Mercredi 31 octobre 2007
Soumis à AlterPresse le 31 octobre 2007
Par Weibert Arthus (1)
Haïti serait-elle responsable de la propagation du Sida aux Etats-Unis et dans le monde ?
Les erreurs du professeur Worobey
Le 29 octobre 2007, dans les colonnes des prestigieuses Proceedings of the National Academy of Sciences (Annales de l’académie nationale américaine des sciences), sont publiés des résultats de recherches « scientifiques » entreprises par le professeur Michael Worobey faisant d’Haïti le tremplin de la propagation du SIDA aux au Etats-Unis et, par voie de conséquences, dans le reste du monde.
Cette étude, reprise comme parole d’évangile par les plus grands médias du monde, prétend que « le virus du Sida, originaire d’Afrique, s’est propagé aux Etats-Unis via Haïti vers 1969… » ; la faute incomberait à un « immigré haïtien célibataire ».
Le professeur, et c’est rare chez un scientifique, avance que ses résultats se confirment avec une probabilité de plus de 99%. En clair, aucune possibilité d’erreur en dépit de l’utilisation du conditionnel dans ses conclusions.
Pourtant, Worobey avait, comme professeur de biologie, la possibilité de faire un sans-faute s’il avait pu, par des résultats de laboratoire, prouver ses conclusions. Mais, son incapacité à ne considérer que les analyses génétiques pour corroborer ses thèses le porte à s’aventurer dans le champ historico-sociologique de la migration haïtiano-américaine dans les années 1960. C’est de-là que viennent ses principales erreurs et c’est ce qui décrédibilise l’ensemble de ses conclusions.
Haïti, le « chaînon manquant » ?
Ce titre du quotidien français Le Monde, en date du 30 octobre 2007, sonne comme une découverte de la responsabilité d’Haïti dans la propagation du Sida.
Or, il n’y a, sur ce point, rien de nouveau quant à la responsabilité que les scientifiques américains ont toujours voulu imputer à Haïti dans la propagation de l’épidémie. Dès la découverte du virus, au début des années 1980, avant même qu’on eût saisi l’ampleur de la maladie, le coupable idéal était désigné : « Haïti ». Des revues et journaux de réputations mondiales n’avaient-ils pas relayé des résultats « scientifiques », selon lesquels la propagation du Sida serait due à un homosexuel québécois, Gaétan Dugas, le « patient zéro », « un adepte du tourisme sexuel rentrant d’Haïti » ? Haïti est donc toujours présente.
Seulement, la nouveauté avec Worobey, c’est que ce n’est plus un canadien qui aurait été contaminé lors d’un voyage en Haïti, mais de préférence un Haïtien qui aurait mis le virus dans son sac, disons qui l’aurait dans son sang, et transporté personnellement aux Etats-Unis.
En fait, les prétendus chaînons ne manquaient pas aux scientifiques américains. Seulement, personne, avant Worobey, n’était assez négationniste pour oser aller si loin, sous couvert de résultats scientifiques, dans de si graves accusations.
De l’Afrique aux Etats-Unis
En recoupant les différentes études, réputées scientifiques, portant sur la maladie, le virus aurait l’Afrique centrale pour origine et les Etats-Unis comme terrain de propagation.
Nous insistons sur ces deux espaces géographiques pour garder la ligne de l’opinion majoritaire qui, s’appuyant sur les recherches de Mme la professeure Bette Korber du Laboratoire national de Los Albamos (Etats-Unis), affirme que le virus serait « apparu parmi les humains en 1930 après avoir été transmis par des chimpanzés », en Afrique Centrale, avant d’arriver 40 ans plus tard aux Etats-Unis.
Cependant, il ne pourrait transiter ni par les Afro-Américains – on imagine le scandale aux Etats-Unis, ni par les Européens qui étaient en contact direct avec les Africains – ce qui serait une remise en question directe de la pureté de la race blanche [La Tentation de la race, Le Monde, Paris, 31 octobre 2007], ni par des militaires ou des migrants civils non-haïtiens au fait de leur contact, au cours de la deuxième guerre mondiale et la guerre froide, avec des troupes européennes ayant séjourné en Afrique pendant la colonisation.
Non. Aucun de ces cas n’est possible ni même envisageable. Au contraire. Le coupable est là, pourquoi chercher ailleurs ?
Haïti, le tremplin
Pour couronner le tout, Michael Worobey rappelle sans ambages que de « nombreux Haïtiens ont travaillé en République Démocratique du Congo après son indépendance en 1960 ».
C’est bien dit. Mais ce n’est pas tout dire.
Car, si le professeur Worobey avait une notion primaire de l’histoire contemporaine d’Haïti et de l’histoire des relations haïtiano-américaines, particulièrement de la dyade politique et migration dans le cadre de ces relations bilatérales, il saurait que :
De 1960 à 1969 (question de ne pas déborder le cadre chronologique 1960-1969), les Haïtiens, qui partaient travailler au Congo, ne revenaient pas dans leur pays. Les entrées et sorties des citoyens haïtiens étaient strictement surveillées. Il fallait obtenir un visa de sortie du palais national et un visa du consulat pour revenir au pays [Bernard Diederich, Le Prix du sang, tome 1 : François Duvalier (1957-1971), Port-au-Prince, Henri Deschamps, 2005, p. 136]. Les consulats ne donnaient des visas de retour que pour les officiels ou les partisans du régime. Et ceux-ci n’ont pas forcément travaillé en Afrique.
De 1960 jusqu’à la mort de François Duvalier, les jeunes Haïtiens, qui venaient de l’étranger, sont « arrêtés sans discrimination à leur arrivée à l’aéroport de Port-au-Prince » (Catherine Eve di Chiara, Le Dossier Haïti. Un pays en péril, Paris, Ed. Tallandier, 1988, p. 344).
En clair, partir en Afrique (Congo, Sénégal, Côte-D’Ivoire, Togo, Bénin, Cameroun), c’était un exil doré pour les intellectuels haïtiens. Ceux qui prenaient le risque de revenir au pays, s’ils n’étaient pas arrêtés, vivaient dans le maquis ou sous stricte surveillance de la police secrète de Duvalier et de la CIA, donc sans une réelle liberté pour s’adonner à des activités hétéro ou homosexuelles, avec l’ampleur requise, pour propager le Sida, comme en a conclu Michael Worobey.
Pourquoi ne pas, s’il faut s’en tenir à la piste haïtienne, comme le veulent les scientifiques américains, considérer la possibilité qu’un citoyen américain attrape le virus en Haïti et le propage aux Etats-Unis ? Pas à travers le tourisme. Car, Worobey a raison de noter que Haïti n’est devenue une destination prisée pour le tourisme sexuel qu’à partir de 1970, juste un an après la fameuse 1969.
Cependant, il est important de souligner la présence massive des citoyens américains en Haïti dès la fin des années 1950. C’est à eux que sont confiés les grand travaux comme la construction de l’aéroport international de Port-au-Prince, l’agrandissement du wharf de Port-au-Prince, la prospection et l’exploitation du pétrole et des hydrocarbures liquides ou gazeux – dans le cadre de contrats leur permettant d’utiliser exclusivement des matériels et techniciens venant directement des Etats-Unis ; certains ont des postes permanents à l’université d’Haïti et à l’académie militaire ; d’autres ont résidé plusieurs années en Haïti dans le cadre de la mission militaire américaine qui, sous demande de Duvalier, assistait les militaires haïtiens.
Nous enlevons de cette liste les diplomates et les missionnaires des grandes organisations protestantes.
Tout ceci pour dire que la migration entre Haïti et les Etats-Unis est certainement plus intense et plus durable dans un sens que dans l’autre, mais elle ne s’est pas faite à sens unique. La possibilité pour les Haïtiens d’être récepteurs du virus n’est donc pas à une probabilité de moins O%.
La pièce qui manque au puzzle de Worobey
Pour des résultats probables à plus de 99%, le nom de l’immigré qui aurait propagé le Sida aux Etats-Unis ne devrait être qu’un détail.
Puisque le professeur Worobey le sait Haïtien et célibataire, il devrait aussi indiquer, et c’est la moindre des informations, sa date et sa condition d’entrée aux Etats-Unis, son âge, le centre dans lequel il a été soigné aux Etats-Unis, sa date de décès et même ses différentes aventures.
Dans cette période considérée par Michael Worobey comme point de départ, les pauvres boat-people haïtiens n’affluaient pas encore sur les côtes américaines.
« Tout au long des années 1960, l’exode haïtien reste assez modeste, au point de presque passer inaperçu…En septembre 1963, le premier groupe de boat-people arrive sur les côtes de la Floride. Appréhendés par les agents de l’INS, les demandeurs d’asile politique sont refoulés rapidement vers Haïti. Entre 1963 et 1972, aucun autre groupe de boat-people en provenance d’Haïti n’est recensé par l’INS…La loi [américaine] de 1965 devait permettre une augmentation de l’immigration haïtienne. Pourtant, celle-ci se fait très lentement. L’entrée aux Etats-Unis est rendue de plus en plus difficile et l’obtention d’un visa auprès des autorités américaines devient presque impossible » [Mario Menendez, Cuba, Haïti et l’interventionnisme américain. Un poids, deux mesures, Paris, CNRS, 2005, pp 109-111 ; Alex Stepick III, The refugees Nobody Wants : Haitians in Miami, dans Guillermo J. Grenier et Alex Stepick III, Miami Now ! Immigration, Ethnicity, and Social Change, Gainesville, University Press of Florida, 1992, p. 58].
Ainsi, celui par qui le scandale est arrivé devrait-il être connu nommément, puisqu’il serait arrivé aux Etats-Unis avec un visa en bonne et due forme, et traité dans les centres spécialisés dans lesquels le professeur Worobey tire ses informations.
Tout sonne faux dans cette étude de Michael Worobey. Le professeur ne fait qu’appliquer à l’espèce humaine et à sa manière la fable de la Fontaine : « Les animaux malades de la peste ».
Concrètement, au lieu de continuer à dépenser des fortunes pour tenter de prouver qu’ils ne sont pas à l’origine de l’expansion de la maladie, les Etats-Unis auraient mieux fait d’investir dans de sérieuses recherches qui permettraient de trouver une solution à ce mal incurable et, en attendant, faciliter l’accès des plus démunis aux médicaments qui pourraient prolonger leur jour et alléger leur souffrance.
La logique du bouc émissaire n’apportera pas moins de souffrances aux malades, ni moins de peines aux familles endeuillées.
De plus, loin de servir les intérêts de la science, des conclusions telles présentées par Michael Worobey, comme celles avancées par les scientifiques d’Adolf Hitler dans les années 1920-1940 pour montrer l’infériorité des Juifs et leur responsabilité dans les malheurs du monde, ne font que jeter des discrédits sur les recherches scientifiques, particulièrement celles qui portent sur la génétique.
Weibert Arthus
(1) journaliste, doctorant en Histoire contemporaine des relations internationales (Université Paris 1 – Panthéon – Sorbonne)
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