Les militaires de la Minustah, la force de stabilisation, sont perçus comme des occupants et envisagent de plier bagage à partir de l'année prochaine. Crédits photo : EDUARDO MUNOZ/REUTERS |
26/11/2010
À la veille de l'élection présidentielle, le chaos règne toujours dans la capitale haïtienne infestée par le choléra, un an après le séisme qui l'a dévastée.
Qui gouverne Haïti ? Le président René Préval ? Son palais, symbole du désastre du 12 janvier, est un château de cartes effondré. Agronome de formation dans un pays où l'agriculture est en déshérence, son mandat s'achève dans le marasme de l'après-séisme. Après lui, en février, son successeur devra à son tour composer avec les bailleurs internationaux qui financent à hauteur de 60 % le budget national.
Les Nations unies ? Elles n'en ont pas le mandat. Bill Clinton pilote la structure chargée de lancer les projets de reconstruction de Port-au-Prince, mais en codirection avec le premier ministre, Jean-Max Bellerive. Quant aux militaires de la Minustah, la force de stabilisation, ils sont perçus comme des occupants et envisagent de plier bagage à partir de l'année prochaine. «Minustah = Kolera», peut-on lire sur les murs. La population accuse le contingent népalais d'avoir importé l'épidémie en salissant une rivière.
Les Organisations non gouvernementales (ONG) ? Elles sont censées puiser dans la manne des 11 milliards de dollars promis par la communauté mondiale au lendemain du tremblement de terre (250 000 morts et toujours 1,3 million de déplacés). Mais les dons tardent à se concrétiser et le milieu humanitaire n'est pas homogène. «Ici, tout le monde gouverne un peu, mais personne n'installe l'eau potable dans les bidonvilles et les campagnes. Résultat : le choléra provoque des milliers de morts», résume Auguste Menza, un intellectuel haïtien. Cassée en mille morceaux, la ville est un capharnaüm. Les opérations de déblayage progressent très lentement. Les rues sont dégagées, pas leurs bordures. «On a calculé qu'une noria de mille camions tournant pendant mille jours sera nécessaire pour enlever quelque 25 millions de tonnes de gravats», précise un expert. Chacun se débrouille comme il peut. La cathédrale continue à être vidée par des gangs de ferrailleurs. Les immeubles en ruines sont dépecés pour en extraire de quoi gagner quelques gourdes, la monnaie locale.
Pierre Charles vit parmi les déplacés rassemblés dans la vaste bourgade de toile du Champ de Mars, la grande place de Port-au-Prince. Comptable au chômage, il a quitté sa maison du centre-ville. Sérieusement ébranlé, le logis inhabitable est marqué d'une croix rouge - signe qu'il doit être rasé. Pierre Charles ne sait pas quand. «J'ignore si un dédommagement est prévu. Je suis comme beaucoup de monde. Je patiente sans avoir d'idée sur l'avenir», dit-il. Le jeune homme est issu de la petite bourgeoisie qui cohabite avec les plus pauvres sur le Champ de Mars. Des commerces de bric et de broc sont apparus entre les abris. Des gargotes servent des spaghettis. On trouve même des cafés Intenet. La précarité s'installe dans la durée. Dimanche, Pierre Charles ira malgré tout voter parce qu'il est «fatigué de ce pouvoir».
Sean Penn, le philanthrope
Sur les hauteurs, dans le secteur de Pétionville, l'unique golf de neuf trous du pays accueille 55.000 déplacés. Son propriétaire s'est laissé envahir. Le camp est une ville dans la ville. Il est entouré de grillages et son accès routier est fermé par une barrière. C'est le domaine de Sean Penn. L'acteur américain, qui réside souvent avec son équipe dans une maison du voisinage, s'implique fortement sur le terrain. Son ONG, J/P HRO, fondée après le tremblement de terre, est couverte de louanges par les diplomates. Le pari n'était pas gagné d'avance. Sean Penn avait débarqué d'un avion-cargo six jours après le séisme, son pistolet Glock en évidence à la ceinture. Il semblait venu pour un show. L'aventure l'a transformé en manager philanthropique. Son personnel traverse en Jeep l'interminable campement de tentes aux allées creusées de tranchées pour évacuer les eaux les jours de fortes pluies. «On est dans une période intermédiaire. La tâche est colossale pour reloger les gens chez eux. On s'organise au mieux pour qu'il n'y ait pas dans le camp de misère abjecte», explique Félix Véronneau, le directeur des opérations de J/P HRO.
Un bureau de vote a été installé sur place pour les élections, mais les candidats ne sont pas passés pour faire campagne. En attendant le vote, le dispensaire tourne à plein régime. Des malades du choléra viennent des environs pour se faire soigner. Dans les rues de Pétionville, où les luxueuses villas des riches sont encerclées par les masures des démunis, les passants ne se serrent plus la main par peur d'une éventuelle contagion. Ils se saluent en se frappant poing contre poing. Ils pourraient aussi les serrer de rage, s'ils n'étaient pas si usés.
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