Etat des lieux
Complètement négligée, on ne retrouve, pratiquement, sur l'île aucune représentation des institutions étatiques sauf, bien sûr, celle de la Direction Générale des Impôts qui, de toute façon, ne sert pas à grand-chose car le préposé n'a nullement les moyens de la politique de l'institution. Après avoir passé une journée à faire le tour de l'île, on est à même de se demander si cette commune fait vraiment partie de la République d'Haïti. Et, pourtant, il y aurait toutes les raisons du monde pour qu'elle retienne l'attention. Malheureusement, commune ou pas, elle semble n'avoir jamais intéressé les gouvernements qui se sont succédé depuis l'indépendance vu son dénuement total.
Il n'existe sur l'île aucune infrastructure digne de ce nom. Les tracés qui existent et sur lesquels circulent des véhicules sans immatriculation ne méritent pas la dénomination de route. Ce ne sont que des chemins de terre en très mauvais état, sans pitié pour les reins de ceux qui osent s'y aventurer. Rallier, par exemple, Les Palmistes (centre « urbain » intérieur) à partir de Pointe des Oiseaux (agglomération côtière) est une véritable torture. D'ailleurs, assez souvent, le seul moyen de se rendre d'un lieu à un autre reste la mer. Quand on pense que dans le temps, il existait des voies ferrées et, évidemment, un train ! mais, cela, c'est une autre histoire !
Les Palmistes, centre administratif de l'Ile de La Tortue, arrive à tenir le coup, comme par magie. Comme la plupart de nos villes et villages, il n'y existe aucun drainage. Ce qui n'a rien d'étonnant quand on sait que Port-de-Paix, chef-lieu du département du Nord-Ouest est dans la même situation. Et pourtant, cette petite agglomération a son charme et, vu la surface qu'elle occupe, il ne serait vraiment pas nécessaire de faire venir l'or du Pérou pour lui donner une certaine fraîcheur et résoudre la plupart de ses problèmes.
Pour le moment la mairie partage un « kat pyès kay » avec le tribunal de paix et l'officier de l'état civil. Plutôt coincé comme situation. Et du train où vont les affaires dans ce pays, ce n'est pas demain la veille que cela va changer... à moins que la solution ne vienne de l'île. Il est évident, cependant, que la commune a grandement besoin d'un bâtiment administratif.Evidemment, seuls ceux qui ont déjà quitté l'île savent qu'il existe quelque part une institution qui porte le nom pompeux d' « Electricité d'Haïti ». Bien sûr, il savent ce qu'est l'électricité, La Tortue étant probablement la commune qui compte le plus de génératrices au kilomètre carré. D'ailleurs, la localité de Les Palmistes est alimentée par une génératrice gérée par la communauté.Quelques rares localités ont pu bénéficier de l'adduction d'eau potable. Pour les autres, c'est la débrouille. Dieu merci, les sources sont assez nombreuses et la population assez débrouillarde. La source de « Nan Zòl » à Pointe des Oiseaux a un débit suffisant pour, à elle seule, alimenter au moins le tiers de l'île.Dans le temps, il existait deux pistes d'aviation à l'île de La Tortue. Aujourd'hui, dans un état déplorable, elles ne servent plus à rien et, histoire plutôt cocasse, l'une d'elles, probablement celle de la Pointe Ouest, figure, officiellement, depuis quelques temps sur la liste des pistes clandestines utilisées pour le trafic de drogue. Or, officiellement, elle n'a jamais été désaffectée. De quoi se poser des questions ! La piste des Palmistes, mesure environ 2000 pieds et pourrait être prolongée jusqu'à 2500 pieds. Endommagée par les eaux, elle n'a jamais été réparée. Envisager le développement touristique de l'ile sans la réhabilitation de cette piste relèverait de l'absurde.
La piste de la pointe Ouest, vu sa position dans une zone pratiquement inhabitée, ne saurait desservir la population mais en cas de développement de projets touristiques, elle pourrait se révéler d'une grande utilité. Car la pointe Ouest a l'une des plus belles, sinon la plus belle plage du pays.
Ce qui parait le plus paradoxal, pour cette petite ile qui vit presqu'exclusivement de la mer, c'est l'inexistence de débarcadère. Embarquer à Port-de-Paix pose déjà un problème. Il faut d'abord monter à bord d'une barque avant d'être transbahuté dans le navire qui assure le va-et-vient entre la grande terre et la petite île. Arrivé à destination, l'opération se fait en sens inverse et, pour ne pas se mouiller les pieds, il faut parfois se résigner à se faire porter à dos d'homme. Et dire que nous sommes en 2007 ! que ne justifierait pas le sous-développement ? Santé
Question santé, c'est pas la joie à La Tortue. L'hôpital est dans un état exécrable, le personnel est carrément insuffisant. Quant aux centres de santé, ils n'existent, pour ainsi dire, pas. Parler de santé dans cette commune demande une expertise que, malheureusement, nous n'avons pas.
