01/03/2010 09:25:09
La rédaction web de Jeune Afrique
Par : Adame Ba Konaré
Lorsque l’on évoque Haïti, en fonction de la génération à laquelle on appartient au Mali et en Afrique, deux réponses surgissent à l’esprit : Duvalier et ses tontons macoutes, la pauvreté, un pays parmi les plus pauvres du monde. Mais pour beaucoup de gens, Haïti, c’est aussi Toussaint Louverture, et surtout la première république noire du monde. Pour autant, pourquoi l’Afrique doit-elle continuer de mobiliser des fonds pour soutenir Haïti, frappé le 12 janvier dernier par le séisme tragique que l’on sait ?
Parce que d’abord, au-delà de la relation charnelle avec Haïti, Haïti dite fille aînée de l’Afrique, alors que les thèses sur l’inégalité des races faisaient florès en Europe, ce furent les intellectuels haïtiens qui se firent les défenseurs de la race noire.
Pour eux tous, comme l’a écrit l’un des représentants les plus illustres de cette intelligentsia, Price Hannibal, Haïti représentait « La Mecque, la Judée de la race noire, le pays (…) où doit aller en pèlerinage, au moins une fois dans sa vie, tout homme ayant du sang africain dans les artères ; car c’est là que le nègre s’est fait homme ; c’est là qu’en brisant ses fers, il a condamné irrévocablement l’esclavage. »1 Mieux, c’est à Haïti que les Africains ont inversé les rôles en se substituant à leurs maîtres, pour créer, en ce coin des Amériques, une nouvelle patrie pour l’homme noir.
Illustration vivante de la montée irrésistible d’une Afrique unie face à l’oppression et à la domination, après avoir été le « porte-étendard de la race noire en Amérique », Haïti a revendiqué haut et fort son rôle historique qui était d’œuvrer à l’évolution générale de ses congénères. C’était même sa raison d’être internationale.2
Aimé Césaire dira que « Haïti n’a pas conquis la liberté seulement pour elle, elle a conquis la liberté pour tous les hommes de couleur, peut-être pour tout un continent. » 3
Quand les Belges ont quitté le Congo belge (actuelle RD Congo) en 1960, ce furent les intellectuels haïtiens qui montèrent en première ligne pour venir former les jeunes Congolais. Auparavant, ils avaient apporté leur soutien à la Guinée, après que les Français eurent plié bagages en représailles à la proclamation de l’indépendance de ce pays en 1958.
Ce sont encore eux, les intellectuels haïtiens, qui ont prolongé le mouvement panafricaniste germé dans ce qu’on a appelé le triangle anglophone et dont les figures de proue, l’Américain W.E.B. Dubois, Georges Padmore de Trinidad et Marcus Garvey de Jamaïque, ont marqué certains chefs d’Etats Africains dont Kwame Nkrumah du Ghana, Jomo Kenyata du Kenya ou Nandi Azikiwé du Nigéria.
L’historien Elikia Mbokolo soutient même que le mouvement de la négritude fut l’héritier du renouveau littéraire haïtien en même temps que de la renaissance nègre de Harlem4 .
Comment ne pas citer, dans ce registre-là, Price-Mars, décédé en 1969, Price-Mars, le chantre de la revendication des racines africaines, qui a intégré la Société Africaine de Culture (la SAC), cette maison pionnière de la réhabilitation de la culture africaine, avec sa revue Présence Africaine, créée en 1947 par le Sénégalais Alioune Diop et dont il prendra plus tard la tête.
Ce n’est pas tout, à partir de l’occupation américaine des années 1915-1934, Haïti a prôné sur le terrain une doctrine de « retour au peuple », pas pour l’éduquer ou l’instruire, mais pour inculquer en lui les valeurs africaines : les contes, les mœurs, les croyances, les pratiques sociales et les formes de sociabilité.
