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vendredi 19 février 2010

Le patrimoine haïtien sous perfusion

Experts locaux et internationaux unissent leurs forces pour préserver ce qui tient encore
Frédérique Doyon   19 février 2010  Amérique Latine
Le patrimoine haïtien est menacé. Après le séisme dévastateur du 12 janvier, les pics des démolisseurs guettent maintenant les édifices d'intérêt architectural qui tiennent encore debout. La ministre de la Culture du pays, Marie Laurence Jocelyn Lassègue, a imposé un moratoire sur la démolition de tout édifice. Les experts internationaux insistent sur l'importance de relancer les activités culturelles.

«La grande crainte maintenant, c'est que l'impression que tout est détruit se propage et conforte les démolisseurs et autres bulldozers», signale au Devoir Dinu Bumbaru, président du comité de pilotage mis en place par le Conseil international des monuments et sites (ICOMOS), pour coordonner l'aide internationale en matière de sauvegarde du patrimoine haïtien.

Les démarches locales et internationales pour y arriver sont enclenchées. Le gouvernement haïtien a mandaté l'Institut de sauvegarde du patrimoine national (ISPAN) pour s'occuper du patrimoine bâti. Déjà, dans une note de presse, l'ISPAN rapporte qu'à Port-au-Prince, l'église patrimoniale Saint-Louis, roi de France, a été rasée. Le curé a engagé un démolisseur alors qu'elle aurait pu être en partie sauvegardée. «Il faut éviter que ce phénomène se répète à Jacmel, seul site qu'Haïti souhaite proposer pour inscription sur la liste du patrimoine mondial», affirme M. Bumbaru, entre deux voyages au pays meurtri.

Quelque 200 experts en patrimoine bâti, muséal et archivistique se sont réunis à l'UNESCO, mardi, en présence de la ministre de la Culture d'Haïti, du directeur général de l'ISPAN et de représentants d'autres organismes internationaux concernés par le patrimoine.

«L'exercice a permis à chacune des organisations internationales de faire leur analyse de l'état des lieux, rapporte au Devoir Michel Audet, représentant du gouvernement du Québec à la Délégation du Canada auprès de l'UNESCO. En après-midi, il y a eu des discussions autour d'actions prioritaires à poser pour le patrimoine bâti, les centres urbains, les musées, les bibliothèques et archives et le patrimoine immatériel.»

Un premier bilan complet de l'état des sites abritant des biens culturels a été dressé. «Dans les zones visitées de Port-au-Prince, bon nombre d'édifices publics ou à caractère patrimonial historique ont été sévèrement touchés ou simplement détruits», peut-on lire dans le Bulletin du 1er février de l'ISPAN. Ce dernier a également établi des mesures conservatoires d'urgence pour assurer la sécurité des citoyens, sécuriser les ruines et trier les éléments décoratifs et architecturaux importants.

Ces mesures concernent notamment le palais national (1922), les casernes Jean-Jacques Dessalines (1912), le palais des finances (1880), le palais de justice (1927), le palais des ministères (1881), l'hôtel de ville (1925-1928) et plusieurs lieux de culte témoins de l'implantation de l'Église catholique en Haïti après la signature du Concordat de 1860: la cathédrale Notre-Dame (1912), l'église du Sacré-Coeur de Turgeau (1908), l'église Sainte-Anne du Morne à-Tuf, ainsi que la cathédrale de la Sainte-Trinité, dont la collection unique de peintures murales, réalisée par de grands artistes haïtiens dans les années 1950, doit être entièrement restaurée.

Haïti a beau être l'un des pays les plus pauvres d'Occident, il figure parmi les nations caribéennes plus riches artistiquement. Un trésor mis à mal par le séisme de force 7 sur l'échelle de Richter.

Le Musée d'art haïtien s'en tire très fragilisé, surtout du côté des salles qui abritent les expositions et les collections. «À déplacer en urgence», signale-t-on dans le bilan des experts. «Fortement endommagée», la Bibliothèque de l'Université Quisqueya a entraîné dans sa chute des oeuvres de Jean-Michel Basquiat qui faisaient l'objet d'une exposition depuis le 22 décembre dernier.

Au 18, rue de Bouvreuil, le Musée et galerie d'art Nader, qui abritait la plus vaste collection privée d'art haïtien et caribéen, s'est effondré, épargnant toutefois le propriétaire et réputé collectionneur Georges Nader. Dans le Guardian, on apprend que malgré quelques tableaux sauvés du désastre — notamment du maître haïtien Hector Hippolyte et d'Alexandre Gregoire, l'un des premiers peintres naïfs du pays —, George Nader fils estime à 30 millions $US les pertes du musée.

En matière d'archives, «la priorité est de sauver les archives des différents ministères qui ont été détruits», indique par courriel Laurier Turgeon, directeur de l'Institut du patrimoine culturel de l'Université Laval (UL) et participant de la réunion à l'UNESCO. Par le biais de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine (aussi dirigée par M. Turgeon), l'UL a participé à la création d'un programme de maîtrise en patrimoine à l'Université d'État d'Haïti, en 2006. Des étudiants québécois et haïtiens sont donc déjà formés et prêts à intervenir sur le terrain, a-t-il fait valoir.

Mais c'est le patrimoine vivant d'Haïti qui a dominé les interventions de l'après-midi à l'UNESCO. Le foisonnement de festivals, carnavals et raras confère une vitalité culturelle particulière à Haïti, qui a besoin d'être stimulée au lendemain du sinistre.

«Présenté comme une des forces vives du pays, ce patrimoine est plus fragile qu'on ne le pense, écrit M. Turgeon. Il suffit qu'un artiste ou artisan meure et toute une école peut s'effondrer. Plusieurs ont souligné le rôle thérapeutique important des festivals qui permettraient, surtout dans le contexte actuel, de remonter le moral des habitants.»

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