Un planteur montrant une feuille de banane jaunie par la Sigatoka (Photo: Roberson Alphonse)Les bananeraies d'Arcahaie et de Léogâne sont ravagées par la Sigatoka, une maladie aux conséquences multiples que les autorités font semblant d'ignorer, qui est l'une des causes de la baisse de la production de bananes à travers le pays. Il aura fallu que les voisins dominicains cessent leurs exportations pour que les autruches qui nous gouvernent s'aperçoivent de l'état de cette filière dont les exportations ont rapporté, au cours de la dernière décennie, pas moins de 100 millions de dollars.
A Vigné, une localité de l'Arcahaie, Alexandre, la quarantaine bien sonnée, sort précipitamment d'une plantation de bananes en marmonnant des récriminations à l'endroit d'un laboureur qui vient de lui soutirer les yeux de la tête. « Tout est fini ; la fin du monde est proche, il n'y a plus d'espoir s'il faut payer 5000 gourdes pour labourer un demi- hectare de terre. En temps normal, je ne me serais pas plaint ; mais depuis tantôt quatre ans, les bananeraies sont ravagées par une impitoyable maladie * », suffoque-t-il, colérique, en pointant du doigt des bananes chétives et rabougries dans le jardin d'une cousine. Le visage rond, le front perlé de sueur, il explique, qu'une « fois infestées, les feuilles de la banane deviennent jaunes, puis brunes et finalement noires. Ce processus entraîne une maturation précoce susceptible de provoquer le pourrissement du vivre, donc une perte presque totale de la plantation».
Assis à l'ombre d'un manguier, Alexandre et d'autres planteurs, entre boutades et quolibets à l'égard de la politique de l'autruche du ministère de l'Agriculture tout en questionnant l'utilité de la profession d'agronome, expliquent que la production de bananes a considérablement chuté dans la plaine de l'Arcahaie. « Rares sont les planteurs qui tiennent encore le coup », disent-ils à l'unisson. Toutefois, même si les bananes sont malades et chétives, elles ont quand même une certaine valeur. « Un régime que l'on achetait à 250 ou 300 gourdes se vend aujourd'hui entre 500 et 600 », explique Rebecca, une marchande de fritures ayant son étal à la rue Capois, au Champ de Mars. La banane est rare et chère », enchaîne-t-elle en soulignant que nombre de ses fournisseurs habituels, à la Croix-des-Bossales ou au Marché Salomon, ont dû jeter l'éponge.
Une Archeloise enlève la pelure d'une banane pour montrer la maturité précoce (Photo: Roberson Alphonse)
Selon Rebecca, c'est la décision des Dominicains de ne plus exporter de bananes vers Haïti qui provoque la rareté et la flambée des prix. « C'est après avoir constaté, à Malpasse, le gel des exportations de la banane de Santo Domingo dont les bananeraies ont été dévastées lors de la saison cyclonique que nous nous sommes tournés vers Arcahaie et Léogâne où les plantations sont infestées », ajoute-elle laconiquement, comme pour étouffer une surprise, une déception face à la dépendance d'Haïti au point de vue alimentaire.
· Là où la marchande de fritures se garde de faire des commentaires, Eddy, un marchand de « papitas » très connu au Stade Silvio Cator, s'insurge: « La banane qu'ils (dominicains) ont, ils la gardent pour nourrir leur peuple tandis qu'en Haïti, on est laissés comme des chiens errants, à la merci de la providence, dit-il. Je vends des « papitas » depuis 1973. C'est la première fois depuis que j'ai laissé Jérémie que je pense à y retourner », soupire l'homme d'une soixantaine d'années. Haïti, au grand dam d'Eddy, importe chaque année environ 20 000 tonnes de bananes de la République dominicaine.
· La baisse de régime
Selon le rapport 2006 du Fonds des Nations unies pour l'alimentation (FAO), la production haïtienne de bananes a régressé au cours des 10 dernières années. Elle est passée de 600 000 tonnes métriques produites annuellement entre 1981 et 1994 à 300 000 tonnes métriques, soit une chute de 50%. Un niveau où elle se trouvait encore en 2005, sans considération des chiffres sur les dégâts provoqués par les intempéries de fin 2007. Divers facteurs internes et externes expliquent la chute libre de la production de bananes en Haïti, selon les techniciens agricoles.
A Vigné, Alexandre montrant un régime de banane chétive (Photo: Roberson Alphonse)
Au niveau de la production, les agriculteurs disposent de peu de moyens quant à l'irrigation des plantations bananières. Parallèlement aux infestations, les contraintes de la filière banane se trouvent surtout au niveau de la transformation. Les agriculteurs haïtiens disposent de très peu de moyens pour l'exploitation du produit. Dans d'autres pays, la consommation est envisagée sous diverses formes, notamment jus et alcool. Quant à la pelure et à la pulpe, elles sont utilisées dans la préparation du papier. En Haïti, le produit est utilisé beaucoup plus pour la consommation, faute de matériel et de techniciens dans le secteur. A part la farine, le papita, ou la « banane pesée » accompagnée de "griot", on utilise très peu les potentiels de ce vivre alimentaire dont la baisse de régime se fait sentir alors que le pays, selon le rapport 2007 de la FAO, est en proie à une grave crise alimentaire. A Arcahaie et dans la plaine de Léogâne où ce qui semble être la Sigatoka fait rage, les planteurs attendent le miracle en se remémorant la dernière décennie au cours de laquelle les exportations de bananes avaient atteint les 100 millions de dollars.
Des bananiers infestés par la Sigatoka non loin de Pont Manègue, dans la plaine de l'Arcahaie (Photo: Roberson Alphonse)
· Sigatoka
· Apparue à Fidji en 1964, la maladie de Sigatoka - un fongus qui flétrit les feuilles - s'est propagée dans les bananeraies du monde entier. On l'observe au Honduras en 1972; elle se propage ensuite dans toute l'Amérique centrale en 1984; elle atteint aujourd'hui l'Équateur. L'Afrique est également infestée par cette peste noire du monde végétal. S'attaquant à toutes les principales variétés de la banane et du plantain, la Sigatoka infecte les feuilles du plant qui, jaunes, puis brunes, enfin noires, empêchent alors la photosynthèse. Privé de ses réserves d'énergie, le bananier freine sa production souvent de moitié. Cela peut être synonyme de disette dans les régions où la banane et le plantain représentent des cultures vivrières.
Si on ajoute à cela que la Sigatoka cause la maturation précoce du fruit: bien que d'apparence normale, les bananes infectées mûrissent et se gâtent avant d'arriver sur nos tables.Le coût des fongicides chimiques pour lutter contre la Sigatoka est élevé: de 800 à 1 000 $US par hectare et par an. Seules les multinationales exportatrices y ont accès. Contre le plantain, cultivé sur de petites plantations éparses, la lutte chimique s'avère peu pratique, d'autant plus qu'il faut appliquer le fongicide dès l'apparition d'une nouvelle feuille. Certains planteurs guatémaltèques font jusqu'à 50 épandages par an.L'application massive de substances chimiques, ordinairement par avion, provoque la colère des écologistes. Le fongus résiste de plus en plus aux pesticides. À mesure que la Sigatoka poursuit son implacable avancée, de petits planteurs cessent donc toute production. Au Panama, plus d'un tiers de la culture du plantain est abandonné depuis l'invasion de la Sigatoka en 1981.
Roberson Alphonse
robersonalphonse@yahoo.fr
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=53393&PubDate=2008-01-22
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