Haïti: Le secteur privé va-t-il «acheter des candidats» ou «leur vendre ses idées» ? «Les candidats du parti au pouvoir n'ont pas besoin du secteur privé traditionnel pour financer leur campagne. Wyclef Jean, la sensation du moment, n'est pas demandeur de participation, pas encore, tout au moins. Les diverses fractions issues de l'explosion du camp Lavalas n'ont pas d'atomes crochus avec les riches patrons qui font de la politique en Haïti. Pour la première fois, pour les principales forces en présence, l'argent du secteur privé ne lui sert à rien», estime un observateur de la classe politique haïtienne et grand connaisseur des moeurs du secteur privé, interrogé par le journal vingt-quatre heures après la clôture des dépôts de candidature à la présidence d'Haïti.
Soixante ans après l'avènement du suffrage universel dans le pays et vingt ans après le début de la transition vers la démocratie, le secteur privé haïtien se retrouve dans l'inconfortable position de devoir, une fois de plus, s'acheter un candidat faute de n'avoir pas fait ce qu'il fallait pour peser ou orienter la politique en Haïti. Les 34 candidats ont cependant besoin du secteur privé pour vivifier leur projet, la popularité ne suffit pas. Ils devront acheter des idées et des contacts dont le privé est dépositaire, mais vont le faire à la sauvette ; il n'y a pas de passerelle officielle entre le privé et la politique, craignent certains.
« Un des enjeux de la campagne est cet échange maladroit qui s'annonce entre les politiciens et les hommes d'affaires. Chaque fois, cela conduit à des résultats mitigés et à l'émergence d'une nouvelle classe d'intermédiaires. Il n'y a ni club, ni cénacle, ni branche du secteur privé dans nos partis politiques. De rares fois des financiers, souvent des investisseurs », analyse notre observateur avisé.
« En n'apportant son appui continue à aucun parti ou regroupement politique, en ne finançant pas les partis, en n'ayant aucun projet économique clair à proposer, le secteur privé haïtien va devoir, en ordre dispersé, faire son choix parmi les 34 candidats inscrits pour les présidentielles de novembre prochain », croit l'analyste interrogé par Le Nouvelliste.
« Il n'y a pas comme par le passé un groupe d'hommes qui réfléchit sur un projet de société, pas de leader idéologique pour penser le devenir du pays vu à travers le prisme des entreprises, des entrepreneurs. Les associations patronales sont moribondes et le Forum du secteur privé une coquille vide, pour l'instant. Rien n'est en place, sauf les chéquiers pour faire des placements sur les candidats les plus en vue», regrette celui qui appelle de ses voeux une vision globale et responsable du secteur privé haïtien.
« Hélas, ils s'entredéchirent sur des détails au lieu de viser la concrétisation de leurs intérêts », jette-t-il comme une sentence.
Cette sécheresse idéologique et programmatique n'est pas une opinion partagée par Pierre Marie Boisson.
« Nous avons au niveau du Groupe de travail sur la compétitivité réalisé une série de réflexions qui ont abouti à la publication de trois rapports d'étape qui sont disponibles. Il y a un plan, une vision partagée, un road map incluant un listing de projets qui peuvent rapidement déboucher sur des projets concrets pour lesquels des plans d'affaires seront bientôt préparés. Ces documents seront disponibles pour tout le monde », déclare l'économiste, membre éminent de cette Commission présidentielle, qui est un groupe d'obédience très large, comprenant aussi bien des membres du Secteur Privé que des secteurs sociaux, de syndicats ouvriers, de la presse, etc.
Le statut présidentiel de la Commission lui a donné des moyens d'arriver à des résultats concrets avec l'aide d'une des meilleures firmes internationales en matière de compétitivité, mais il constitue aussi son talon d'Achille en cette période électorale : tout le travail peut être rejeté par un élu ou être l'objet de suspicion de la part des candidats aux présidentielles de novembre.
Boisson ne pense pas que cet handicap soit insurmontable. « C'est un risque », reconnaît-il, cependant.
« Nous avons travaillé en pensant au bien commun. La Commission et l'OTF, la firme qui lui apporte un appui technique, font un travail qui peut être récupéré au bénéfice du pays. Le Forum du secteur privé est lui aussi en train de se structurer pour avoir un secrétariat permanent et les discussions vont bon train avec la Société Financière Internationale à ce sujet », soutient l'économiste et banquier.
« Nous serons en mesure de parler avec tout le monde sans partisannerie », croit Boisson qui a une longue expérience de réflexions stratégiques du secteur privé depuis « Proposition pour le progrès » et « Le livre blanc du secteur privé » dans les années 90.
Le secteur privé n'a pas intérêt à prendre position pour un candidat, mais doit offrir ses propositions aux leaders politiques, estime aussi Pierre Marie Boisson.
Pour notre analyste, qui tient à parler sous le couvert de l'anonymat, il faut, au contraire, que les membres du secteur privé, ceux qui sont les habitués des rencontres et des comités restreints où se prennent les plus importantes décisions stratégiques des patrons les plus actifs du pays, sachent que leur argent seul fera passer leurs idées, mais que cela ne suffira pas. Il faut aussi que le secteur privé croie dans ses idées et ne soit pas le premier à les fouler au pied.
« Il y a de nouvelles sources de financement comme le pouvoir lui-même qui cherche à s'assurer une succession ; il y a la drogue et ses profiteurs qui veulent du pouvoir pour protéger leur négoce ; il y a la diaspora qui peut faire pencher la balance dans les élections régionales des députés et des sénateurs ; il y a les affairistes, les nouveaux poids lourds de l'économie qui cherchent un pouvoir politique qui correspond à leurs avoirs. Tous ces acteurs n'ont pas de principes. Seulement des intérêts. Si le secteur privé organisé reste amorphe et atone, il se fera avoir et sera devant des faits accomplis chaque jour dans les années qui viennent », a conclu, pessimiste, l'analyste.
Pour Réginald Boulos, le secteur privé n'est pas supposé avoir de candidat. Il doit défendre des principes : les bonnes élections, l'amélioration de la gouvernance, l'entrée en modernité, le renforcement des institutions, l'amélioration des conditions de vie de la population.
« En fait, nous voulons que tout se passe bien et allons oeuvrer en ce sens. Ensuite, nous allons convaincre la personne qui sera élue avec le plus grand nombre de voix de la population de suivre nos propositions », confie le patron du Forum du secteur privé et président de la Chambre de Commerce et d'Industrie d'Haïti.
« Le secteur privé n'a pas à acheter des candidats, mais doit vendre ses idées. Se constituer en force de proposition comme après le 12 janvier », propose le Dr Boulos.
Le patron des patrons reconnaît cependant que chaque membre du monde des affaires peut avoir ses affinités, supporter qui il veut et voter comme bon lui semble.
Le Nouvelliste a appris que, dans les jours qui viennent, le secteur privé organisé va provoquer des débats et faire valoir ses points de vue.
Frantz Duval
duval@lenouvelliste.com
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
mardi 10 août 2010
Le secteur privé va-t-il « acheter des candidats» ou «leur vendre ses idées » ?
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire