Une analyse juridique et politique du cas Guy Philippe
mercredi 18 juillet 2007
Débat
Soumis à AlterPresse le 18 juillet 2007
Par Edouard Camille Junior
Introduction
Je me permets d’intervenir sur un sujet d’actualité qui maintient encore en haleine bon nombre de citoyens haïtiens. C’est l’opération menée à Bergeaud, aux Cayes, par la Dea (1) accompagnée par la section Blts (2) de la Police nationale d’Haïti.
Je pense qu’en effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il s’agit d’une affaire d’une extrême importance pour le pays, et pas seulement pour la personne de Guy Philippe, citoyen haïtien. En qualité de citoyen haïtien, il peut se voir reprocher des faits qui doivent être soumis à la connaissance des tribunaux haïtiens.
Mon absence sur le terrain m’oblige à me fonder sur les sources de la presse parlée et écrite nationales et internationale, notamment les radios Kiskeya, Métropole, Signalfm ; les sites d’information en ligne, AlterPresse, Infohaiti ; les quotidiens Le Nouvelliste, Le Matin et le Miami Herald.
Je note que je n’ai ni de préférence, ni d’état d’âme. En tant que citoyen haïtien, je peux, en toute liberté, commenter une situation aussi troublante, et encore plus, en étant averti sur les questions de droit.
Rappel des faits
Les sources d’information rapportent qu’une vaste opération de la Dea [avec des équipements (hélicoptères, avions, voitures)], a été menée dans le but d’arrêter monsieur Guy Philippe.
Selon ces mêmes informations, il n’aurait pas été le seul, car cette opération a été un succès, ayant permis de capturer Lavaud François « chachou ». Mais le sort de Guy Philippe serait incertain.
La rumeur oscille entre le fait qu’il aurait pris la fuite, ou qu’il aurait été capturé. Sa femme a fait l’objet de brutalité policière, selon ses propos, des dommages matériels et émotionnels ont été causés aux tiers durant le cours des événements.
Au moment où je rédige cet article, les informations les plus récentes n’avaient toujours pas confirmé, ni infirmé la « capture » de Guy Philippe.
Guy Philippe est un ex-candidat aux dernières élections présidentielles de 2005, il n’a pas été inquiété par la police haïtienne, car il circulait, faisait des déclarations dans les presses haïtiennes et n’a fait l’objet d’aucune mise en accusation officielle de la part de l’État haïtien.
A. Les opinions
Les opinions diffèrent depuis l’opération : les leaders politiques et élus nationaux se sont déjà prononcés sur la question.
Je veux parler du leader du Greh et d’un député du Frn. Malgré les différentes interprétations des faits, il en ressort un élément sous-jacent commun qui est la réprobation générale de l’opération.
Le leader du Greh semble attester, malgré les tempéraments apportés, le caractère juridique d’une telle opération, étant donné qu’elle a été effectuée dans le cadre d’un accord entre les États-Unis et Haïti, et de ce fait ne devrait pas surprendre. D’un autre coté, l’élu de Frn dénonce l’opération, appartenance politique oblige, et invite la population haïtienne à la mobilisation.
Je m’attendais à plus de réactions, peu importe les positions. Mais, il semble régner une omerta, puisque, s’agissant des États-Unis, des questions d’accointance, d’obédience et de mobilité en dissuadent quelques-uns.
B. Le mot du droit
C’est un cas d’espèce difficile, ces genres d’opérations ne sont pas nouveaux en Haïti. Très récemment, des cas de « capture et transfert de personne » ont eu lieu en Haïti.
Je souligne à dessein, « capture » et non « déportation » ou « extradition », car ces termes sont des termes juridiques et ou assimilables à des actes, et qu’ils expliquent un acte juridique et judiciaire antérieur. Or, en Haïti, dans bien des cas, il s’agit d’une instruction ou d’une opération policière en vue de remettre l’individu à la justice américaine.
1. L’accord en question
J’aimerais parler de l’accord qui lie l’État haïtien aux services de la Dea, cet accord qui, en raison du son poids juridique, politique et social, devait absolument faire l’objet de diffusion auprès de la population haïtienne. Malheureusement, tout s’est déroulé dans une opacité complète.
