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samedi 22 septembre 2007

Bientôt une enquête sur l'économie informelle

L'Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI) réalisera une enquête, la première du genre, sur l'emploi, l'économie informelle et la consommation (EEEICM). L'objectif poursuivi est d'améliorer les statistiques du travail, des comptes nationaux en vue de reconnaître la contribution du secteur informel dans la création d'emplois et la production nationale.Le directeur technique de l'EEEICM, Daniel Milbin, informe que ladite enquête permettra de mesurer et d'analyser l'emploi informel dans l'emploi total tout en étudiant les micro-entreprises informelles.

Dans le souci de former les enquêteurs, l'IHSI organise du 20 septembre au 12 octobre 2007, dans les locaux de la Faculté des Sciences de l'Université d'Etat d'Haïti (UEH), un séminaire de formation, à l'intention de 225 jeunes étudiants venus des quatre coins du pays. De ce groupe, les responsables de l'IHSI auront à choisir les enquêteurs qui réaliseront sur le terrain l'EEEICM en trois phases. La collecte des informations de cette enquête doit être bouclée au mois de janvier 2008.

Selon les informations fournies par le directeur administratif et financier de l'EEEICM, Harry Salomon, plus de 8 000 ménages seront interrogés dans le cadre de cette enquête sur l'emploi, l'économie informelle et la consommation à réaliser en trois phases (1-2-3). M. Salomon qui est aussi directeur des Statiques économiques à l'IHSI confie que 148 enquêteurs et 52 superviseurs seront sélectionnés à la fin de cette séance de formation. Il annonce la fin de la première phase de l'enquête pour le 30 novembre 2007 et celle de la deuxième phase pour la fin de février 2008. La date de la dernière phase est encore à déterminer.

La méthodologie de l'enquête qui cite un document de l'Organisation internationale de Travail (OIT) définit l'économie informelle comme l'ensemble des activités exercées par les travailleurs et les unités économiques qui ne sont pas couvertes ou qui sont insuffisamment couvertes par des arrangements formels.

Dieudonné Joachim

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=48816&PubDate=2007-09-22

Pain quotidien : le prix à payer

Le prix de la farine a, depuis quelques jours, augmenté sur le marché local. Cela est dû à la flambée du prix de blé sur le marché international, selon les responsables de l'entreprise commerciale Les Moulins d'Haïti (LMH).

Le prix pain et autres produits à base de farine a légèrement augmenté sur le marché local. Et cela n'est pas sans répercussion sur le budget des ménages. Certains grossistes et revendeurs se plaignent de l'augmentation brusque de la farine. « Nous payons actuellement un surplus de 25 % sur la farine, explique Midguet Sanchez, directeur de la boulangerie adventiste d'Haïti. Donc, nous sommes bien obligés d'augmenter nos prix jusqu'à 15 %.» Les consommateurs, pour leur part, font remarquer que le pain qu'ils achètent aux coins des rues est moins volumineux. « Le sachet de ''pain bois'' qui coûtait autrefois 10 gourdes est passé aujourd'hui à 12 gourdes. Dans certaines zones, on peut le payer jusqu'à 15 gourdes », explique une jeune femme rencontrée ce matin dans les parages de la boulangerie de Delmas 60. Le pire, poursuit-elle, c'est que le prix a augmenté tandis que le volume du pain diminue considérablement.

Cette réalité n'est pas la même partout. Des boulangeries font carrément varier le prix du pain entre cinq à dix gourdes, sans pour autant modifier le poids. Cette politique appliquée suite à la flambée du prix de la farine atténue l'effet de la hausse qui affecte le consommateur, la principale victime.
Chez les grossistes, un sac de farine de blé coûtait autrefois 1000 gourdes contre 1225 à 1240 aujourd'hui. A la boulangerie adventiste d'Haïti à Diquini, le pain enrichi est passé de 30 à 35 gourdes. Le prix d'un plateau de 24 pains n'a pas changé à la boulangerie L'Eternel est Grand à Delmas 89. « Les petits détaillants refusent de payer le plateau au prix fixé », lâche Will Dossou, un boulanger de Delmas.
Cette hausse a un impact direct sur la clientèle. Depuis début septembre, des boulangeries reçoivent moins de clients que d'habitude. Une situation qui inquiète certains propriétaires de boulangeries. « Si la clientèle se réduit davantage, nous finirons par fermer nos portes », se désole Midguet Sanchez, directeur de la boulangerie adventiste de Diquini. L'artisan-boulanger dit toutefois espérer à une amélioration de la situation.
Une amélioration qui ne dépend nullement des autorités haïtiennes, selon Saurel Gilet, directeur du commerce intérieur au Ministère du Commerce et de l'Industrie (MCI). Haïti est un pays importateur de blé et par conséquent dépend des variations du prix sur le marché international. « Les consommateurs doivent attendre. Nous dépendons du marché international », reconnaît Emmanuel Brinvil, assistant commercial de Les Moulins d'Haïti (LMH).

