Publié le 22 mars 2010 à 05h00 Mis à jour à 05h00
Katia Gagnon La Presse
Rosalie, assise dans sa chaise haute, mange un yogourt aux fraises. Elle se délecte de la pâte rose et sucrée, gratte le fond du pot à la recherche de la moindre trace de ce délice. Quand c'est fini, elle en veut un autre. Un nouveau yogourt atterrit sur son plateau. Banane, celui-là. La petite replonge sa cuillère dans le yogourt.
Une fois le pot expédié, elle proteste quand maman lui essuie le visage avec une débarbouillette. «On va manger plus tard», dit fermement Elyse Depuis. «Elle a un peu de difficulté à comprendre la notion de collation», soupire-t-elle.
Rosalie veut toujours manger. Mais pas n'importe quoi. De préférence du sucré. Elle qui était nourrie aux purées à l'orphelinat de Port-au-prince repousse les aliments plus difficiles à mâcher, comme la viande. Mais ce qu'elle aime, elle en veut beaucoup. «Elle s'engouffre ça dans la bouche, c'est incroyable», dit sa mère. La première fois qu'elle a goûté aux petits yogourts, elle en a mangé trois d'affilée.
La petite Haïtienne de 28 mois est toujours aussi frêle. Dans son habit de ratine de velours rose, elle a l'air d'une poupée dans les bras d'Elyse Dupuis. Depuis son arrivée, il y a deux mois, elle a pris plus de deux kilos. Certains vêtements sont devenus trop petits. Mais elle arbore encore ce ventre tout gonflé des enfants qui ont souffert de malnutrition. Elle est anémique et a probablement des parasites intestinaux, qui lui donnent fréquemment la diarrhée.
Et maintenant, Rosalie se tortille dans les bras de maman. Elle pleure, elle se cambre, elle pousse le menton d'Elyse, qui a pris place dans un sofa. Le message est clair: lève-toi. Emmène-moi où je veux aller. Elyse essaie de la distraire avec une poupée. Rien n'y fait. Rosalie veut encore manger. En désespoir de cause, Elyse Dupuis la remet dans sa chaise haute.
«En veux-tu encore?» La petite pointe la tablette de son minuscule doigt sombre. Elyse lui tend un demi-biscuit. Rosalie le reçoit avec un sourire immense, qui creuse une fossette dans sa joue gauche.
***
Rosalie a bien changé depuis notre dernière visite, il y a quatre semaines. Elle qui ne quittait pas les bras de sa mère en nous regardant d'un œil inquiet caracole maintenant dans le salon. «Elle est joyeuse, ricaneuse. Elle chantonne. Elle danse», raconte Elyse. Et aussi, elle parle. Elle dit oui, non, dodo, bébé. Lorsqu'on prononce son nom, elle nous regarde avec de grands yeux brillants. Papi? Mamie? Elle regarde aussitôt vers la porte d'entrée.
À son arrivée, la petite marchait d'un pas hésitant. Aujourd'hui, elle court, elle monte et descend les escaliers en se tenant solidement sur ses petites jambes. Elle pousse son auto verte et promène sa poupée au visage basané dans un panier d'épicerie. Elle rit aux éclats quand son grand frère Ismaël, déguisé en pirate et brandissant deux grands sabres, la poursuit en poussant des rugissements de lion.
Rosalie et Ismaël s'entendent bien, la plupart du temps. Evidemment, Ismaël trouve parfois la petite sœur dérangeante. Après quelques semaines, constatant que la petite occupe souvent les bras de maman, il a posé la question fatidique à sa mère. «Est-ce qu'on la retourne en Haïti?». Elyse rit en racontant l'anecdote. «Il trouve que Rosalie prend beaucoup de place.» Il a d'ailleurs rangé ses jouets les plus précieux sur le dessus du meuble de télé, les rendant inaccessibles aux petites mains fouineuses.
Autre changement d'importance: Elyse Dupuis a quitté son petit matelas dans la chambre d'enfant: elle peut enfin coucher dans son propre lit. La petite réussit souvent à s'endormir seule. «Un soir, je l'ai changée de couche, je suis partie à la salle de bain et elle s'est endormie. Je suis allée me coucher dans mon lit», dit-elle avec un sourire de satisfaction.
Mais il faut peu de choses pour détruire l'équilibre fragile de ces enfants déracinés: il y a dix jours, Elyse a souffert d'une grosse bronchite. Elle a déménagé deux nuits chez ses parents pour avoir un petit répit. «Ça a été un grand bouleversement pour eux.»
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
lundi 22 mars 2010
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