Bref, l’intelligentsia haïtienne a suscité un vaste mouvement de retour à l’Afrique. « Nous n’avons de chances d’être nous-mêmes que si nous ne répudions aucune part de l’héritage ancestral. Eh bien ! cet héritage, il est pour les huit dixièmes un don de l’Afrique. », s’écrie Price-Mars5 .
Tenaillé par cette inextinguible soif d’Afrique, Roger Dorsinville, une autre plume célèbre de Haïti, vint s’installer entre 1961 et 1986 au Libéria et ensuite au Sénégal, liant l’acte à la parole6 . Et je pourrais continuer à citer des exemples.
La dette d’amour n’est pas une dette remboursable. La solidarité avec Haïti est juste un devoir de reconnaissance et de justice, si nous sortons du cadre étriqué de notre nationalisme pour voir large, pour voir Afrique. Vous l’aurez compris, je suis dans une posture panafricaniste.
Solidarité avec Haïti ensuite parce que je crois, au-delà de toute autre considération, que la solidarité est un devoir humain.
Evidemment, le Mali, l’Afrique sont logés à la même enseigne que Haïti : pays et continent pauvres, rongés par les mêmes maux que Haïti. Mais oh ! Devrions-nous pour autant refuser d’aider Haïti ? Ne serait-ce pas là une attitude égoïste ? Ne serait-ce pas faire bon marché de la solidarité sociale fortement ancrée en Afrique ? Cette Afrique où, on a beau être pauvre, on a toujours quelque chose à partager même si c’est par une présence, de beaux mots ou un simple sourire. Y’a t-il meilleure richesse pour un Homme que la victoire sur ses pulsions égoïstes ? Eh bien ! Ces pulsions égoïstes, osons les défier. Montons à l’assaut des barricades honteuses qui bloquent la voie à nos penchants altruistes.
Evidemment, l’aide que nous pouvons apporter peut paraître dérisoire comparativement aux milliards débloqués par les puissances nanties mais je professe mon credo : je crois en la solidarité dans la pauvreté ; je crois en la solidarité entre les pauvres, je crois en la solidarité entre tous les humains ; je crois en la solidarité avec notre environnement.
Mes derniers mots seront pour nos frères et sœurs les Haïtiens, un peuple chaleureux et courageux qui défie le chaos, un peuple dont la diaspora a donné au Canada sa Gouverneure générale et à la communauté internationale de nombreux cadres. Des mots pour dire que nous leur faisons confiance pour se reconstruire et assumer leur part de responsabilité dans le redressement de leur patrie.
A ces souhaits et à ce message, j’associe tous ces hommes et toutes ces femmes du Mali et d’Afrique qui ont connu et habité Haïti. Enfin, aux Haïtiens d’ici et d’ailleurs dont je partage la douleur, aux Haïtiens maliens et aux Maliens haïtiens, vous si près de nous, je vous dis tout simplement courage. Que Dieu bénisse Haïti. Amen.
http://www.jeuneafrique.com/Article_ARTJAWEB20100304124507_afrique-pauvrete-aime-cesaire-diasporapourquoi-l-afrique-doit-aider-haiti.html
1De la Réhabilitation de la race noire par la république d’Haïti (1900).
2La Diaspora Africaine, Tribune culturelle panafricaine, Spécial printemps 2006 : Le panafricanisme au 21ème siècle par Le professeur Elikia M’Bokolo. Paris, Avril 2006.
3Les voix de l’écriture, Aimé Césaire, Paris, Radio France Internationale, 1996, rapporté par Elikia Mbokolo in « La diaspora Africaine », opus cit.
4Elikia Mbokolo ibid.
5Price-Mars, DR.J. 1928, Ainsi parla l’oncle. Essai d’ethnographie, Compiègne, Imprimerie de Compiègne. (Bibliothèque haïtienne.)
6Haïti, fille aînée de l’Afrique in Jeune Afrique Haïti année Zéro, N° 2558 du 17 au 23 janvier 2010
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
dimanche 7 mars 2010
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