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mercredi 5 février 2020

Ignorés en Haïti, ces «artistes des déchets» sont célébrés ailleurs

Les déchets servent de matières premières au travail de l’atelier « Atis rezistans ». Ce regroupement d’artistes internationalement reconnu n’attire pourtant pas la grande foule en Haïti. 

Atis Rezistans réunit plusieurs dizaines d’artistes, essentiellement des sculpteurs, et constitue un des principaux centres de production artistique en plein cœur du centre-ville, à Port-au-Prince.
Ces artistes travaillent avec ce qu’ils peuvent trouver dans leur environnement immédiat : morceaux de tôle, pièces de voiture, capsules de canettes, fil de fer, grillages, caoutchouc, déchets de cuir, vis, écrous, morceaux de jouets, carton…
Ils accouchent des œuvres sculpturales réussies et admirées, principalement en dehors d’Haïti. Ces productions touchent à des thématiques inspirées du vaudou et de la situation socioéconomique du pays.
Certains membres d’Atis Rezistans exposent leurs travaux dans le monde entier. L’accueil et la reconnaissance se révèlent froids à l’intérieur du pays.

Peu d’Haïtiens achètent les œuvres produites
Gilel Aristilde est l’un des artistes du mouvement Atis Rezistans. Âgé d’une trentaine d’années, il a été initié à l’art de récupération par le sculpteur André Eugène, son mentor. Il fait savoir que « peu d’Haïtiens dans le pays achètent les œuvres produites. En deux mois, on ne comptera pas plus de cinq visiteurs haïtiens dans la galerie Atis Rezistans. [Pour eux, ce sont des œuvres mystiques]. »
Les œuvres de Gilel Aristilde, comme d’autres jeunes de l’atelier, participent pourtant à des expositions prestigieuses internationales comme en Suède à Stockholm.
En Haïti, l’art est vraiment négligé et tout le monde suit la politique, prolonge André Eugène. La galerie d’art de l’atelier porte le nom de ce sculpteur haïtien. Il a commencé par la traditionnelle sculpture en bois qui se pratiquait depuis des lustres dans la communauté de la Grand-rue.
Eugène explique qu’il y a une vingtaine d’artistes haïtiens qui exposent leurs œuvres dans la galerie. « Et, des citoyens haïtiens me demandent souvent : à quoi sert l’art puisqu’il est une fin en soi ? Je leur réponds à chaque fois qu’il n’y a que les choses inutiles qui donnent du prix à la vie. Vivre est bien, mais jouir de la vie, en être conscient, comprendre, sentir est mieux ».

Campagne anti-superstitieuse
Depuis quelques années, la sculpture est devenue dans l’art contemporain un art majeur. Cependant, depuis la période coloniale, toutes les pratiques liées peu ou prou au vaudou ou à la culture populaire quand elles ne sont pas condamnées sont qualifiées d’activités magiques y compris les remèdes naturels. C’est le cas de l’art de récupération.
« Toute forme de statue étant considérée comme objet de superstition, il y a des gens qui se tiennent devant l’entrée de l’atelier pour nous prêcher. Parfois, certains prédicateurs montrent une attitude violente envers nos œuvres », révèle Gilel Aristilde.
Michel Philippe Lerebours, docteur en histoire de l’art et archéologie, est l’auteur de Haïti et ses peintres de 1804 à 1980, Souffrance et espoirs d’un peuple. Dans cet ouvrage, il soutient que la plus grave conséquence de l’action de l’Église catholique contre le vaudou est la perte de l’origine et du développement de l’art populaire.
Toute la difficulté de réception de la sculpture en Haïti, confirme Sterlin Ulysse, vice-doyen de l’IERAH/ISERSS, trouve son explication dans la répression contre le vaudou.
Dans le cas d’Haïti, Sterlin Ulysse explique que si le constat prouve que, du point de vue religieux, « la campagne de rejeter » a échoué, « du point de vue artistique, les répressions contre le vaudou ont alimenté une certaine crainte de la sculpture. »

Sans les touristes, Atis Rezistans est à l’agonie

Finalement, ce sont les touristes étrangers qui principalement achètent les œuvres produits par Atis Rezistans. Cependant, la crise politique des derniers mois rend la situation compliquée. « Nous avons passé une année de dur labeur. Il n’y a pas de touristes. Personne ne vient nous visiter dans cette zone de non-droit », explique Eugène.
Pour survivre, l’actuel leader du mouvement fait savoir qu’ils comptent sur les opportunités offertes à l’extérieur du pays. « Nous exposons nos œuvres beaucoup plus à l’étranger, dans les grandes expositions internationales. Sinon, les artistes n’auraient pas les moyens de [survivre] », dit Eugène.

L’État n’offre aucun accompagnement
Les autorités étatiques figurent dans la liste des absents. « Le ministère de l’Environnement devrait nous accompagner, mais ce n’est pas le cas », précise Eugène. Or, continue-t-il, « avec la dégradation de l’environnement, nous nous occupons d’une partie des débris et les intégrons dans l’artisanat haïtien. Nous présentons des œuvres très riches. Et surtout, la création de l’atelier est issue d’une volonté de protéger l’environnement. » Par ailleurs, le secteur culturel, toutes catégories confondues, n’a hérité que de 1,38 milliard de gourdes dans le dernier budget estimé à 144 milliards de gourdes voté par le Parlement.

Auteur: Snayder Pierre-Louis
Source: https://ayibopost.com/ignores-en-haiti-ces-artistes-des-dechets-sont-celebres-ailleurs/

Bien que populaire, le « Ti Pwason » reste une pratique dangereuse

Pour ce dimanche après-midi, déjà dix couples 
se sont jetés à l’eau pour des séances de Ti Pwason,
 sans préservatifs. Photo: Samuel Céliné / Ayibopost
Les relations sexuelles sans protection en milieu marin sont devenues monnaies courantes en Haïti. Selon les tenants de cette tendance, l’eau de mer empêche la propagation des maladies. Appelée « Ti pwason », cette pratique, comme bien d’autres, n’a aucun fondement scientifique
Dans la mer placide qui titille les plages de Le lambi à Mariani, une dizaine de jeunes femmes en bikini s’agrippent à des hommes souvent plus âgés qu’elles.
Ici, c’est une demoiselle lancée dans une danse lascive, ses bras enroulés autour du cou d’un homme. Là-bas, l’homme se tient derrière la jeune femme qui se penche en avant. L’eau est peu profonde et depuis la plage, on peut assister au spectacle gratuit des tours de reins et entendre les gémissements partagés.
Pour ce dimanche après-midi, déjà dix couples se sont jetés à l’eau pour des séances de Ti Pwason, sans préservatifs. Autour d’eux, une trentaine d’hommes en attente scrutent les faits et gestes de chaque femme. C’est une nouvelle forme de prostitution qui prend chair dans la zone. Avec 75 gourdes, les clients peuvent s’offrir une séance sexuelle en pleine mer.
Le « Ti Pwason » nage dans une croyance répandue en Haïti qui veut que les relations sexuelles non protégées soient sans risque si elles tiennent lieu dans la mer. Il s’agit d’une croyance « fausse et folklorique », répond le docteur Tony Bistiné, spécialiste en médecine générale intégrale (MGI).
Le médecin souligne que le VIH se propage grâce à la continuité sanguine très fréquente lors des rapports sexuels. « Quel que soit le milieu où a eu lieu un rapport sexuel sans préservatif, il peut toujours avoir une continuité sanguine et à chaque fois qu’il y a continuité sanguine, il y a possibilité de contracter un VIH », rappelle Tony Bistiné.
Le docteur William Pape du centre GHESKIO va plus loin. Il explique que « le sel marin empêche les sécrétions destinées à fluidifier les organes génitaux lors des rapports sexuels. Ainsi, sans cette sécrétion, le risque d’avoir des lésions augmente et favorise du coup, la continuité sanguine. »
Une croyance têtue
Malgré sa dangerosité, le « Ti pwason » compte de fervents adeptes, comme Pierrot. « L’eau de mer est si salée qu’elle détruit les spermatozoïdes et empêche les femmes de tomber enceintes », pense le jeune homme. « Si elle peut détruire les germes d’un enfant, elle peut aussi détruire les germes du SIDA ».
De son côté Marceus, un monsieur dans la cinquantaine, fait confiance aux prostituées. « Si elles acceptent d’avoir des rapports sexuels sans préservatif, c’est que l’eau de mer empêche vraiment de contracter le SIDA. Ces gens-là sont très soucieux de leur santé ».
« Black », l’une des prostituées pratiquant le Ti Pwason à Le lambi ne tient pourtant pas une position aussi tranchée. « On peut se faire infecter en ayant des rapports sexuels dans la mer avec une personne déjà infectée, mais moi, j’ai ma propre habitude de ne pas laisser les hommes éjaculer dans mon vagin, car c’est le sperme qui véhicule le SIDA ».

Moi, j’ai ma propre habitude de ne pas laisser 
les hommes éjaculer dans mon vagin, 
car c’est le sperme qui véhicule le sida ». 
Photo: Samuel Céliné / Ayibopost
 « Voye monte »
Quoi qu’il en soit, les opinions qui précèdent n’ont aucune base scientifique. L’urologue Watson Exantus parle d’un problème de « voye monte ».
Selon Exantus, il y a effectivement une étude qui démontre qu’en dehors du milieu humain, le virus du SIDA est moins efficace. « Si vous mettez le virus dans de l’eau, son spectre infectant sera réduit à 1000/100, mais pas à zéro ». Donc, la possibilité de se faire infecter en ayant des rapports sexuels dans la mer existe.
Il ne s’agit pas de la première rumeur infondée qui circule sur les maladies sexuellement transmissibles en Haïti souligne William Pape. Le responsable du centre GHESKIO se rappelle les affirmations faisant passer le VIH pour une sorte de « mauvais sort envoyé par un ennemi » ou les « potions à base de feuilles » déjà proposées comme traitement au SIDA ou pour empêcher d’attraper le virus.
Selon le médecin plusieurs fois primé en dehors d’Haïti pour son travail auprès de la population, ces rumeurs ne sont pas correctes, mais « offrent des avantages à des opportunistes qui profitent de la situation des moins éduqués ».
Il établit ainsi un parallèle entre le niveau de l’éducation d’un peuple et la santé des citoyens. « Moins on est éduqué et informé, plus on est vulnérable face à ces genres de rumeurs sans fondement », avance le docteur. Malgré la persistance de ces difficultés, le responsable du centre GHESKIO confie que le pays avance positivement dans la lutte contre le VIH. « Pendant à peu près 20 ans, le SIDA a été la première cause de décès en Haïti. Aujourd’hui, il occupe la 7e place et ne représente que 5.7% des décès ». Et sur les 150 000 à 175 000 citoyens infectés sur le territoire, près de 100 000 reçoivent des médicaments dévoile le responsable du centre GHESKIO.
Auteur: Samuel Celine
Source: https://ayibopost.com/bien-que-populaire-le-ti-pwason-reste-une-pratique-dangereuse/