Cependant, tout comme les consommateurs, M. Brinvil ne sait pas trop quand cela va changer. Les causes de l'augmentation sont multiples et un peu délicates. Les pays producteurs de blé ont connu une période de vache maigre cette année. Les fortes pluies qui se sont abattues dans diverses régions des Etats-Unis, troisième producteur mondial de blé, ont considérablement diminué le produit sur le marché international.

D'autant plus que, l'utilisation de certaines céréales, telles que le maïs, comme intrants dans la fabrication du biocarburant, notamment l'éthanol, affecte quelque peu la filière. Les spécialistes jettent le cap sur le blé pour la fabrication du biocarburant. Ce qui porte certains pays producteurs de blé à garder leurs marchandises chez eux. La demande étant plus élevée, les producteurs jouent sur le prix.

Haïti n'est pas le seul pays à être victime de la flambée de blé sur le marché international. Plusieurs pays de l'Europe, de l'Amérique et de l'Afrique subissent également le contrecoup. Le prix du blé dans certains pays a presque doublé. En France, par exemple, le prix de la baguette subit régulièrement l'effet yoyo. « Le prix de la baguette n'est plus réglementé en France depuis 1978. Traditionnellement, les boulangers décident de modifier les étiquettes à la hausse ou à la baisse en septembre, et de rares fois en janvier », a rapporté une agence en ligne.
Dans certains pays d'Afrique, notamment au Bénin, on commence à expérimenter d'autres intrants, tels le manioc, dans la fabrication du pain. En Haïti, on pourrait faire de même, souligne Dieuseul Lefèvre, assistant directeur à la direction du commerce interne à Ministère du Commerce et de l'Industrie. « Nous pouvons utiliser certains vivres et tubercules riches en amidon, comme l'arbre véritable, le manioc et autres, dans la fabrication de pain », a-t-il conclu.

Jean Max Saint-Fleur
tmaxner@yahoo.fr

Sherline Chanlatte Duplan
sherlinecduplan@yahoo.fr

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=48613&PubDate=2007-09-22

Le PIC (Programme à Impact Communal) devient réalité



Vingt communes sont actuellement bénéficiaires du premier lot de 40 projets du Programme à impact communal (PIC). Ce programme initié par l'Etat Haïtien vise l'amélioration des conditions matérielles d'existences des populations rurales et urbaines et le renforcement du cadre administratif et de gestion des mairies.

Un protocole d'accord a été signé, ce vendredi, entre le Ministère de l'Intérieur et des Collectivités territoriales (MICT), le PL-480, des représentants de la Primature et les maires de Bainet et d'Anse-d'Hainault. Ce protocole à pour objectif de renforcer la capacité d'action des mairies à répondre aux besoins immédiats des communautés et permettre aux firmes locales de participer à la réalisation des projets.

Selon le ministre de l'Intérieur et des Collectivités territoriales, Paul Antoine Bien-Aimé, ce protocole d'accord entre dans le cadre du Programme à impact communal (PIC). « Un premier lot de 40 projets pour un total de vingt communes est actuellement en cours. Les communes de Gros-Morne, de Port de Paix, de Marigot comptent parmi les tout premiers bénéficiaires », a-t-il informé.

