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vendredi 25 janvier 2008

Le vodou haïtien sur un air de Baudelaire

Le Musée d'ethnographie de Genève met en scène plus de 300 pièces issues d'une collection exceptionnelle d'objets de culte vodou de la Suissesse Marianne Lehmann.
Construite autour d'un poème de Charles Baudelaire, l'exposition «Le Vodou, un art de vivre » est un spectacle haut en couleur pour dérégler ses sens et ses certitudes.C'est un parcours initiatique dans l'univers du vodou haïtien, un cheminement en dix étapes qui sont autant d'expériences sensorielles et d'interrogations sur l'ici et l'ailleurs.


L'exposition conçue par Jacques Hainard, directeur du musée, et son équipe dont le conservateur Philippe Mathez, joue avec les limites de l'objectivité scientifique, tout en évitant les pièges d'une approche purement esthétique.«Une exposition n'est pas un livre, mais un spectacle ou une expérience physique.
Nous avons créé une dramaturgie avec des salles relativement vides au début qui se chargent petit à petit pour devenir foisonnantes vers la fin du parcours», raconte Philippe Mathez.La matière première de l'exposition est, elle aussi, hors normes.
Les quelque 300 objets exposés à Genève proviennent d'une collection unique au monde rassemblée depuis plus de 30 ans par Marianne Lehmann.Cette Suissesse établie depuis 1957 en Haïti a réuni à ce jour plus de 3000 pièces du culte vodou (cette interprétation collective du monde, à la fois religieuse, politique et médicale, créée par les esclaves africains déportés sur l'ile caraïbe). Les objets recueillis par Marianne Lehmann datent quant à eux des années 30 à 60.
«C'est en Haïti que ce culte afro-caribéen est le plus développé. Sa spécificité tient à la culture de résistance développée par les créateurs du vodou. Comme en témoignent les objets présentés à Genève, essentiellement issus du vodou de nuit des Bizango (société secrète). Des objets intimement liés à cette culture de résistance qui fait toute l'originalité de la collection de Marianne Lehmann », explique Philippe Mathez.
L'inspiration de Baudelaire
L'exposition brille également par l'originalité de sa démarche. Tout commence dans une salle où seuls trônent un flacon de parfum et un poème de Charles Baudelaire précisément intitulé «Le Flacon».
Le poète français aurait été initié au vodou par sa maîtresse haïtienne Jeanne Duval.
Une connaissance qui aurait influencé le recueil des «Fleurs du Mal» et tout particulièrement «Le Parfum» dont les premiers vers sont : «Il est de forts parfums pour qui toute matière/Est poreuse. On dirait qu'il pénètre le verre.»
Explications de Philippe Mathez: «Le vodou cherche aussi à capturer des âmes et des esprits pour les enfermer dans des bouteilles par exemple.
Ce poème est aussi une magnifique métaphore du projet ethnographique qui part dans des contrées lointaines pour capturer l'esprit d'une culture.»Et de poursuivre : «Mais le vodou ne se laisse pas enfermer. C'est à la fois une culture, une religion, un art de vivre. A chaque fois qu'on veut décrire le vodou, il s'échappe encore. Par cette exposition, nous avons donc voulu remettre en question l'ensemble des théories anthropologiques et inviter le visiteur à explorer plusieurs pistes», souligne le commissaire de l'exposition.
Un parcours initiatiqueS'en suivent neuf autres salles qui dévoilent et mettent en scène les statues et les objets du culte vodou. «Quand on déballe le vodou, surgissent pêle-mêle pléthore d'idées : une nation d'esclaves libérée, des zombies, des fantasmes hollywoodiens. Et toutes ces images haïtiennes et occidentales s'entrechoquent», commente Philippe Mathez.
Dans un style très contemporain, le parcours muséal explore aussi la voie du rêve, les zombies (des personnes privées de leur liberté de vivre et de penser), les principales figures du Panthéon vodou ou les sociétés secrètes bizango, tombées en désuétude après qu'elles furent manipulées par la dictature des Duvalier dans le cadre de l'élimination des opposants politiques. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles Marianne Lehmann a pu les recueillir.
Une collection en péril
Reste que la collection de Marianne Lehmann est toujours menacée par une partie de la société haïtienne qui y voit les reliques de superstitions révolues ou par les églises méthodistes - très actives en Haïti - qui considèrent le vodou comme une religion satanique qu'il faut éradiquer.Raison pour laquelle l'exposition voyagera ensuite à Amsterdam, Berlin, Brême et Göteborg, avant de retrouver le sol haïtien dans 4 ou 5 ans. «Notre exposition est également une action de sensibilisation pour créer un centre culturel et un musée en Haïti à même de présenter l'ensemble de la collection de Marianne Lehmann», signale Philippe Mathey.Avant de conclure : «La culture est aussi un instrument de développement. Le vodou joue le rôle de médiateur au sein de la société haïtienne. Si les acteurs locaux peuvent se rattacher aux normes du vodou, Haïti pourrait retrouver un équilibre prometteur.»
swissinfo,

