Par Lyonel Trouillot
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Quand, de loin, on demande des nouvelles du pays, on s’attend à des choses bien.On espère qu’un beau jour s’est levé, que les enfants grandissent en art et en sagesse, que les adultes ont plus de moyens que de soucis, plus de solutions que de problèmes.
On ne s’attend pas à une voix qui vous dit, comme en s’excusant, comme blessée de ne rien pouvoir contre le réel : François Latour est mort.
François Latour n’est plus qu’un corps abandonné à la pluie.
La mort est suffisamment insupportable pour qu’on la laisse venir seule, choisir son heure.
La mort, merde, comme toutes les choses inévitables, n’a pas besoin qu’on lui force la main.
Pas besoin que l’Etat invente une peine qui porte son nom.
Pas besoin, non plus, que, pour des motifs cupides (les biens, l’argent) ou stupides (la jalousie, le fanatisme), des humains, changés en bête, décident de la porter.
François Latour est mort. Assassiné.
Qu’il est difficile de ne pas avoir envie de tuer, envie de transformer la justice en vengeance, devant l’horreur du geste de l’assassin.
Qu’il est difficile de ne pas sentir une poussée de haine quand on nous tue quelqu’un. Un parent. Un ami proche. Une personne parfois sans qualité que celle d’être aimée par quelques autres. Une personne qui est parfois plus qu’une personne parce que son action, sa vie ou son œuvre appartient à une époque, une communauté, un peuple.
Ici, un homme qui avait marqué l’histoire de l’art et de notre lente marche vers la démocratie.
De Brecht à Philoctète, il avait mis en scène, dans un pays à court de scènes, des grands auteurs, des paroles de haut calibre. Il avait donné à voir les illusions de Bouki, les pèlen tèt qui nous menaçaient, un après-midi dans le parc. Il avait été le Kavalye Pòlka de plus d’un.
En des temps difficiles où parler même était suspect. Dangereux.
François Latour – mais tout le monde le sait – a marqué l’histoire du théâtre en tant que directeur de troupe, metteur en scène et comédien.
Des galons conquis sur le terrain. De pièce en pièce.
Et puis ses colères. Ses ruptures. Son côté radical qui faisait qu’il était François.
Et puis ses sarcasmes, cet humour féroce.
Et puis, dans son autre métier, les jeux de mots, les piques, la fantaisie derrière le texte publicitaire.
Quand on se croisait, je lui demandais quand est-ce qu’il retournerait au théâtre. Il préférait parler d’une vieille passion assez idiote dont nous avions tous les deux un peu honte : le catch. Et nous parlions des légendes des années 80 : Hulk Hogan, The Junk Yard Dog…On ne fait jamais le tour d’un homme.
On ne retient que sa part visible.Ce qu’il a « réalisé ».
La part visible de François Latour est immense. Exceptionnelle.
Polydor de Pèlen Tèt, Loreal de Kavalye Pòlka, monsieur de Vastey, il nous en a fait voir, des personnages.
Il en a amené, des comédiens, au théâtre.
Il en a mis sur scène des chefs-d’œuvre du répertoire haïtien et universel.
Sa mort fait peur.
Tout assassinat fait peur.
Plus la victime est connue, plus le crime fait peur.
François Latour est mort.
Il nous reste à souhaiter que la justice fasse vite et bien son travail et ne nous condamne pas au désespoir de la peur, de l’instinct préventif et du désir vengeur.
Il nous reste aussi à maintenir en vie sa part visible. Troupes, écoles et festivals…Nous souhaitions tous le voir revenir au théâtre.Il disait oui, il disait non.Il ne jouera jamais plus.
Et la vie est triste. Comme un théâtre abandonné.
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)