Financé à hauteur de 500 000 à 3 millions de gourdes, chaque projet du PIC entend renforcer la capacité d'action des mairies et répondre aux différents besoins immédiats des 140 communes du pays, selon ce qu'a informé Michael Lecorps, directeur général du Bureau de gestion PL-480. Selon lui, le PL-480 va mettre des fonds à la disposition des mairies en vue de les aider à réaliser leurs projets. Pour sa part, Marcel Mondésir, l'un des représentants de la Primature, a indiqué que le PIC a débuté depuis juin 2007, suivant une démarche participative. « Les élus locaux et les différents secteurs des communes ont participé à la conception des projets », a-t-il précisé.
Selon M. Mondésir, les projets du PIC répondent aux besoins primaires des sections communales et des communes tout en facilitant le processus de décentralisation et la cohésion sociale. Le renforcement de la production agricole, la réhabilitation de certaines écoles, des centres de santé, la réhabilitation des citernes publiques sont, entres autres, les priorités du programme.
De l'avis de M. Mondésir, la réalisation des ces projets est une façon de créer des emplois dans les zone rurales et urbaines, aussi les firmes locales seront-elles privilégiées.

Wanzor Beaubrun

winby07@hotmail.com
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=48814&PubDate=2007-09-22
Une question:
Combien y a –t-il de programmes?

L'ambassadeur Fritz Cinéas précise

Suite à la publication, dans notre édition du jeudi 20 septembre en cours, de l'article titré "Ascendance haïtienne : binationaux ou apatrides" paru sous la plume de notre rédacteur Samuel Baucicaut relativement aux déclarations de l'Ambassadeur Fritz Cinéas, le diplomate haïtien en poste à Santo Domingo a écrit au journal pour donner sa propre version des faits. Le Nouvelliste publie in extenso la correspondance de l'ambassadeur.

Santo Domingo, le 21 septembre 2007

Cher monsieur Baucicaut,

Je désire tout d'abord vous remercier pour l'occasion que vous m'avez offerte, en fin de votre article paru le 20 septembre 2007 dans les colonnes de" Le Nouvelliste", d'apporter des précisions au sujet de mes déclarations faites le 29 août dernier, à l'occasion d'un déjeuner auquel j'avais été convié par le Groupe Corripio, à Santo Domingo.

Il est vraiment malheureux qu'il soit difficile de publier in extenso ma conversation avec les plus de vingt journalistes de la presse parlée, écrite et télévisée de cet important Groupe qui participaient à cette agape. S'il en était autrement, le débat aurait été académique et n'aurait peut être pas soulevé autant de commentaires.
En répondant à la question concernant la situation des enfants nés de père haïtien ou de mère haïtienne en République Dominicaine, j'ai cité exactement ce qui est prévu à l'article 11 de notre Constitution, nonobstant ce que détermine la Constitution de la République Dominicaine en ce qui concerne la nationalité des enfants nés sur son territoire et ai parlé de la déclaration d'option à l'âge de la majorité.
L'Ambassadeur d'Haïti ne pourrait admettre que les enfants de nos compatriotes nés en République Dominicaine sont des apatrides. Notre Constitution protège justement les enfants de nos expatriés. Nos ressources financières malheureusement ne nous permettent pas de les atteindre partout où ils se trouvent pour leur offrir les services auxquels ils ont droit.
Nous luttons pour le respect des droits de nos compatriotes dans ce pays.
Dès notre arrivée en janvier 2006, à la tête de notre représentation Diplomatique en République Dominicaine, à un moment particulièrement délicat de nos rapports avec nos voisins, notre leitmotiv a été le suivant et nous n'avons jamais cessé de le répéter:" Nous allons travailler pour une entente cordiale" entre notre pays et la République Dominicaine. Mais cette "Entente Cordiale" ne se fera jamais au détriment des intérêts supérieurs de notre Patrie ni de ceux de nos nombreux frères, les ouvriers agricoles, travaillant péniblement chez nos voisins.
Evidemment, l'action d'un diplomate n'est pas toujours visible et dans notre cas plus spécialement. Débattre publiquement nos querelles avec nos voisins aurait été négatif et au lieu d'améliorer les rapports les auraient envenimés. C'est pourquoi le grand public et la presse ne pourront jamais apprécier à sa juste valeur notre action et nos démarches. Nous continuerons à utiliser les voies traditionnelles de la diplomatie, les canaux normaux de communication, filières habituelles par lesquelles les agents diplomatiques doivent passer pour évacuer les querelles, les dissensions, les chocs qui sont souvent le lot des rapports surtout entre pays limitrophes.