Frédéric Burnand à Genève
Extrait de Swissinfo.ch

Cléante Lafontant-Guiteau vue par Rassoul Labuchin

Notre intention n'est pas de procéder à une critique didactique des Maximes, Poèmes et Petites histoires vraies de Cléante Lafontant-Guiteau, mais de faire découvrir le talent qui habite ce jeune auteur de 93 ans, une poétesse douée, doublée d'un écrivain de valeur.
On ne naît pas poète, on est conditionné pour le devenir. Cette opinion partagée par de nombreux critiques paraît logique, puisque basée sur des analyses plutôt objectives.Les pulsions intenses, les caractères héréditaires, la nature ambiante, le climat, la famille, la société, la religion, le contexte historique, la vie politique, les facteurs psychologiques sont, sans conteste, d'un apport considérable à la compréhension du phénomène de la création. Si on y ajoute un vécu, marqué par des expériences particulières qui façonnent un état d'âme privilégié, on avancera mieux sur la voie d'une définition plus efficiente du poète, de l'artiste, du littéraire, du scientifique, du politique. D'autres conditions s'y ajouteront pour nous aider à faire le tour de la question et boucler l'approche : l'amour et la passion de la lecture, du savoir, et l'effort au quotidien pour améliorer son art, sa science, sa vision politique.
Cléante LAFONTANT GUITEAU fut ''d'instinct'' une artiste qui taquinait la muse. Tout le long du sillon que trace son parcours, des graines fécondes en gestation attendaient le moment venu pour faire éclore ses pustules : maximes, poèmes, berceuses, petites histoires vraies ont mûri avant d'être livrés par les EDITIONS AREYTOS aux lecteurs avides de lecture.Respectueuses salutations à Cléante LAFONTANT GUITEAU, le jeune écrivain de 93 ans, le plus âgé des auteurs du demi-siècle dernier, dont la plume est chaude de création et fascinants les écrits.
Assis à son chevet, nous l'écoutons avec attention nous raconter que, fillette, elle métamorphosait des bouteilles de toutes les couleurs et de tailles différentes en poupées de verre. Les poupées de Cléante étaient simples et pures comme l'eau des roches ; l'image de la vierge immaculée, coiffée laïquement de tresses, d'un chou ou d'une natte à la mode de chez nous. Leurs jambes disparaissent sous des bancs imaginaires et le reste du corps drapé de vêtements de fortune. Quant à leurs bras, on reste avec l'impression qu'elles se les croisaient gentiment pour faire figure d'enfants dociles. Elles se tenaient les doigts et ne parlaient pas. Ainsi se montraient les élèves du samedi, du dimanche et des jours fériés de Mademoiselle Cléante, l'institutrice, qui leur assurait des cours sans l'ombre d'un créolisme. La langue vernaculaire n'avait pas droit de cité dans les salles de classe des écoles congréganistes ou laïques à l'époque. L'élève qui osait contrevenir à ce principe recevait de majeurs coups de règle sur les poings bien serrés. Quand aux infractions commises à la grammaire française, l'élève contrevenant devait s'attendre à une correction, et pas des moins sévères.Mademoiselle Cléante leur apprenait des poèmes, des notions d'arithmétique, la règle de trois, les racines carrées, de même que le catéchisme et l'instruction civique.

Chaque âge à ses plaisirs disait Boileau ; l'enfance de Cléante connut le paradis des poupées. Ce fut au temps où on s'extasiait sur ''l'alphabet des humanités neuves'', le temps des bouleversements de la révolution soviétique et, paradoxalement aussi, celui de l'occupation états-unienne d'Haïti.Cléante LAFONTANT GUITEAU avait rêvé de devenir une enseignante, mais s'est plutôt retrouvée derrière les bureaux de l'administration publique où elle a passé le plus clair de son existence. C'est là qu'elle a commencé à confier au papier ses maximes, ses poèmes, ses berceuses, ses petites histoires vraies. Elle profitait des temps morts dans son travail de secrétaire pour lire, écrire, évitant ainsi de se tourner les pouces et de prendre part aux conversations oiseuses.