Faute de l’accord, je vais de préférence parler de l’exigence d’information qui doit entourer la signature de tout accord liant l’État haïtien à un corps étranger : État ou institutions et organisations internationales.
En effet, la Constitution de 1987, qui fait autorité en matière de traités ou d’accords internationaux, prescrit en son article 40 qu’ « obligation est faite à l’état de donner par voie de presse parlée, écrite et télévisée, en langues créole et français aux Lois, Arrêtés, Décrets, Accords Internationaux, Traités, Conventions, à tout ce qui touche la vie nationale, exception faite pour les informations relevant de la sécurité nationale ».
Pourtant, à chaque affaire à rebondissement, s’agissant de l’importance ou non de la personne ciblée, on ressort que l’État haïtien est lié par un certain accord avec la Dea.
En réalité, cet accord fait date, car plusieurs personnes et personnalités politiques en ont fait les frais. Mais, une absence totale d’information entoure ledit accord, et ne permet pas à la population haïtienne de saisir toute la mesure des risques qu’elle encourt.
2. Autour du territoire national et de l’accord, le regard de la Constitution
Je me réfère toujours à la Constitution pour continuer mon analyse. J’invite, par conséquent, à me contrecarrer sur la base de cette même Constitution.
Elle déclare en son article premier que « Haïti est une République, indivisible, souveraine, indépendante, coopératiste, libre, démocratique et sociale ».
Elle poursuit dans l’article 8.1 « le Territoire de la République d’Haïti est inviolable et ne peut être aliéné ni en tout, ni en partie par aucun Traité ou Convention ».
En effet, comme je l’ai signalé au début de l’article, l’état d’âme des uns et des autres m’indiffère, tant sur Guy Philippe que sur Haïti. Je ne connais Guy Philippe que de nom et par l’écho à travers la presse, de ses activités militaires en 2004, et de ses activités politiques à travers son parti politique le « Front de Reconstruction Nationale » (Frn).
Mais, je connais Haïti, c’est mon pays, et je l’aime suffisamment pour rendre mon analyse pertinente aux yeux de l’histoire.
En raison des deux articles sus-mentionnés, l’accord en question est nul dans l’esprit de la Constitution. Il porte une violation du territoire national, en attribuant, aux actions de l’agence américaine Dea, une extraterritorialité, donc une compétence d’action sur le sol national.
Cela met tous les Haïtiens dans un péril juridique imminent, face à toutes velléités policières et judiciaires américaines, fondées ou pas. Le pire réside dans l’unilatéralité tacite, dans la qualification des faits reprochés, donc un arbitraire implicite. En un mot, le système judiciaire haïtien n’existe pas.
Certes, force est de noter qu’il existe d’importants dysfonctionnements dans le système judiciaire haïtien : « de la poursuite à l’exécution des peines ». Mais, ce n’est pas de cette façon que l’on va aider l’État haïtien et les Haïtiens en général, en humiliant une fois de plus ce qui constitue, visiblement, le seul symbole de la dignité qui reste au peuple haïtien, à savoir son territoire.
3. Qu’est-ce que l’on reprocherait à Guy Philippe ?
La célérité, les matériels utilisés et le secret qui entourent cette opération témoignent de deux choses : l’importance du personnage « Guy Philippe » (du moins son importance aux yeux des commanditaires de cette opération) et les faits qui lui « sont » ou qui lui « seraient » reprochés.
Puisque rien, semble-t-il, n’a filtré de l’opération menée, sinon le bruit qu’elle a provoqué… Je me réfère aux sections de la police nationale, le Blts et la Dea pour dire que probablement, et prochainement « officiellement », Guy Philippe serait « pourchassé » pour des infractions se rapportant à des « stupéfiants », plus clairement « des drogues ».
De toute façon, la force de frappe de la Dea et du Blts augure une « capture » prochaine de Guy Philippe.
Ce citoyen haïtien, citoyen comme les autres, est « déchu » du « droit » d’être poursuivi, d’être jugé et éventuellement d’être condamné ou innocenté comme tout citoyen haïtien par devant les tribunaux haïtiens, du fait de cet accord.
C. Quelles sont les conséquences immédiates et futures ?
Plusieurs ont fait l’objet de capture par la Dea, accompagnée par le Blts.