Ce que certains appellent " le mutisme" de l'Ambassadeur Cinéas traduit une méconnaissance du rôle du diplomate. Il y a une réserve qui est indispensable dans les positions difficiles et l'activité de l'Ambassadeur, fondée sur la prévention de tout incident, est exposée à des situations à risque qui révèlent toute la fragilité du rôle diplomatique. C'est pourquoi, le sang froid, la réserve, le tact, la maîtrise de soi et la civilité, doivent prévaloir sur les éclats verbaux, souvent préjudiciables aux principes et à ceux que l'on prétend défendre.

La négociation dans la vie internationale est la recherche des solutions par voie d'un accord pacifique. Ce jeu complexe se déroule discrètement par les contacts, les entretiens personnels ainsi que les concessions réciproques et aboutit parfois à des ajustements qui consolident les relations pacifiques, but essentiel de la diplomatie.

Dans leur lettre, les organisations signataires font référence à un certain rapport de la CIA condamnant le régime des Présidents Duvalier " dans le trafic des personnes par l'embauche des braceros à l'époque où j'étais Ambassadeur". Le contrat d'embauchage a existé bien longtemps avant l'avènement en 1957 du Docteur François Duvalier à la Présidence de la République. Il fut un instrument légal signé le cinq février 1952 durant le gouvernement du Général de division Paul Eugène Magloire, repris et modifié le 14 novembre 1966 entre les gouvernements des Présidents François Duvalier et Joaquim Balaguer.
Nous avons certes été Ambassadeur, pour la première fois en République Dominicaine, de mars 1979 à mars 1981 et si le rapport de la CIA nous concernait, il eut été impossible pour nous de devenir, par la suite, Ambassadeur, comme nous l'avons été, aux Etats Unis d'Amérique, près la Couronne Espagnole etc.

C'est l'occasion aussi pour moi, cher Monsieur Baucicaut, de faire savoir que s'il est vrai que j'ai reçu une invitation du Groupe Vicini à visiter leurs bateys et installations, je n'ai pas encore répondu à cette invitation. Mes efforts après plus de trois lettres aux organisateurs du déjeuner pour rectification ont été vains. Je vous rappellerai également les propos attribués à notre Président, S.E. René Préval, lors de sa visite en mars dernier par un important quotidien de cette capitale alors que le Chef de l'Etat n'avait fait aucune déclaration.

Toute notre vie diplomatique a été consacrée à la défense des intérêts supérieurs de notre pays. Nous continuerons à le faire aussi longtemps que le Chef de l'Etat, le Chef du Gouvernement et le Sénat de la République nous en auront gardé leur confiance.Je reste à votre disposition pour tous les éclaircissements que vous désireriez avoir et saisis l'occasion pour vous exprimer, mon cher concitoyen, les assurances de ma haute et distinguée considération.

Dr. Fritz N. CinéasAmbassadeur d'Haïti
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=48799&PubDate=2007-09-21
Commentaires :
Malgré les déclarations fracassantes des organisations qui puisent leurs sèves et leurs essences dans ce genre de situation ou la maladresse conjoncturelle est assimilée à une mauvaise foi structurelle, il faudrait reconnaître une part de vérité dans la mise au point de l’ambassadeur.
Il sera toujours très difficile d’être ambassadeur d’Haïti et toujours éviter ce genre de situation embarrassante. La presse et l’opinion dominicaine utiliseront toujours tous les subterfuges pour mettre les fonctionnaires haïtiens dans leurs petits souliers en les interrogeant sur certains aspects troubles des relations dominico-haïtiennes.
Lors du scandale des médias autour des déclarations prêtées à tort au président Preval lors de son passage en République Dominicaine en mars dernier, nous avions eu les réflexions de ce genre. Sans affranchir complètement le président nous avions déploré l’inefficacité d’un éventuel service de presse de la présidence qui n’aurait pas suffisamment filtré les questions et les thèmes embarrassants pour un président de la République dans le contexte de la complexité des relations entre les deux pays.
Aujourd’hui plus que jamais, il est très compliqué d’être diplomatique haïtien en République Dominicaine, comme il est définitivement très compliqué d’être président de la République en Haïti.
Nous ne prétendons pas absoudre l’ambassadeur Cinéas des ses responsabilités face aux accusations souvent portées contre lui. Nous voulons juste admettre qu’il est très difficile de défendre correctement les intérêts d’Haïti en République Dominicaine quand tous les jours on ne parle que de rapatriement de citoyens haïtiens.