Cléante se passionnait de livres et s'adonnait à la lecture des auteurs de l'Antiquité, des écrivains français, européens, américains, russes et latino-américains. Son choix allait plutôt à la poésie et aux maximes. On comprend dès lors son engouement pour Lamartine, Hugo, Musset. Le grand fabuliste français Lafontaine l'a beaucoup marquée, ainsi que La Rochefoucauld, Montesquieu... Cioran, l'écrivain français d'origine roumaine, de son vrai nom Emile Michel.On ressent dans ses écrits, hors du sacré, l'innocence de ses poupées. Ils sont empreints d'une laïcité proche des atomistes de la Grèce antique avec une pointe d'hédonisme sur les bords. Vivre selon nature serait sa devise qu'elle ne cache pas. Elle l'exalte même avec des traits piquants qu'atténue son style nuancé.
« L'amour que tu portes en toi, si grand soit-il, est bien peu de chose pour l'appétit d'un coeur. »« Nous sommes libres d'aimer qui nous plaît, à l'aurore comme au crépuscule de notre vie. »« Qu'importe l'âge en amour ! L'essentiel, c'est de vibrer à l'unisson. »Quand une femme dans sa 94e année assume de telles idées sur l'amour, elle mérite notre admiration. Les « Maximes » ne se limitent pas en commentaires sur l'amour, mais aussi sur les vertus, les travers humains, sur les femmes, sur la vie, la lutte des hommes, la souffrance humaine, l'illusion du paradis, la méchanceté...« Que l'espoir en Dieu ne détruise pas notre volonté de vaincre et ne nous endorme pas. »« Sous le ciel plein d'Ave, de Pater, de Credo et d'Alléluias,nous coulons durement des jours tristes et noirs. » « Garde ta langue de la médisance. »
Cette dernière maxime, qui concerne tellement le chez nous, donne plutôt l'air d'un conseil à ceux qui utilise la cruauté du ''coup de langue'' à l'endroit de leur prochain pour les détruire et s'en réjouir. Le grand musicologue haïtien, Constantin Dumervé, membre honoraire de la Société Beethoven, dans l'introduction de son livre sur la musique, préfacé par Maurice Lubin, une vieille connaissance de Cléante Lafontant Guiteau, a souligné la perfidie liée à ce phénomène dont il a été victime : «...épithètes humiliants, mépris, coup de langue de chez nous, n'ébranlèrent point ma conviction... »
Dans ses maximes, Cléante Lafontant Guiteau opine aussi sur la jalousie qui est, selon elle, une maladie qu'on retrouve chez les êtres humains et même parmi les artistes et les écrivains les plus doués, malheureusement !La méchanceté des jaloux et des envieux les porte à haïr leur prochain, à persécuter tout présumé adversaire.Jacques Roumain, Jacques Stéphen Alexis, des politiques et des littéraires d'obédience marxiste, ont été des citoyens persécutés à cause de leur vision politique, de leur pureté d'homme et de leur incontestable talent.« L'envie, la haine et l'orgueil sont des facteurs destructeurs de notre société. »« Le dépassement que tu convoites risque de t'anéantir si tu tiens seulement à dépasser les autres. »« Fuyons les méchants pour ne pas devenir plus méchants qu'eux. »
Une petite histoire vraie pour changer de ton. Cléante Lafontant Guiteau n'entendait pour rien au monde utiliser la langue créole dans ses écrits. Un jour, je lui lisais quelques-uns de mes poèmes en langue populaire. Elle m'affirma sans ambages : « Ça, ce n'est pas du créole, c'est de la poésie ! ». La poésie est, en effet, un langage universel et, mieux encore, le 7e art qui n'a pas nécessairement besoin du support de la langue pour communiquer ses images de rêve à tout spectateur avide de lyrisme. Que ce lyrisme soit un appel du coeur ou une ferveur révolutionnaire.

Cléante Lafontant Guiteau possède en elle les rosées magiques de l'art du rêve. C'est surtout sa poésie qui m'émerveille. De l'ensemble de son oeuvre se dégage une grande vitalité et un fort courant d'optimisme qui me font croire que le monde sortira vainqueur des catastrophes qui le menacent.

RASSOUL LABUCHIN
Yves MEDARD
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=53260&PubDate=2008-01-25