Les anciens du Centre d’Etudes Secondaires, plus particulièrement ceux qui ont connu le triptyque légendaire qui a constitué pendant longtemps la direction de cet établissement scolaire se rappelleront les rengaines de Monsieur Claude, Jean Claude qui nous invitait sans cesse à nous « humaniser ».
A l’époque, il nous invectivait quand il nous surprenait entrain de nous exprimer en créole sur la cour de l’école. Son faciès grimaçant loin d’être effrayant provoquait de l’hilarité surtout quand il nous conseillait de nous exprimer en « langue humaine ». Il faisait référence simplement à la langue française.
Tous les élèves de l’école étaient au courant de l’amour que Monsieur Claude professait à Jacmel, à Paris et à la langue française.
Chaque fois qu’il m’est venu à l’idée d’écrire une réflexion autour d’un fait, d’une action, d’un accident ou d’un incident au sein de la famille haïtienne, cette rengaine me vint à l’esprit.
Souvent je me sens habité par cette sensation désagréable qui me pousse à penser que nous autres les haïtiens, en dépit des apparences, nous avons du mal à valoriser les éléments fondamentaux et corolaires qui vont de pair avec notre appartenance à l’espèce humaine.
L’absence de ces éléments constitue de vrais obstacles à des aboutissements qui trouvent leurs bases théoriques dans des termes comme avancement, progrès, développement.
Tous les comportements jugés aberrants et illogiques semblent tenir leur genèse dans ce constat.
Dernièrement, une très bonne amie avait écarquillé les yeux pour trouver le rapport entre un appel à l’humanisation que j’avais lancé comme commentaire à je ne sais plus quel comportement par elle dénoncé.
Aujourd’hui je reviens avec une invitation similaire après avoir appris la nouvelle de la tragédie survenue lors du défilé du deuxième jour du carnaval haïtien dans sa cuvée 2015.
Entre dix-huit et vingt personnes ont été tuées par électrocution et par des mouvements de la foule prise de panique.
De séquences vidéo montrent comment le chanteur d’un groupe monté sur un char construit en hauteur se transforme en vraie torche humaine quand son corps heurta un câble de haute tension tendu sur le parcours du carnaval. Puis, il s’en suivrait des cas d’électrocution à la chaine et des piétinements par le mouvement de la foule. Le tout pour un macabre solde de vingt morts et des blessés y compris des brûlés graves.
Beaucoup parleront d’accident.
Moi j’ai envie de parler d’incident. Un incident regrettable. Criminel et évitable.
Les accidents mortels durant le défilé carnavalesque sont très fréquents. Pour un pays comme le Brésil ou se déroulent probablement les festivités carnavalesques les plus prisées du monde, le nombre de morts pouvait servir de facteur pour jauger le succès de l’évènement.
Le Carnaval haïtien compte souvent des morts et des blessés. Mais pas dans des circonstances aussi évitables.
Dans les pays ou la vie humaine revêt de l’importance, une étude minutieuse du parcours carnavalesque aurait été faite pour établir la liste des dangers potentiels et pour prendre les mesures adéquates pour les éviter.
La vérification de la hauteur à laquelle sont placés les câbles électriques devait servir pour établir des normes pour la construction des chars.
Une mesure simple et logique que la mairie de Port-au-Prince, le comité carnavalesque, et les propres groupes musicaux ont négligé.
Dans l’organisation du Carnaval quelqu’un a-t-il jamais évoqué le concept « assurance » dans l’optique des risques concomitants à un évènement populaire de cette nature ?
Hier soir une amie croyante, rendait grâce à Dieu en disant qu’Haïti était un pays béni !
Son argument tenait sur le fait qu’il y ait eu que 20 morts après cet incident qui s’est produit sur le parcours du Carnaval, un évènement aussi concouru. Sans vouloir froisser sa conviction je lui ai simplement dit « à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »
Après avoir pleuré leurs morts, les familles des victimes devront demander des comptes. Il y a des responsabilités à établir.
Demander des comptes s’inscrit dans cette démarche sur cette route que nous n’empruntons pas assez souvent. Celle de dire que la vie de tout homme est précieuse. La société se doit de la valoriser et de la protéger.
Quand nous serons « rentrés dans l’humanité » nous trouverons anormales certaines réalités et nous exigerons un traitement digne et en accord avec notre statut que nous semblons négliger.
En ceci consiste l’essentiel de ce processus d’humanisation que tous les haïtiens doivent exiger à cor et à cri.
Cette humanisation nous inculquera l’indignation active au lieu de la résignation morbide. Elle nous dictera l’action courageuse et concertée contre la résilience plate, atone et arrangeante.
Elle nous placera au-dessus des animaux inférieurs pour exiger et travailler en faveur de conditions de vie compatibles avec cette réalité.
Dr Jonas JOLIVERT
18/02/2015
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)