Tiga, fondateur du mouvement Saint-Soleil, revisité par Mérès Wèche

Le critique d'art Mérès Wèche vient de publier une monographie sur Tiga, l'illustre fondateur du mouvement « Saint-Soleil », dont l'oeuvre picturale personnelle ne cesse de susciter de vibrants commentaires. Pour l'édification de nos lecteurs, nous publions cet entretien accordé au journal par l'auteur de ladite monographie
Le Nouvelliste : M. Wèche, à lire les propos liminaires de votre intéressant travail critique sur Tiga, on a l'impression de vous retrouver au coeur d'un vif débat. Est-ce bien le cas ?
Mérès Wèche : C'est précisément au cours d'une discussion animée faisant de Tiga un « hermétique » que l'idée m'est venue d'écrire ce livre aussi vite que possible, non pour épater la galerie, mais pour tenter de faire la lumière sur des questions vivement controversées.
L.N : Donc, l'oeuvre de Tiga suscite des commentaires diamétralement opposés ?
M.W : C'est exact. On les retrouve non seulement sur le plan technique, mais aussi idéologique.

L.N : Comment concevez-vous donc l'approche technique de Tiga ?
M.W : Pour Tiga, l'essentiel dans la création artistique, c'est la maîtrise de la matière, non seulement comme élément basique, mais aussi et surtout comme objet de domination technique. On constate chez lui l'aboutissement d'une quête de l'authentique à travers tous ses moyens d'expression : écriture, peinture, musique, ferronnerie, exercice de langage, etc.
La palette de Tiga n'est pas un kaléidoscope. En ce sens, elle ne recèle aucune tendance décorative. Dans l'ensemble, son oeuvre picturale célèbre la sobriété de la couleur et la force des combinaisons neutres ...

L.N : Vous parlez aussi d'idéologie ?
M.W : Il n'y a pas de doute là-dessus. Les tonalités qu'il priorise s'adaptent avec les philosophies qu'il professe : l'humanisme dont il tire ses valeurs abstraites, le déterminisme qui le fait remonter aux conceptions naturalistes de l'antiquité selon lesquelles il existe des rapports de cause à effet entre les phénomènes physiques, les actes humains, etc.
Pour Tiga, les éléments de la création s'harmonisent, se soutiennent, se complètent et s'interpénètrent. Les symbioses « homme-poisson », « homme-oiseau », « poisson-soleil », illustrent sa démarche qui consiste à prouver que l'être est Un, continu et éternel. A l'exemple d'Anaximandre, il fait de l'indéterminé le principe de sa création.

L.N : Comment comprenez-vous la thématique du soleil chez Tiga ?
M.W : Concernant cette thématique, le terme le plus abondamment répandu est « Saint-Soleil », son aspect didactique. D'autres terminologies, telles que « poisson-soleil » et « l'oeil du soleil » constituent respectivement ses aspects thérapeutique et esthétique ; toute une trilogie solaire en mouvance dans l'oeuvre de Tiga.

L.N : S'agissant de « Saint-Soleil » comme expérience-pilote à Soissons-la-Montagne, est-ce que l'esthétique comme théorie de la beauté peut être à la base de l'expression artistique en milieu paysan ?
M.W : En art, vous savez, quelque idéal qu'il puisse être, le « beau » n'est pas tributaire de la subjectivité du goût, mais plutôt de l'exaltation de l'acte de création. A « Saint-Soleil », il existait une esthétique qui n'était pas une invention bourgeoise, philosophique, mais l'expression inconsciente d'un réseau de rapports nouveaux entre l'art et la vie, entre le naturel et l'artistique. L'art savant, au contact des référents populaires, devient partageable, il renouvelle ses ressources et rafraîchit ses nécessaires bagages symboliques. L'art populaire est à même de satisfaire les normes les plus importantes de la tradition esthétique.

