Publié le lundi 9 avril 2012
Quelle doit être la dimension d’un scandale qui puisse secouer Haïti et produire l’électrochoc apte à le ressusciter ?
Une telle interrogation doit constituer, aujourd’hui, en Haïti, beaucoup plus qu’une question d’examen. C’est même un thème de recherche universitaire si tant est qu’on soit devenu « un cas » vraiment curieux !
Notre système sociopolitique a fini par défier tous les interdits en gardant un drôle d’équilibre, malgré les perturbations et les soubresauts.
On pavane « san wont », sans vergogne. On patauge dans la boue. Dans la merde, dirait d’autres, moins avenants envers nous. Pourtant, on s’y fait. On s’y complait même.
C’est que, nous avons cessé depuis belle lurette d’évoluer dans un cadre normatif reposant sur la Constitution, les lois et les règles en général. « Konstitisyon se papye, bayonèt se fè ». Un vieil adage qui résume notre triste histoire de peuple délinquant. Mais, il y a plus, comme slogans : « devan green back, pa gen fè bak ! » ; « lajan se san » ; « lajan pa gen odè » ; « peyi sa a pap chanje » ; « èske se mwen ki ka vin sove Ayiti ? ».
Toutes nos institutions ont été désacralisées par notre tradition de délinquance effrénée. Après avoir subi maints assauts, elles n’ont plus aujourd’hui ni force ni vertu morale et coercitive. Une telle considération vaut autant pour les 3 pouvoirs de l’Etat (exécutif, judiciaire, législatif) et les organismes qui relèvent d’eux que pour les instances morales telles que les églises.
On est vraiment en chute libre !
La précarité chronique de l’existence a fini aussi par éroder nos ressorts moraux. Plus rien n’étonne désormais, dès qu’il s’agit de survie, de réussite économique et de promotion sociale. La morale est plus que jamais à la « débrouillardise », au « brasaj ». Récemment, cela se traduisait par la cocasse mais cynique expression : « naje pou sòti ».
Cette situation s’alimente d’un ensemble de facteurs, tels :
la faillite du système éducatif, et notamment le manque de formation en matière de civisme et d’histoire nationale : on produit autant de médiocres, d’inadaptés que d’apatrides ;
la dépolitisation croissante encouragée et renforcée par les dérives, les manquements et les trahisons des élites politiques : déçus, les gens ne veulent plus entendre parler des « leaders », de la politique et de la démocratie ;
l’acculturation accélérée des couches moyennes traditionnellement engagées dans les mouvements sociaux. Les mass-médias et les voyages à l’étranger sont à prendre en compte concernant ce dernier facteur.
La crise haïtienne, comme l’ont déjà dit plus d’uns, est donc loin d’être strictement politique et économique : elle est aussi sociale, culturelle et surtout morale.
La détérioration des normes éthiques est telle qu’on ne saurait maintenant parler de l’existence de forces morales dans le pays. Il est vrai que l’initiative œcuménique « Religions du Monde » tente de remettre les pendules à l’heure. Mais, elles viennent de très loin ces confessions et sectes qui ont été elles-mêmes sérieusement laminées par les crises successives.
Plus d’anathème sur le vol, l’enrichissement illicite, le gaspillage des ressources publiques, le mépris des intérêts nationaux, la vente du pays « an gwo e an detay ».
Plus de réprobation des manquements aux règles régissant la passation des marchés publics ; c’est le silence absolu concernant le financement occulte des partis et des candidats en période de campagne comme à d’autres époques.
En ce sens, Felix Bautista ne choque pas autant en Haïti que chez lui où prévaut encore la notion de moralité publique ! Le chef de l’Etat Martelly, ne s’attarde pas à démontrer qu’il ne recevrait jamais de l’argent dans ces conditions là. Il préfère déclarer que s’il devait en prendre, ce ne serait pas des « sommes aussi modiques » qu’il empocherait. La journaliste Nuria Piera parle pourtant de plus de 2.5 millions de dollars à M. Martelly, avant et après la campagne électorale !
Ah ! Non ! Pas assez, ici, pour qu’on crie au scandale !
Mais, vraiment, y aura-t-il scandale en Haïti ?
Pas certain, dans ce pays où l’on ne condamne plus l’implication d’officiels dans des activités louches ; dans le trafic illicite des stupéfiants ; dans la production et l’usage de faux !
Pas certain, dans ce pays où l’on a vendu impunément du sang et des cadavres humains ! On s’en souvient.
Pas certain, dans un pays où, de façon éhontée, l’on a vendu des « bras », comme au temps de la traite, pour la coupe de la canne en territoire voisin. On s’en souvient également.
Pas certain, dans ce pays où l’on se fiche de la nationalité et de l’identité des dirigeants.
On s’explique alors pourquoi l’haïtien à l’étranger, est livré à lui-même. Il n’existe pas un Etat haïtien qui défend ses ressortissants en République dominicaine, aux Iles Turcs and Caicos, aux Bahamas, à la Jamaïque, aux Etats-Unis, au Canada, en France, partout !
L’haïtien n’est pas mieux servi chez lui : quel pays au monde se ferait complice d’une mission internationale ou garderait le silence après la mort de plus de 3.000 de ses citoyens suite à une maladie introduite dans ce pays par des membres de cette mission internationale ?
Voilà où nous en sommes en Haïti, en l’an de grâce 2012 !
Certes, on ne saurait ne pas prendre en compte, dans cette lamentable situation, le fait que, dépendant de l’étranger et dirigé directement par le « Blan », les haïtiens ont fini par perdre confiance en eux-mêmes. Le sentiment général est que, autant le pays que notre propre destin ne nous appartiennent plus.
Alors, on se laisse aller, au gré du vent ! Au petit bonheur la chance ! Selon le vieux principe du « bon dieu bon ».
Mais, il arrivera un temps, pire que l’actuel, où l’on ne pourra plus continuer à défier impunément toutes les lois de la sociologie, de l’économie politique et de la vie tout court. Nous avons déjà payé au prix fort nos travers en termes de désastres et de catastrophes accumulés. Mais, c’est absolument sûr que le pire est pour demain si nous continuons à avancer aveuglément sur la voie ténébreuse du « vire voye », du « lese grennen », du « tout voum se do » du « tout koukouy klere pou je l ». Car, il est un fait que pour sortir de l’abime, aucun pays n’a emprunté ces chemins-là. Il est encore temps de se ressaisir. « Pi ta, pi tris ».
Marvel DANDIN
http://www.radiokiskeya.com/spip.php?article8720