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samedi 9 février 2008

Des marginaux à l'assaut du littoral

Déborder les limites du rivage jusqu'à combler la mer de débris - pneus usagés, bouteilles, métaux, immondices - pour implanter une masure, la formule est connue de tous. A Mariani, plus que la vitesse saccadée des débats sur le changement climatique, des marginaux poussent la mer pour y habiter.

Pousser la mer pour y habiter, c'est la formule à Mariani I, un bidonville côtier (Photo: François Louis)
A Mariani, le village pris en sandwich entre Carrefour et Gressier - deux agglomérations à la silhouette monstrueuse -, à mesure que la chaîne de bicoques s'étire, les damnés de la mer y jettent des débris pour en faire de nouveaux emplacements. « Dans ce bidonville, les risques sont négligés tant des riverains que des autorités, se désole Jean Jelaime, secrétaire général de l'Organisation pour le développement de Mariani (ODM). Quand les autorités ne se font pas complices des riverains, ils font semblant de ne pas mesurer les risques encourus par les milliers de familles qui habitent l'espace.

Avouant son impuissance, Emmanuel Phanor, délégué de la même petite organisation locale, est lui aussi alarmé. « En ces temps de changement climatique, la mer peut monter à n'importe quel moment et emporter les ménages. Qui pis est, ils ont débordé les limites du rivage en implantant des bicoques sur des immondices aménagées à cette fin », craint le jeune leader communautaire, prenant en exemple un bicoque implanté au milieu d'une masse de boue parsemée de détritus.
Une masure près du rivage (Photo: François Louis)

Constamment menacés, surtout en saison cyclonique, certains riverains érigent des barricades faites de pneus usagés, de sacs en plastique etc... pour tenter de contenir les vagues de la mer. « Les eaux savaient monter légèrement, mais nous n'avons pas peur. C'est une mer calme, minimise Assoni Lexima. Voyons, j'ai construit deux petites pièces à la sueur de mon front pour vivre avec ma femme et mes deux enfants. Que veux-tu que je fasse. » Dans ce bidonville sans eau, sans électricité et sans canaux d'évacuation, où des milliers d'âmes respirent à longueur de journée les odeurs nauséabondes d'un abattoir, certains sont plus ou moins conscients.
Ce qui reste de l'espace vert (Photo: François Louis)
« En période cyclonique, nous vivons avec une épée de Damoclès sur la tête. Nous sommes des proies pour les chiens enragés », se résigne Phanord Valmond. Le maire a-t-il le mal de mer ?Là-bas, comme un peu partout sur les 1771 kilomètres de côtes que compte Haïti, les mauvais exemples viennent parfois d'en haut. « Cité Estinval, le premier bidonville construit près du rivage, est l'oeuvre d'un grand don devenu Maire de la zone, raconte un environnementaliste sous couvert de l'anonymat. Il a loué les maisonnettes à des familles frappées par la crise de logement que connaît le pays. D'ailleurs, la cité construit au début des années 1990 porte son nom.
»Jean Valcius Estinval, le maire de Gressier, n'en démord pas. « Dans un avenir pas trop lointain, je compte construire une trentaine de maisons au profit de ceux qui habitent dans des zones à risque. Je cherche aussi des financements nécessaires à la construction d'un marché public de trois étages. Je n'ai pas d'ennemi. Mon ennemi à moi, c'est la misère et l'ignorance », déclare le maire qui étale ses projets, sans en avoir l'assurance de bailleurs. Un cas d'espace
Autant que les vagues maritimes, la fourmilière humaine des cités Estinval et Mariani I ont aussi peur des eaux torrentielles qui déferlent de la montagne d'en face. « Si les marginaux affrontent les risques, certains oiseaux semblent avoir du plomb dans l'aile, en fuyant la zone. L'atmosphère n'est pas propice aux Flaman Lanmè et aux Lamantins », se lamente Jean Jelaime suggérant une expertise pour évaluer la situation et prendre les mesures susceptibles de protéger les riverains.