Ces genres de capture sont effectués pour cause de « terrorisme » et pour « drogue ». C’est ainsi que certains citoyens haïtiens, « capturés » en Haïti, font l’objet de poursuites judiciaires, pour les uns, et de jugements, pour d’autres, sur le territoire américain.
Lorsque ces opérations concernent un anonyme « connu dans certains milieux », on les qualifie de « normales ». Quand elles concernent un dirigeant politique, on les considère « embarrassantes », ou tout simplement « anormales » et qu’elles doivent soulever d’un coup la réprobation générale.
Mais la question la plus embarrassante et la plus troublante, que l’on doit quand même se poser, est la suivante : qui sera le prochain ?
Le prochain sera n’importe qui. Et quelle sera la motivation ? Elle sera n’importe quoi.
Car, les Haïtiens n’ont aucune sécurité juridique. Cet accord, à teneur inconnue, sera certainement interprété au gré des intérêts, au grand dam des Haïtiens et de leur « droit ».
Pour peu qu’il nous reste de dignité, il serait raisonnable de dire par quoi est liée Haïti. Ce ne sera pas une méprise.
Il n’est un secret pour personne que certaines ambassades, semble-t-il, seraient plus puissantes que certains ministères régaliens en Haïti. Mais cette vérité ne doit-elle pas être dévoilée au grand jour ?
Monsieur Jean-Raynald Clérismé, ministre haïtien des Affaires Etrangères, doit répéter à la population haïtienne « qu’il n’était pas au courant de l’opération ».
Tout porte à croire à la caricature, lorsque la « communauté des trois nations influentes traditionnelles » dit qu’elle veut aider Haïti. Les nouveaux venus sud-américains n’en sont pas mieux intentionnés.
Et, cela doit porter tout Haïtien à la réflexion, où qu’il soit (en Haïti ou ailleurs) et quelle que soit son appartenance politique, religieuse, sociale et culturelle.
On doit savoir désormais ce que vaut un Haïtien.
Quels sont ses droits ? Pour quelle infraction peut-il être poursuivi en Haïti ? Pour quelle infraction peut-il être jugé en Haïti ? Pour quelle infraction peut-il être condamné en Haïti ? Et enfin, pour quelle condamnation peut-il purger sa peine en Haïti ?
Par le « Cas Guy Philippe », les conséquences doivent provoquer réflexions et débats, sans état d’âmes, et éventuellement envisager les moyens pour révoquer cet accord.
Néanmoins, ces réflexions peuvent tout aussi bien déboucher sur une acceptation de cet accord. Tout dépendra de la position du parlement haïtien, étant donné qu’il n’y a pas constitutionnellement de possibilité de « référendum » de rejet.
Toutefois, il n’en demeure pas moins que : quelles que soient les orientations que va prendre cette affaire, il est avéré que les Haïtiens doivent savoir dorénavant leurs droits, non à cause qu’ils sont des humains, malheureusement, mais parce qu’ils n’ont aucune garantie de territorialité des poursuites dont ils peuvent faire l’objet.
De plus, en matière institutionnelle, cette action cloue au pilori les maigres efforts de l’État haïtien à instaurer une justice forte, crédible et célère, conformément à ses obligations constitutionnelles.
Pour conclure
On ne peut que difficilement conclure, et de plus, qu’avec beaucoup d’amertume, un article sur une situation aussi sombre.
Le fait, que le ministre haïtien des Affaires Étrangères n’ait pas été mis au courant, peut tout simplement dire que l’État haïtien, dans ce qu’il constitue dans sa plus haute autorité, n’a même pas été informé de cette opération.
Si l’on veut aider Haïti, cette aide ne doit-elle pas se manifester dans le renforcement de ses institutions ?
Ne pouvait-on pas tout simplement appliquer le droit haïtien dans le Cas Guy Philippe, et demander son extradition, une fois arrêté par la police haïtienne, si au regard du droit, les faits qui lui sont reprochés, seraient perpétrés sur le territoire américain ?
Ne pourrait-on pas, de préférence, doter l’État haïtien de solides coopérations, lui permettant lui-même de porter une réponse juridique efficace et efficiente aux infractions de ses propres ressortissants ?
Le président de la République
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