L.N : Sur le plan de la création pure, où se situait Tiga lui-même par rapport à ses disciples paysans ?
M.W : Comme chef de file d'une activité de production artistique en milieu paysan, Tiga ne se considérait pas comme un peintre des degrés par rapport à ses disciples. Il n'était pas en soi une « représentation » distincte, distante, mais une forme d'expression plus élaborée appelée à toujours se redéfinir par rapport au naturel. Comme l'écrit Jean-Luc Nancy, « l'art qui reste là, qui se conçoit comme une représentation est en effet un art fini, un art mort ». Au contact des paysans de Soissons, Tiga renouvelait constamment ses acquis factuels.

L.N : En quoi consiste cette philosophie tigasienne dite du « primodernisme » ?
M.W : C'est par sa quête inconditionnelle de l'authentique que Tiga aboutit à cette symbiose du « primitif » et du « moderne » qu'est le primodernisme ; une démarche esthétique qui identifie la puissance de l'art au coeur du sensible, qui consacre l'innéité du pouvoir créateur, qui affirme l'autonomie des beautés inédites et qui détruit les rapports de subordination entre l'art et la société de profit. Par beauté inédite, j'entends cette générosité naturelle qui caractérise l'art primitif et qui « donne à voir » dans le vagissement originel de la conscience toute l'essence de l'être. En tant que quête inconditionnelle de l'authentique, le primodernisme est à la fois beauté naturelle et artistique.

En se disant primodernité, Tiga initie un mode de représentation qui l'engage dans une subtile définition de l'espace quasiment inaccessible, mais qui lui assure, à la manière de Paul Eluard, « une résistance formelle aux apparences mortelles ». Lui-même eut à dire : « J'ai trouvé mon art à l'école de mon peuple ».
L.N : Pour un peintre d'origine bourgeoise, comment avait-il pu rompre avec les pratiques sociales de son milieu pour aboutir à Soissons ?
M.W : Choisir de s'installer à Soissons et d'y faire école, c'était un choix délibéré pour Tiga de se positionner face au traditionnel marché de l'art haïtien, c'est-à-dire en réaction contre une certaine esthétique consacrée (officielle), sorte de régime de production et de reconnaissance de l'art. Vous admettrez avec moi qu'avant Saint-Soleil, on était loin de concevoir en Haïti une activité picturale non « bourgeoise » ou non récupérée par un certain establishment marchand, qui soumettait à sa loi les pratiques artistiques, en les absolutisant et en leur confiant des pouvoirs de pensée, des modes d'inscription dans la pratique sociale.

L.N : Dès lors, Tiga fait figure d'un révolutionnaire ?
M.W : Tout à fait. Permettez-moi, en passant, de vous dire que Tiga était considéré par certains comme un bourgeois en rupture de classe (considération coloriste), et par d'autres, comme un apprenti-sorcier, par rapport à ses accointances vaudouesques. L'entreprise de Tiga, quoique frappée de suspicion, est certainement perçue comme une révolution esthético-sociale, pour être partie d'un milieu stéréotypé. C'est une prise de conscience solitaire et courageuse.

L.N : Comment expliquez-vous l'émerveillement d'André Malraux face à l'expérience « Saint-Soleil » ?
M.W : Vous changez carrément de registre, et je m'attendais à cette question. Bien avant la publication de son « Intemporel », Malraux montrait dans « le Miroir des limbes » qu'il cherchait le moyen de lutter contre la corruption du temps et l'instinct de mort de l'homme. A l'instar des surréalistes, il se dressait contre toutes les formes d'ordre et de conventions logiques, morales, sociales et leur opposait les valeurs de l'instinct et de l'expression naturelle. Malraux, pour qui l'art est un anti-destin, un accès à l'éternité dans la succession des formes, trouvait à Soissons le reflet de son imaginaire : réécritures et métamorphoses diverses.
L'on comprend bien pourquoi il consacra dans son « Intemporel » un long chapitre au mouvement de Soissons. Ne s'est-il pas exclamé : « Saint-Soleil, l'expérience la plus saisissante et la seule contrôlable de peinture magique en notre siècle »!

