ACTUALITÉS PARALLÈLES…ACTUALITÉS COLLATÉRALES…
Quelqu’un qui lit ou qui suit occasionnellement les actualités de chez nous, aura du mal à comprendre et surtout à s’expliquer : comment on peut faire la quête le 14 avril auprès des bailleurs de fonds pour un pays en grandes difficultés économiques et que, le 19 avril, on ne parle que d’élections ratées et avortées après avoir dépensé la coquette somme de 16.000.000 de dollars?
Pourtant ça se passe bien chez moi. En Haïti.
Il y a eu des élections sénatoriales partielles. A la sauce haïtienne : des vainqueurs autoproclamés prennent les rues avec leurs cohortes de partisans style chiens-enragés, les boycotteurs se congratulent et s'accaparent de l’indifférence des haïtiens comme une victoire personnalisée; des demandes d’annulation et de démission pleuvent par monts et par VOEUX. Dans la plus stricte et la plus pure des traditions haïtiennes.
Ceux qui ont voulu les élections pour nous forcer à avaler encore une fois une nouvelle dose de cette démocratie prêt-à-porter qui ne nous sied pas du tout, se distribuent et s’auto-attribuent des satisfecit.
A force de gueuler contre la réalisation de cette mascarade électorale, nous sommes restés sans voix. Nous avions donc pris place sur notre petite chaise basse d’observateur énervé mais calme, avec la certitude de l’absence de surprise, comme le prophète du lendemain ; l’acteur des actes manqués.
Au dessus de la tôlée médiatique déclenchée par le (dé)déroulement prévisible de nos élections chères à la communauté internationale, notre actualité se trouva dominée par une autre histoire. L’histoire d’une jeune compatriote dont je ne sais pas le nom. Cependant je suis persuadé qu’elle va mourir dans peu de temps dans des souffrances atroces, comme conséquences d’une maladie curable dans cent pour cent des cas. Elle n'aura pas eu de bol. Elle a eu à naître comme signe du destin en Haïti. Elle a eu 24 ans sous le règne et le régime des démocrates haïtiens. Durant la pleine 'éclosion des "Zaquis sociaux"
Il s’agit de l’histoire d’une jeune mère de famille âgée seulement de 24 ans. Elle habite à Saint –Michel de l’attalaye. Saint Michel de l’Attalaye est une commune de l’arrondissement de Marmelade, la commune de l’actuel Président de la République. L’arrondissement de Marmelade fait partie des cinq arrondissements qui composent le département de l’Artibonite.
Comme tous les déracinés, je vis assez accrochés à l’internet. Le réseau nous donne une vague impression de suivre à la minute tout ce qui se passe chez nous. Je reçois donc comme tout le monde des centaines de courriers électroniques. Le sort réservé à chaque courrier est fonction de l’identité de l’expéditeur. C’est une loi irréfutable utilisée par obligation de nos jours.
Dernièrement j’ai donc reçu parmi une sorte de tir groupé, un courrier d’un ami médecin résidant en Haïti, travaillant avec beaucoup de confrères de l’étranger dans la prise en charge de certaine pathologie dont le degré de complexité exige des plateaux techniques et des techniciens dépassant le cadre de ce qui est faisable et envisageable en Haïti.
Le courrier exposait un cas clinique simple, avec une demande de conseil concernant les modalités de prise en charge. Une jeune femme de 24 avec une grossesse de plus de six mois développe une hémiparésie droite (faiblesse de l’hémicorps droit), des troubles phasiques (difficultés de langage) dans un contexte de céphalées inhabituelles. La jeune mère subit une interruption de la grossesse par césarienne. L’exploration de la maladie de la jeune femme se fait essentiellement par un scanner (tomodensitométrie cérébrale !) qui met en évidence une lésion à point de départ méningé refoulant le cortex temporo-pariétal gauche. L’imagerie est compatible avec le diagnostic d’un MENINGIOME (Tumeur bénigne formée à partir de la prolifération des cellules des méninges.
Ma réponse à mon ami a été formelle et tomba comme un couperet ; celui qui accompagne rarement les bonnes sentences.
- Cher ami, lui disais-je, il s’agit là d’un cas banal de méningiome de la voûte. Le traitement est chirurgical. Sans séquelle avec une exérèse qui sera forcément complète. Si vous avez besoin d’aide, nous en France, en particulier à Marseille nous pouvons nous en occuper.
Comme élément de réponse, j’ai su qu’une équipe de Boston était sur le coup et s’apprêtait à entamer les démarches pour la prise en charge en terre américaine. Il est clair que personne n’hésiterait devant un cas pareil. Car, dans de bonnes mains, on est sûr de rendre effectivement service à cette dame par une guérison sans séquelle sur une durée d’hospitalisation bien limitée.