Les eaux qui viennent de la montagne d'en face menacent le bidonville autant que les vagues de la mer (Photo: François Louis
Changement climatique oblige, Emmanuel Phanor est plus direct : « Il faudra coûte que coûte reloger et sauver les familles qui habitent les limites du rivage. » Jean Max, un jeune étudiant en communication sociale, est d'accord. « L'une des conséquences entraînées par les changements climatiques, c'est que la mer reviendra tôt ou tard à sa place. A ce moment, il ne faudra pas accuser Agwe - Ndlr : le dieu de la mer, dans la mythologie vaudoue -, car, en Haïti, tout est une question de mystère. »
Claude Gilles(Panos Caraïbes)gonaibo73@yahoo.fr

L'amère cité !
A l'amère cité de Mariani I, les milliers de familles qui ont « réussi » à repousser la mer pour y habiter ne sont ni locataires ni propriétaires. « J'ai seulement payé 6000 gourdes à celui qui a aménagé l'espace », dit Phanor Valmond. Adossé à un pan de mur, le jeune père de famille de 28 ans nourrit l'espoir d'habiter un espace plus sécurisant. Mais son salut et celui de tous les marginaux qui prennent d'assaut le littoral ne viendront surtout pas de l'administration communale de Gressier qui tire le diable par la queue.
)Le pain de l'instruction se donne aussi sur le littoral (Photo: François Louis)
« J'ai la volonté de développer la zone, mais le manque de moyen fait défaut, soupire le maire Estinval, exhibant la maquette d'un projet de construction de marché public.

L'abattoir aussi n'est pas à sa place. Du moins, il a besoin d'être modernisé. » Coincé entre les vagues de la mer et les eaux brutales qui viennent de la montagne d'en face en temps de pluies, ce bidonville qui s'étire davantage est une dangereuse alternative à la crise aiguë de logement. « Sans la conscience collective, c'est le néant », philosophe le maire élu sous la bannière du RDNP dont l'emblème est justement un habitat. C.G
Claude Gilles(Panos Caraïbes)
gonaibo73@yahoo.fr
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=53900&PubDate=2008-02-08
Commentaire :
C’est le genre d’article qui vous coupe les jambes les bras ; l’envie la raison le bon sens. On est en effet jamais habitué à lire ces récits de notre déchéance faite réalité.
On ne s’est pas encore remis de ces photos affichant le reflet de la vraie misère sur le visage insouciant et victime des jeunes haïtiens fouillant les tas d’immondices pour trouver un je ne sais quoi ; puis on s’étonne encore plus devant ces images de « galettes de boue » devenue comestibles pour une population lançant un défi à toutes les règles d’hygiène et de santé publique.
Nous provoquons la stupéfaction des autres quand nous leur montrons les caractéristiques de la présentation de nos maladies : des enfants devenus de véritables monstres par des pathologies mal traitées ou négligées par l’indifférence et la résignation des parents.
Nous voici tout de suite devant une autre façade de la réalité. Si moche et si nauséabonde qu’il résulte plus facile aux dirigeants de ce pays de détourner le regard ou de faire semblant de ne rien voir que de se lancer dans un aventure qui ferait appel à la vision moderne des choses, au concept humain de l’existence, de compétence de bonne volonté et de capacité de gérer et résoudre.
Sans doute ce type d’homme n’existe plus sous le soleil d’Haïti. Il faut être médiocre pour accepter de vivre dans la médiocrité et surtout croire que l’on peut vivre tranquille en se construisant un monde artificiel en marge de cette médiocrité.
Le serpent continue à manger sa queue pour survivre. A cette allure, la faim et le désespoir aura le dessus sur l’instinct. La dernière bouchée sera inévitable et fatale. Juste avant d’expirer la merde jaillira jusqu’au museau… tout ce qui gravite autour s’en trouvera éclabousser.
Aujourd’hui, on aimerait voir des séminaires avec des spécialistes (cubains !) pour réfléchir sur la façon de gérer ce problème. Après avoir dénudé nos mornes, on s’attaque au nom de la survie au littoral. Jusqu’ou ira-t-on ?
A-t-on les capacités d’apporter de vraies solutions à ce désastre ? Les diatribes politiciennes ne sont pas de mises. Nous voulons de vraies propositions se basant sur l’exactitude scientifiques.
Nous avons pris l’habitude de faire appel à des experts étrangers pour nous aider avec ce que nous ne pouvons pas gérer. L’exemple le plus récent est celui du problème du lac azuei.
Pourquoi ne pas s’éclipser définitivement et laisser la gestion du pays aux étrangers qui eux ont une expérience et une autre vision du normal et de l’abominable ?

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