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mercredi 21 août 2013

Haïti: « Besoin de renfort: tout le monde sur le pont! »

Publié le 20 août 2013
par Médecins Sans Frontières
 Ahmed Fadel, responsable terrain de projet MSF, décrit la mobilisation, le travail d’équipe et les émotions fortes ressenties lors d’une urgence à l’hôpital de Chatuley, à Léogâne en Haïti.
Il est 22h passé à l’hôpital MSF de Chatuley à Léogâne. Un enfant de deux ans est sous oxygène, plongé dans le coma suite à un traumatisme crânien sévère. Il est en train de partir. La pédiatre et deux infirmières le regardent d’un air désemparé. Une autre infirmière le caresse avec attention et tendresse pour adoucir son départ vers l’au-delà… L’enfant s’en est allé. On ne pouvait plus rien pour le sauver, son sort était déjà scellé. L’infirmière en chef, les larmes aux yeux, le prend dans ses bras et se dirige vers sa maman qui est elle aussi en train de recevoir des soins. Un moment de silence, de solitude : la maman, sous le choc, ne réalise pas tout de suite ce qui vient de se passer, puis elle éclate en sanglots.
Le personnel autour d’elle marque un moment de silence. J’ai eu l’impression que la terre s’arrêtait de tourner, que tout s’était figé autour de nous, sauf les larmes qui coulaient des yeux des uns et des autres.
 Je reviens en arrière, plus tôt dans la journée. On est mardi à Léogâne, un beau matin ensoleillé. Mon agenda et bien chargé: longues réunions avec les équipes pour discuter des objectifs et des résultats atteints, s’organiser pour le mois à venir et discuter des axes stratégiques pour l’année prochaine.
A la fin de la journée, nous rentrons à la base en prenant un raccourci. On croise une famille habitant un abri de fortune et un homme nous demande de nous arrêter. J’ai cru qu’il venait nous demander une assistance médicale et j’étais soulagé d’être accompagné d’un médecin ! Eh bien non, ce monsieur voulait nous faire part de sa gratitude et nous remercier de notre travail en nous tendant un petit cadeau : un fruit. Nous rentrons donc à la base, contents de ce petit geste très significatif et nous le partageons avec l’équipe. La soirée s’annonce dans la joie et la bonne humeur…
Il est 19h45 lorsque j’entends des bruits de sirènes. Avant même d’avoir le temps de me demander ce qu’il se passe, un gardien accoure nous informer que la salle radio a reçu un appel de l’hôpital : il y a eu un accident de la route, suivi d’un afflux de blessés légers. L’équipe à l’hôpital aurait la situation sous contrôle.
Mais quelques minutes plus tard, à 20h, les deux chirurgiens, l’infirmier et l’anesthésiste reçoivent des appels: le bloc opératoire pourrait avoir besoin d’eux.
A 20h25, on m’informe que l’afflux de blessés serait plus important que ce que nous pensions.
 A 20h33, j’arrive à l’hôpital. En face de la salle d’urgence se trouvent des pickups de particuliers, des ambulances du ministère de la Santé et de la Croix-Rouge haïtienne, tous remplis de blessés. Les brancardiers sont débordés. Une trentaine de blessés sont arrivés alors que d’autres ambulances sont en route vers l’hôpital.
Besoin de renforts !
Je fais rapidement sortir les véhicules pour faire de la place et me dirige vers la salle d’urgence : il y a des blessés de partout en phase de triage. Le chirurgien me dit qu’il a besoin de renforts pour prendre en charge les blessés qui devraient arriver à tout moment. Je prends mon téléphone pour composer le numéro de la base et trouve une dizaine de messages de l’équipe demandant s’ils peuvent nous aider.Je les appelle: « Urgence. Afflux de blessés important. Besoin de renforts: tout le monde sur le pont!».
Réponse : «Message copié.