Poussé par une curiosité scientifique, j’ai recontacté mon ami médecin pour avoir des nouvelles quelques jours plus tard. Là j’ai reçu une douche froide. La réponse qui m’a rappelé certaines particularités de mon pays.
- Cher ami, m’a-t-il écrit, nous n’avons pas pu convaincre la famille de l’utilité de la prise en charge. La jeune dame est repartie vers Saint Michèle de l’Attalaye et nous ne couvrons pas par nos activités cette région.
Un autre aspect de la particularité haïtienne venait de dicter une autre sentence. Cette fois-ci elle était bien mauvaise : Cette jeune femme va mourir d’une maladie parfaitement curable.
A partir de là, tout haïtien natif-natal peut imaginer l’histoire naturelle de la vie de cette jeune femme : une vraie chronique d’une mort annoncée.
Le confrère a donc eu tout le mal du monde à convaincre la famille du rapport entre ce dont elle présentait comme signes et symptômes et les éléments retrouvés sur l’étude tomodensitométrique du cerveau. La famille a sans doute des éléments de réponses, des critères moins rationnels mais beaucoup plus haïtiens.
Pour la famille, cette maladie n’est pas naturelle. La jeune femme se portait parfaitement bien avant de tomber malade. Une palissade certes ; un pur chef-d’œuvre d’haitiannerie aussi. Des responsables, elles sont légions. Un vrai embarras du choix pour pointer un du doigt : celle qui tient le commerce d’à côté, la première femme du père de l’enfant qu’elle portait, la fille du dehors, cohéritière du côté paternel. Elles sont en tête de la longue liste.
Donc, elle ne souffre pas d’une maladie-de-docteur. Il faut chercher ailleurs ; car derrière une morne, ils se cachent d’autres mornes. Tous les chemins, tous les conseils vont mettre en vedette les meilleurs hougans du coin et de la région. Ces vaudouisants les réconforteront dans leurs réflexions. Ils attiseront à tort la haine entre familles différentes, entre membres d’une même famille. Les cérémonies les plus religieuses, les incantations les plus téméraires viendront à bout des maigres avoirs de la famille. Tandis que sur un plan purement scientifique la maladie poursuivra son histoire naturelle.
En effet le méningiome pourra grossir tandis que le tissu cérébral supportera de moins en mois sa présence. Il se comportera comme un volume extra qui fera augmenter la pression à l’intérieur de la boîte crânienne. La jeune dame aura donc de plus en plus mal à la tête ; elle constatera une baisse de la vision, l'hypertension intracrânienne agissant directement sur les fonctions visuelles. Le méningiome peut - soit par compression directe ou par une réaction œdémateuse - comprimer davantage les zones fonctionnelles du cerveau. La paralysie de la moitié droite du corps s’accentuera de façon concomitante avec les troubles de la parole qui se feront plus marqués. Si le processus n’est pas interrompu, l’excès de pression poussera vers des zones de moins de pression des structures vitales (Phénomènes d’engagement !) ce qui provoquera le coma et la mort.
Un élément de la manifestation clinique qui risque d’être considérée d’une façon particulière chez nous c’est la survenue de crises comitiales, crise d’épilepsie ou "mal caduque". Les méningiomes de la voûte sont réputés pour être très épileptogènes. Souvent l’épilepsie inaugurale est le premier signe qui permet de les détecter.
Chez cette jeune dame, toute épilepsie généralisée ou partielle sera interprétée comme la manifestation d’un esprit malin ou maléfique ayant pris possession du corps ou de l'âme de cette personne. "Quelqu'un aura envoyé n mort sur elle!" (compréhensible que par les haïtiens!)
Voici le récit pathétique d’un drame résultant du choc de l’ignorance et d’une culture ancestrale non évoluée non critique dans une société sans moyen.
Ce n’est qu’un cas entre plusieurs. Dernièrement, il s’agissait de la mort d’une comédienne prometteuse qui serait morte après « des crises de violentes migraines » et des » réactions bizarres ». En fait, en Haïti les gens ont fait l’amalgame entre maux de tête et migraine, les réactions jugées bizarres auraient été des manifestations épileptiques ou épileptiformes. La jeune actrice décéda sans une exploration cérébrale qui aurait révélé les raisons de ces céphalées qui n’auraient pas été des migraines.
Un certain dédain nous envahit au moment ou nous écrivons ces réflexions. Nous avons les moyens de sauver la vie à cette bonne dame. Il faudrait pour cela que les parents acceptent l’explication scientifique de la maladie et décident de demander de l’aide scientifique aussi.
A Marseille, nous avons une certaine expérience dans la matière. Il suffirait que l’on nous contacte pour mettre en branle les structures qui existent déjà. Pour sauver une vie, on ne se lasse jamais.
Courtoisie:
Docteur Jonas Jolivert pour Haïti Recto Verso