mercredi 22 août 2007
Analyse
Par Wooldy Edson Louidor
Santo Domingo, 22 août 07 [AlterPresse] --- Les migrantes et migrants haïtiens, principalement ceux et celles vivant dans les bateys (habitations situées dans les plantations sucrières) et dans les zones urbaines marginalisées en République Dominicaine, se trouvent au niveau le plus bas de l’échelle sociale, suivis par les Dominicaines et Dominicains d’origine haïtienne, selon les conclusions d’une étude réalisée par Ayacs Mercedes Contreras [1] sur les mécanismes d’exclusion socio-ethnique dans la société dominicaine.
« L’enfermement ethnoculturel basé sur la discrimination opérant à travers des barrières institutionnelles et des pratiques sociales » contre les Dominicaines et Dominicains d’ascendance haïtienne, « l’exclusion du jeu politique et la faible action collective » dérivées de « leur manque de voix et de capacité de mobilisation politique » et « l’enfermement légal » constitueraient, selon la chercheuse, les principaux mécanismes d’exclusion, à la base de ce « désavantage social » dont est victime ce segment de la population dominicaine.
Se basant sur le concept d’exclusion sociale définie comme étant « le processus par lequel des individus ou des groupes humains sont exclus, de manière partielle ou totale, d’une participation pleine à la société où ils vivent », elle utilise les statistiques des entités gouvernementales et étatiques dominicaines, ainsi que celles des centres académiques, des organisations non gouvernementales et internationales, sur le profil socioéconomique (éducation, logement et revenu-consommation) des Dominicaines et Dominicains d’origine haïtienne pour démontrer que la thèse communément acceptée du déficit de capital humain (concrètement le déficit de l’éducation) ne suffit pas à elle seule à expliquer l’exclusion de cette catégorie sociale.
Évidemment, les Dominicaines et Dominicains d’ascendance haïtienne ont « un profil éducationnel plus bas que la moyenne de la population dominicaine en général, toutefois plus haut que les migrants haïtiens », reconnaît-elle, après avoir croisé les données tirées du recensement de 2002 avec les résultats de l’enquête réalisée, en 2004, conjointement par la Faculté Latino-américaine des Sciences Sociales (FLACSO) et l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) sur les migrants haïtiens en République Dominicaine [2].
« Le taux d’analphabétisme (des adultes) de cette minorité (27%) est presque équivalent au double de la moyenne nationale (16%), mais trois fois plus bas que celui des migrants haïtiens (73%) », illustre-t-elle.
En ce qui a trait au logement, les conditions (matériel de construction, type de logement, surpopulation, services sanitaires) des Dominicaines et Dominicains d’ascendance haïtienne sont meilleures que celles des migrants haïtiens, mais pires que celles de n’importe quel autre groupe du pays avec lequel on les compare, poursuit-elle.
Du point de vue du revenu et de la consommation, la chercheuse a utilisé deux variables dénommées « variables proxy », en l’occurrence, le nombre de matériels électrodomestiques et d’autres biens durables (four électrique, appareil de télévision, réfrigérateur, machine à laver, téléphone, automobile, etc.) utilisés, faute de données fiables sur le revenu en République Dominicaine.
Ce groupe social a moins d’accès à ces appareils et biens que toutes les autres catégories en République Dominicaine, devançant seulement les migrants haïtiens, selon la même étude.
Le manque d’informations d’une grande partie de la population des deux pays au sujet de cette situation
Par ailleurs, cette dure réalité à laquelle les migrantes et migrants haïtiens et leurs descendants en République Dominicaine sont en butte est à la fois peu et mal connue par une grande partie de la population des deux pays, selon les différents témoignages et observations recueillis par l’agence en ligne AlterPresse.
Ce manque d’informations concernant la situation des migrants haïtiens et de leurs descendants vivant sur le territoire dominicain ne manque pas d’entraîner des conséquences non négligeables sur la formation de l’opinion publique dans les deux pays, sur la possibilité d’ouvrir un débat sérieux, aux niveaux national et binational, autour des rapports entre les deux peuples et sur les jugements et attitudes adoptés par des citoyennes et citoyennes des deux côtés de l’île à l’égard de la problématique de la migration haitiano-dominicaine.
Les conséquences de cette ignorance
Les premiers bénéficiaires de cette carence d’informations, ce sont des secteurs ultranationalistes, dans les deux sociétés, dont les discours, jugés « très dangereux » par plus d’un, tendent de plus en plus à se convertir en l’ « opinion publique » que des citoyennes, citoyens et quelques médias dans les deux pays adoptent de manière acritique.