 L’équipe entière en mouvement». Je me retourne et tombe sur une consœur d’une autre organisation qui m’explique ce qu’elle a vu : deux gros camions chargés à craquer de passagers entassés les uns sur les autres sont entrés en collision. Il y avait environ 60 à 70 personnes. C’était à Gressier, sur la route nationale entre Port-au-Prince et Léogâne.
La route vers la capitale est donc bloquée jusqu’à ce que tous les blessés aient été évacués et que les deux camions soient dégagés. Par conséquent, l’hôpital de MSF à Chatuley est la seule structure hospitalière accessible!
 Il est 20h38 lorsque je vois le véhicule MSF se garer et mon renfort débarquer: médecins, infirmières, sages femmes, logisticiens. L’équipe d’expatriés est arrivée au complet, l’air concentré et déterminé : « Dis-nous quelle est la situation et ce que nous devons faire!». J’annonce rapidement : «Blessés toutes catégories… 30 personnes. Autres blessés en route. Pour les médicaux : le médecin urgentiste et les chirurgiens sont les points focaux: agissez sous leurs instructions. La logistique, suivez moi!». A peine ai-je fini mon discours que je vois un nouveau renfort arriver : le staff national qui était au repos a tout laissé tomber après avoir entendu la nouvelle. Ils sont là, sans même que je n’aie dû les appeler. A partir de là, la ruche s’active simplement : sans panique, sans stress, mais avec une fébrilité positive. Chacun connaît son rôle et sa place, pas de cris, ni de précipitation, mais de l’activité. Cette attitude calme les blessés et les accompagnants que l’on retenait à distance. Les gens nous font confiance. La terre s’arrête de tourner un instant
 A 22h 30, une nouvelle vague de blessés arrive et la situation n’est pas jolie à voir. On prend notre courage à bras le corps et on continue avec détermination et professionnalisme.
 Dès 23h, les cas les plus désespérés décèdent. On en est à quatre. Non, on ne se laisse pas abattre, on active les boucliers émotionnels et on continue. A 23h15, le garçon de deux ans meure sous les caresses de l’infirmière. Silence. Je vois des pleurs discrets et l’infirmière en chef le porter vers sa maman afin qu’elle puisse le tenir dans ses bras une dernière fois. La terre s’arrête de tourner un instant.
A 23h30, le médecin urgentiste annonce d’une voie rassurante et encourageante: «Blessés stabilisés à transporter dans les salles d’observation et sous les tentes aménagées à cet effet ». Tout le monde s’active, il n’y a plus de brancardiers, de chirurgiens, de médecins ou de non-médicaux : nous sommes tous devenus brancardiers. Le transport s’exécute. Dernière ligne droite Il est minuit passé, dernière ligne droite de nettoyage et de rangement avant de rentrer à la base.
Dans la voiture, l’équipe marque un moment de silence, suivi de croisements de regards, puis d’un éclat de rire collectif et fier. Quelqu’un lance : « Les gars : 43 blessés, dont la moitié graves et en danger de mort, nous les avons sauvés !». Une autre dit : « YES, we did it !! ».
Soulagés, nous allons nous coucher, car demain est un autre jour. Il faudra assurer le suivi des blessés, le transfert de certains vers d’autres structures hospitalières de MSF à Port-au-Prince. Il faudra aussi procéder à l’identification des morts avec le juge de paix et à l’accueil et au soutien des familles des défunts, sans pour autant paralyser le fonctionnement de l’hôpital. Et moi, je dois encore briefer la nouvelle pédiatre qui vient juste d’arriver et qui a tout de suite été jetée dans cette réponse d’urgence. Je sais déjà ce que je vais lui dire : «Merci pour ce que tu as fait hier et pour ce que tu vas faire encore. Tu vois, c’est ça MSF !»
Depuis 2010, MSF gère un hôpital de Chatuley à Léogâne situé à une trentaine de kilomètres de la capitale Port-au-Prince et offrant des soins gratuits et accessibles 24 heures sur 24 en cas d’urgence.
http://blog.lesoir.be/leblogdesmsf/2013/08/20/haiti-besoin-de-renfort-tout-le-monde-sur-le-pont/

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