L.N : Comment les mythes et légendes se construisent dans l'oeuvre de Tiga ?
M.W : Tiga aborde avec succès les allégories mythologiques et montre une profonde compréhension de la nature humaine. Comme je l'ai déjà dit, il s'obstine à remonter le temps jusques aux conceptions naturalistes de l'antiquité. Sa théorie du « Soleil brûlé », c'est non seulement l'acceptation de l'irrationnel comme valeur assignée dans l'univers, mais aussi un renoncement à certaines conceptions conventionnelles de l'art, une théorie qui montre que le monde de l'inorganique et celui de la vie conspirent pour créer d'étranges et symboliques configurations dans le vaste domaine de l'espace et du temps. Un art qui bouscule certaines structures habituelles pour tenter des coïncidences, parfois proches de l'anomalie, mais combien manifestes et indéniables.
En ce qui concerne précisément les mythes et légendes, ils recèlent sous l'apparence d'histoires imaginaires, toute la richesse et la vérité relatives aux origines de la pensée d'avant la raison. Les principaux mythes, en particulier ceux qui concernent les événements majeurs de la vie, existent en nous, sans que nous n'en ayons conscience. Autrement dit, c'est dans l'inconscient collectif que Tiga va chercher l'essentiel de sa création.
L.N : Et d'où vient que la pensée dominante chez Tiga soit le Soleil ?
M.W : C'est en fonction, bien sûr, de la valeur qu'il donne au mythe. Le Soleil, vous savez, est au coeur de la mythologie de la plupart des peuples de la terre. Grecs, Egyptiens, Gaulois, Germains, Scythes, Mayas, Incas, Aztèques, tous accordaient une importance particulière au soleil. Déifié, ils lui attribuaient la paternité de l'esprit et croyaient que sans lui l'humanité n'aurait été qu'un insondable chaos. « En maîtrisant le feu, dira Tiga, l'homme a pris à l'univers une part de son pouvoir ».

L.N : Vu votre connaissance de Tiga, aviez-vous eu des rapports privilégiés avec lui ?
M.W : Sans avoir été son ami intime et même son proche collaborateur, il y avait entre nous certaines affinités artistiques et intellectuelles, au point de m'avoir invité à présenter trois de mes pièces sur support-papier à son exposition « Noir et Blanc » au début des années 90 à Pétion-Ville. Deux ans auparavant, il m'avait accordé une interview à la Télévision Nationale d'Haïti, réalisée par Raphaël Stines, dans le cadre de l'émission « Coup de pinceau ». Aujourd'hui, à côté du film d'Arnold Antonin sur Tiga, cette production qui date d'une vingtaine d'années garde encore sa fraîcheur et fixe dans le temps le profil de ce grand artiste enlevé trop tôt à notre affection.

L.N : Qu'en pense sa famille de votre récente publication ?
M.W : J'en sais rien. J'avais tout de même pris la précaution de communiquer mon projet à sa fille Paskal qui m'apprenait à Miami, au cours du mois de janvier, que mon nom figure sur une liste laissée par son père, comme personne-ressource à voir dans l'éventualité d'un événement autour de sa personne. C'est, cependant, à mon corps défendant que je m'étais faufilé à Kay Tiga dans la salle de dévoilement de son urne funéraire. N'était ma détermination à y être, je n'y serais pas. Je demeure toutefois redevable à Collette Pérodin d'avoir accueilli à bras ouverts ce projet de publication et à Rudolf Dérose de Photo Vision d'avoir bien voulu l'imprimer en partenariat avec Collection Antilles que je dirige depuis 1980.

L.N : Comptez-vous publier d'autres monographies de ce genre ?
M.W : Toujours en collaboration avec Photo Vision, Collection Antilles s'ouvre sur la production artistique haïtienne, et nous espérons pouvoir nous concentrer sur l'oeuvre d'un autre peintre de l'envergure de Tiga.