Ces discours, qui déforment la réalité de la migration haitiano-dominicaine en alimentant des sentiments et parfois des actions xénophobes (contre les citoyennes et citoyens de l’autre nation), contribuent, en grande partie, à empêcher l’ouverture d’un débat de haut niveau, à l’échelle nationale et même binationale, sur la recherche de solutions appropriées et partagées aux différentes problématiques haitiano-dominicaines et à la situation complexe des migrantes et migrants haïtiens et de leurs descendants en République Dominicaine.
Dans son article « Dominicain, Dominicaine comme toi » (en espagnol, "Dominicano, Dominicana como tú") [3], Dirk Leenman s.j. indique que « la majorité de ceux qui réclament l’expulsion des Haïtiens considérés comme illégaux n’ont jamais visité un batey, ni ne sont non plus informés des misérables conditions de vie d’une partie importante de ses habitants. »
« Ils ne savent ni ne veulent savoir, poursuit l’article, comment on les exploite et quels secteurs de l’économie dominicaine, comme l’agriculture et la construction, dépendent en grande partie de la main d’œuvre haïtienne bon marché. »
De la même manière, en Haïti beaucoup de « gens de bien » qui, en dehors de toute considération basée sur des motifs de toutes sortes (politiques, économiques, psychosociales, etc.) poussant et, parfois, obligeant quelques compatriotes à fuir Haïti, s’acharnent à qualifier de « sans honte » ces laissés pour compte qui tentent d’émigrer, sans papiers, vers le pays voisin, en quête de travail.
Faut-il citer la misère, le manque d’opportunités de travail et d’alternatives ; l’exclusion sociale, la violence politique, l’insécurité, la discrimination (du fait d’être paysan, analphabète ou pauvre) ; l’absence de politiques publiques efficaces et capables de réduire et éradiquer la pauvreté ; l’impunité, la corruption, le désespoir d’attendre un changement « tant annoncé » qui n’arrive pas encore, etc. ?
Et que dire du réseau de passeurs et d’autres agents de la toute puissante et fructueuse industrie de la migration irrégulière (militaires, agents de migration, propriétaires de plantations agricoles, etc.) qui s’organisent pour aller chercher et recruter des candidates et candidats à l’émigration dominicaine le long de la frontière commune et, parfois, jusque dans leurs communautés d’origine, en leur promettant monts et merveilles et en leur faisant vendre tous leurs biens afin de payer les frais du voyage.
Contrairement à un emploi bien rémunéré que les passeurs et les recruteurs leur avaient promis, ces dupes se trouvent tout à coup converties, sur le territoire voisin, en main d’œuvre bon marché et presque « servile » dans les plantations agricoles, les bateys, les zones franches et les chantiers de construction.
Au cours du voyage, constamment menacé de se convertir en périple ou en tragédie, les sans papiers haïtiens sont souvent victimes des balles assassines des gardes dominicains surveillant la frontière ou bien succombent à la faim, la soif ou la fatigue après des jours de marche, quand ils ne sont pas tout simplement capturés par les autorités de la république voisine qui les déportent, sans aucune forme de procès, vers leur pays.
« Comprendre au lieu de juger »
À qui profite la situation actuelle des sans papiers haïtiens en République Dominicaine dont le voyage « irrégulier » vers ce pays enrichit les agents de l’industrie de la migration irrégulière et dont la force de travail, efficiente et bon marché, contribue de manière significative à la croissance de l’économie dominicaine ?
Qui s’intéresse réellement au sort de ces centaines de milliers de Dominicaines et Dominicains (entre 150,000 et 500,000, selon la source consultée) condamnés à l’exclusion sociale et ethnique, simplement à cause du sang haïtien qui coule dans leurs veines ?
Qu’est-ce que les différents gouvernements et la société haïtiens ont fait pour arrêter ou, au moins, diminuer cette hémorragie de main d’œuvre et de cerveaux qui fuient Haïti par terre ou par mer, avec ou sans papiers, pour aller vers des cieux moins incléments ?
Et si on essayait de « comprendre au lieu de juger », appliquant le sage conseil du philosophe hollandais, Baruch Spinoza ! [wel gp apr 22/08/2007 00:50]
[1] Estudios Sociales, Comprender la migración haitiana en República Dominicana, número 138, octubre-diciembre 2004, Centro Pedro Francisco Bonó, Santo Domingo.
[2] FLACSO et OIM, Encuesta sobre inmigrantes haitianos en República Dominicana, Búho, Santo Domingo
[3] Estudios sociales, op. cit.
http://www.alterpresse.org/spip.php?article6326*
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
jeudi 23 août 2007
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