jeudi 25 novembre 2010 Enquête
Dans le cadre du partenariat médiatique « Ayiti Je Kale »*, dont AlterPresse fait partie
P-au-P., 25 nov. 2010 [Ayiti Je Kale / AlterPresse] --- Les Haïtiens ont une expérience électorale qui remonte très loin dans l’histoire du pays, mais c’est seulement à la fin de la dictature des Duvalier en 1986 que le pays est entré dans l’ère des élections modernes. Depuis, Haïti a déjà réalisé plus d’une douzaine d’élections présidentielles, législatives et locales.
D’après le préambule de la Constitution de 1987, Haïti est une démocratie, ce qui implique « le pluralisme idéologique » et « l’alternance politique ».
Parmi les droits et devoirs des citoyens, figurent celui de « voter » lors d’élections libres, honnêtes et démocratiques. C’est à travers les élections que le citoyen peut participer à la vie politique du pays.
Mais, en Haïti comme dans d’autres pays, il semble qu’il y a une confusion entre « élections » et « développement ».
Leyan Dorin, une vendeuse qui fait des allers-retours entre Vallue et Grand Goave (Ouest), a indiqué à « Ayiti Kale Je » que « des élections seraient utiles » parce qu’ « il faut des gens qui puissent apporter des solutions aux problèmes des (centaines de milliers de) sans-abri », suite au séisme dévastateur du 12 janvier.
La confusion chez Dorvin entre « élections » et service social ou « développement » n’est pas étonnant, et se retrouve aussi dans les propos du président René Préval.
« S’il n’y a pas un président élu, légitime, un parlement, une chambre basse, un Senat, à mon départ, s’il n’y a pas d’élections… cela créera de la méfiance et il ne pourra pas y avoir de développement », a-t-il déclaré lors de la visite d’une délégation des Nations Unies à Port-au-Prince en avril.
Préval est correct dans les détails : le mandat de beaucoup de parlementaires a expiré et son propre mandat arrive à terme le 7 février 2011. Cela signifie que, d’après la Constitution de 1987, les élections du 28 novembre sont nécessaires. De plus si elles n’ont pas lieu, il est probable que les bailleurs et créanciers qui ont promis de l’argent au pays se sentent mal à l’aise.
Quelques semaines seulement après le 12 janvier, la communauté internationale a « commencé à appuyer l’idée des élections ». Edmond Mulet, représentant spécial de l’ONU en Haïti, a indiqué qu’elles représentaient « un pas important dans le processus de renforcement de la démocratie et de la réhabilitation de l’Etat ».
Colin Granderson, ancien secrétaire d’Etat de la Communauté Économique de la Caraïbe (CARICOM), a travaillé en Haïti dans les années 90 et est revenu récemment pour diriger une mission d’observation OEA (Organisation des états Américains)-CARICOM ayant pour tâche de garantir des élections crédibles.
Granderson a indiqué à « Ayiti Kale Je » que les élections de 2010 sont extrêmement « importantes », et tout comme Préval, il a souligné la nécessité qu’il y ait un président et un parlement « légitimes » en charge d’assurer la « reconstruction » du pays.
Mais ce que Granderson, Mulet et Préval ont oublié de noter c’est que le pays souffre d’une crise économique et humanitaire qui est antérieure au 12 janvier. En plus aujourd’hui, Haïti est en pleine crise politico-institutionnelle et ce ne sont pas des élections qui vont nécessairement changer la donne.
En janvier dernier, le parlement haïtien a voté une « loi d’urgence » spéciale qui donne les pleins pouvoirs à la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti, dominée par l’ancien président américain Bill Clinton et des bailleurs internationaux, pour qu’elle « conduise le Plan de relèvement et de développement d’Haïti » jusqu’au mois d’aout 2011.
Selon Robert Faton, professeur à l’Université de Virginie aux Etats-Unis, Haïti a « pratiquement perdu sa souveraineté » à cause de la mise en place de cette Commission qui fonctionne avec un éventail de consultants étrangers, de bailleurs et d’agences internationales.
« De plus il n’est pas clair qu’un parlement élu pourra fonctionner dans une situation dominée par cette commission internationale ».
Cependant selon Nicolas Jean Louis, ancien membre de INITE et transfuge de Fanmi Lavalass, « le mandat du gouvernement actuel va prendre fin, cela signifie qu’il faut le remplacer ». Comme Préval, Jean Louis est convaincu que les élections permettront d’assurer de meilleurs services sociaux.
Quels sont les résultats de 23 ans d’élections jusqu’ici ?
Granderson a admis rapidement que la « transition démocratique » en Haïti n’est pas un succès total. Coup d’Etat, répression, assassinat, exil, instabilité. Il a reconnu également qu’il n’y a pas eu une grande amélioration des conditions sociales et économiques du peuple haïtien.
« Il est clair bien sur que le rendement démocratique est très bas. Cela c’est très clair. Mais malgré tout, je pense qu’on n’a pas jeté l’éponge en Haïti en ce qui concerne la démocratie…Il y a des choses qui changent…Pour moi il y a une évolution en cours ».
Mais quelle évolution ?
« Ayiti Kale Je » a interrogé Anselme Rémy, professeur à l’Université d’Etat d’Haïti, qui s’est dit opposé au point de vue de Colin Granderson.
Rémy qualifie les élections du 28 novembre de « perte de temps, d’argent » et de « compromis anti-national ». Selon lui, le type de démocratie en Haïti est une « démocratie bourgeoise » où c’est l’argent et la classe qui déterminent qui prendra la tête du pouvoir.
« Ces élections sont un exemple typique de compétitions électorales dans un contexte de démocratie bourgeoise. Premièrement il y a une série de règles de qualification, qui définissent clairement le caractère de classe. Par exemple pour être candidat il faut donner en dépôt 500 000 gourdes, soit près de 12 000 dollars américains. C’est une fortune en Haïti ! ».
Le système de financement de campagne par des compagnies ou des banques est déjà très développé aux Etats-Unis. Les candidats au Senat dépensent parfois 50 millions de dollars américains et aux élections de 2008, Barack Obama avait dépensé 740 millions.
Toutefois, pour Remy ce système est « encore plus grossier » que celui qui existe jusqu’à présent en Haïti. [akj apr 25/11/2010 15:00]
………………
* « Ayiti Kale Je » (http://www.ayitikaleje.org/) est une initiative de partenariat médiatique en vue d’assurer des investigations journalistiques sur la reconstruction d’Haïti suite au séisme dévastateur qui a frappé le pays et fait 300.000 morts et autant de blessés.
Le Groupe Médialternatif est un des partenaires de cette initiative, à travers son agence multimédia AlterPresse (http://www.alterpresse.org/), avec la Société pour l’Animation de la Communication Sociale (SAKS - http://www.saks-haiti.org/). Deux réseaux participent également : le Réseau des Femmes Animatrices des Radios Communautaires Haïtiennes (REFRAKA) et l’Association des Médias Communautaires Haïtiens (AMEKA), qui est composé de stations de radios communautaires à travers le pays.
http://www.alterpresse.org/spip.php?article10303
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
jeudi 25 novembre 2010
L’arbre qui cache la forêt...Haiti-Élections/Reconstruction : La confusion plane
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