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mercredi 21 août 2013

Tout va changer à l'Ile-à-Vache

Le Nouvelliste | Publié le :20 août 2013
Sur le bord de mer de Port-Morgan, à quelques pas du débarcadère, les vagues tapent sur des galets blancs. Une radio égrène « Jérusalem » de Gracia Delva. Au loin, une vedette déchire la mer laissant, quelques secondes, un sillage blanc et, pendant plus longtemps, comme suspendu dans l'air, le ronron de son moteur hors-bord.

4 heures de l'après-midi, l'air est lourd, chargé comme les policiers surarmés, assis, çà et là, entre les motos et les Polaris vert olive du ministère de l'Environnement.
Deux hélicoptères, portes ouvertes, hélices à l'arrêt, attendent les officiels et leurs invités. Il se passe quelque chose en ce lieu.
Les murmures du dernier point de presse de la journée, donné par le premier ministre Laurent Lamothe et la ministre du Tourisme, arrivent jusqu'à la plage. Indéchiffrables.
Le terrain de beach-volley a connu des jours meilleurs, les kayaks aussi. Les petites maisons paysannes, où toute l'aventure touristique de l'Ile-à-Vache a débuté, se fondent dans le décor. Elles aussi, comme les habitants de l'île qui s'aventurent depuis le mitan de la journée au plus près du ballet des notables pour chercher à comprendre ce qui se passe, s'attendent à ce que quelque chose change ici.
Des officiels venus de Port-au-Prince, des techniciens font le va-et-vient depuis des mois dans la région et voilà que des tracteurs sont arrivés. Puis des agents de sécurité, des journalistes, des caméras. Tout est en place pour les grandes annonces. Si toutes les promesses sont tenues, l'île verra son potentiel se transformer en emplois et devises.
Le député de la circonscription et ses partisans et ce candidat au Sénat pour le Sud déjà en campagne sur ces terres vierges qui gonflent le cortège officiel mesurent tout le potentiel des projets, eux aussi.
Une route en terre battue pour le moment, la première depuis la création du monde, traverse l'ancien repaire de Sir Henry Morgan, le pirate, et de Bernard Kock, l'aventurier, deux anciens maîtres des lieux.
Un aéroport va sortir de terre et des investisseurs affûtent leurs calculs avant d'ériger hôtels, resorts all inclusive et autres attractions touristiques dans ce coin perdu et paradisiaque.
C'est ce qui se dit depuis des jours et plus précisément depuis que le chef du gouvernement y a mis les pieds ce mardi.
 Laurent Lamothe, quand il ne conduit pas lui-même une Polaris, pilote des arrêts symboliques. Le premier à KayKoy, l'une des agglomérations de l'île, où des projets sociaux seront réalisés au bénéfice de la population.
Un centre communautaire a vu sa première pierre faire corps avec le mortier. L'école sera réparée, l'Internet sera disponible, les pêcheurs auront accès à de meilleurs bateaux, l'eau potable jaillira, le solaire apportera de l'éclairage public, apprennent avant d'applaudir ceux qui ont fait le déplacement pour venir écouter les autorités.
Entre une série de discours et des photographies couleur de l'avenir qui se dessine, la population a compris qu'on n'allait pas la forcer à faire place nette pour que les gros Blancs viennent se prélasser au soleil.
Des travailleurs sociaux éduquent déjà les rebelles et les curieux sur ce qui va changer et sur leurs droits acquis. Il y aura aussi de la formation pour ceux qui travailleront, bientôt ils l'espèrent tous, dans les hôtels qui vont s'ériger dans les zones de développement identifiées dans le plan de développement de la destination.
 Ici, ce n'est pas un secret, les gens ont voté Tèt Kale. Beaucoup arborent le fameux bracelet rose, signe de ralliement au régime en place.
Pour ne rien déranger à l'affaire, le député est l'un des trois seuls élus aux dernières élections à l'être sous la bannière du même parti que le président de la République. L'Ile-à-Vache a comme le sentiment que le premier ministre lui rend ce qui lui est dû quand il cite les projets qui vont prendre forme dans les mois à venir.
Et pour ne rien gâcher, les ressources naturelles de l'île sont indéniables, le potentiel touristique réel. Il suffit de traverser ce territoire pour s'en rendre compte.
La nature est luxuriante, le dénuement n'y est pas synonyme de misère ni de pauvreté extrême.
L'Ile-à-Vache était simplement abandonnée, laissée dans son coin par les gouvernements passés.
 « Destination Ile-à-Vache » est l'un des plus ambitieux projets du quinquennat du président Martelly. Sur le papier, très vite, il y aura des routes, la construction vers l'horizon 2015 d'un aéroport international, la mise en service d'un centre commercial, l'édification d'un terrain de golf de dix-huit trous et la mise en opération de mille chambres d'hôtel.
Le coût total de ce projet est estimé à 230 millions de dollars, selon les chiffres avancés par les responsables du gouvernement. Avec moins de 50 kilomètres carrés pour près de 20 000 habitants, l'Ile-à-Vache, avec ses plages, sa nature préservée, son passé mouvementé de repaire de pirates et de colonie de peuplement pour les Noirs américains après l'abolition de l'esclavage aux États-Unis d'Amérique, a de quoi se positionner sur le marché touristique mondial.
La question est : va-t-elle se vendre, se laisser séduire ou être conquise ?
La route, l'aéroport dont le premier coup de tracteur a été donné par le premier ministre à Pointe-Est resteront pour l'île, quelle que soit l'issue de cette affaire. Avec ou sans les investisseurs, la petite population de l'Ile-à-Vache, l'une des dernières régions du pays qui vivent loin de tout, gardera des acquis de la politique volontariste de l'administration Martelly-Lamothe.
Tout va changer à l'Ile-à-Vache, avec ou sans le tourisme de masse.
Frantz Duval duval@lenouvelliste.com Twitter:@Frantzduval http://lenouvelliste.com/article4.php?newsid=120294

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