dernière et ses apparats soit une constante dans ses oeuvres.
Michèle D. Pierre Louis : Frankétienne lui fait découvrir dans les années 60 Cahier du retour au pays natal de Césaire.
Comme une manière à la fois jouissive et risquée de trouver le domaine originel de la lumière. Personne n'oublie l'immense travail accompli par Frankétienne dans le domaine de la littérature créole en Haïti. Il est un précurseur de la créolité dans la Caraïbe.Quand on découvre une revue qui met tout cela en contexte et esquisse le portrait multiple du rebelle, du décrypteur de signes, du grand lyrique de la couleur et des formes, de l'adepte du collage et du théoricien de la musique du monde et de son corps, nous éprouvons un sentiment de bonheur de lire les propos d'un homme qui proclame le temps des vérités dans un pays encore replié sur lui-même.
Il sont plusieurs à rendre hommage à Frankétienne. Philippe Bernard tente une brève histoire littéraire et politique de l'écrivain. Anaïse Chavenet n'hésite pas à employer le mot « énorme » pour traduire ce qu'elle pense de l'auteur de « Dezafi ». Paula Clermont Péan fait le rapprochement, sur le plan théâtral, entre Frankétienne et Samuel Becket. Valérie Armand place l'écriture de « Mur à Crever » contre le dépérissement de l'homme et la décrépitude des choses.
Paula Clermont-Péan; l'art de Frankétienne: un hymne à la vie.
Prince Guetjens remonte aux années 60 avec les premiers recueils pour mieux comprendre un itinéraire qui sera, plus tard, bousculé dans la vitesse du monde moderne. Michèle D. Pierre Louis se rappelle de l'écrivain qu'elle découvre, à 18 ans, sur les hauteurs du Bel Air, en pleine dictature duvaliériste. Jobnel Pierre, Henry Robert Jolibois, Dominique Batraville donnent librement leurs opinions sur l'homme et son œuvre avec un brio qui révèle une nouveauté de la critique haïtienne contemporaine.
Frankétienne se met à nu dans une entrevue autour de « l'homme mystique ». Il parle des univers parallèles, du vaudou, de la réincarnation, de la solitude, de ses efforts de transcendance. Il avoue n'être pas un saint, « traversé aussi par de mauvaises idées » qu'il transcende souvent en vue de se rapprocher de « l'entité divine. »La part d'intimité et de vérité de foyer de l'auteur est réservée à Marie Andrée Manuel Etienne qui nous révèle la tendresse de l'époux, les attentions du père, les obsessions de l'écrivain, la boulimie du peintre, les dédoublements de l'homme de théâtre. « Ce génial mégalomane n'engage jamais de polémique, confirme Marie Andrée Manuel Etienne. Il se contente d'encaisser les coups et de répondre par son travail. »
Un des proches de travail de Frankétienne, le romancier Jean-Claude Fignolé, se souvient qu'il faisait régulièrement la fête chez lui. Le texte de Jean Max St-Fleur donne des précisions sur la maladie qui a failli emporter l'écrivain : le cancer de la prostate. Rose Adèle Joachin est allée un peu plus loin avec le « maître » qui donne plus de précision sur son métier d'écrivain qui n'observe aucune régularité textuelle.
Ce numéro hors-série a une importance capitale pour tous ceux qui veulent mieux comprendre le théoricien du spiralisme. Il donne des repères biographiques et bibliographiques indispensables à une connaissance de proximité de celui qui avait le nom prédestiné et superbement significatif de Jean Pierre Basilic Dantor Franck Etienne Dargent. Eh,oui !