Education
Faire un bilan du système éducationnel sur l'Ile de la Tortue est assez laborieux car, pour cela, il faudrait avoir la possibilité de visiter toutes les écoles, ce qui est particulièrement difficile si l'on tient compte des difficultés à surmonter pour atteindre certains sites. Toutefois, il est clair qu'il manque d'écoles secondaires et qu' un seul lycée ne peut, en aucune façon, satisfaire les besoins d'une population estimée à environ 45000 âmes. D'autant plus que le lycée ne permet aux élèves que d'arriver en classe de troisième. Après, il faut aller à Port-de-Paix, Saint-Louis du Nord, Port-au-Prince ou au Cap-Haïtien. Ce qui explique que beaucoup de jeunes arrêtent três tôt leurs études. Un vrai gaspillage de cerveaux !EconomieLa commune vit principalement de la mer, dans tous les sens du terme. De nombreux bateaux font le commerce entre l'ile et les villes côtières les plus proches et la pêche tient une place privilégiée dans la vie économique de la commune. Toutefois, l'agriculture, bien que pratiquée de manière empirique pour la subsistance, tient encore la route et a toute son importance pour une population dont une grande partie est sous-alimenté. Il est intéressant de noter que la plupart des bateaux qui se trouvent à La Tortue sont construits sur place, preuve de l'ingéniosité et du savoir-faire des Tortugais.
EnvironnementIl y a comme partout ailleurs certains problèmes dont il faudrait tenir compte si l'on veut vraiment protèger l'environnement de l'île. Cependant la commune est encore verte et il faudrait rapidement prendre des mesures pour qu'elle le reste car vu les conditions de vie difficiles d'une bonne partie de la population, les risques sont élevés qu'elle n'augmente sa production de charbon de bois pour résoudre ses problèmes économiques. La production de ce charbon est la pricinpale cause de la coupe du bois sur l'île.
Bizarrement, les plages sont dépourvues de cocotiers. Il faudrait peut-être penser à en planter s'il n'existe aucun risque de destabilisation d'un écosytème déjà fragilisé. Développement
La Tortue est pratiquement vierge et tout est à faire. La meilleure option pour le développement de l'île est le tourisme car elle (l'île) offre de nombreux avantages. Le canal de La Tortue est un passage obligé pour beaucoup de bateaux de croisière et de plaisance.
Avec ses deux pistes d'atterrissage, l'une à la Pointe Ouest et l'autre Aux Palmistes, elle est à 45 minutes de vol de Puerto Plata en République dominicaine, 35 minutes de Port-au-Prince, 20 minutes de Inagua des Bahamas, et 15 minutes du Cap-Haïtien. Par voie maritime, elle est à 3 ou 4 heures de bateau du Cap-Haïtien et à 15 ou 20 minutes de St- Louis du Nord selon la puissance du moteur utilisé.
L'Ile bénéficie d'une biodiversité qui offre des randonnées dans les forêts et permet d'explorer les attraits naturels de l'île. De plus, son écosystème marin unique dans les Caraïbes. La grande disponibilité de plages vierges et de terrains à aménager sont propices à accueillir des sites hôteliers. La côte sud de l'île présente une bande de sable blanc de 37 km avec des zones peuplées de mangrove, des zones rocheuses, des zones de faible fond et des zones d'eau profonde. D'ailleurs, l'une des plages, « la Pointe Ouest », a été désignée comme étant l'une des dix plus belles plages de la caraïbe par la revue de tourisme « Condé Nast Traveler», une référence du tourisme mondial.
Fort heureusement, le ministère du Tourisme se penche actuellement, et sérieusement, sur un projet de développement touristique qui implique non seulement l'île, mais aussi la bande côtière qui va du Môle St-Nicolas à la baie de Mancenille. D'un autre côté, il existe des tortugais qui travaillent d'arrache-pied en vue de faire avancer les choses chez eux. Mais cela, c'est le sujet d'un autre article.
L'île de La Tortue est un petit paradis, l'un des derniers qui nous reste encore. Lui donner la considération qu'elle mérite pourrait nous aider à retrouver un petit peu de cette Haïti Chérie, Perle des Antilles, qui n'est plus qu'un lointain, très lointain souvenir...
Patrice-Manuel Lerebours