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samedi 20 novembre 2010

Le choléra et la loi de l'Omerta

Haïti: Le dernier bilan de l'épidémie du choléra qui sévit en Haïti depuis la mi-octobre s'élève à 1.100 morts et 18.832 hospitalisations depuis le début de l'épidémie. Le choléra traverse désormais les frontières : le premier cas officiel a été détecté mardi en République Dominicaine et un autre, mercredi à Miami. Les deux patients étaient d'origine haïtienne. Depuis plusieurs semaines le gouvernement dominicain a mis en oeuvre de sévères mesures de contrôle pour prévenir le développement de cette maladie, extrêmement contagieuse. La République dominicaine a notamment renforcé sa présence militaire à la frontière et limité le commerce avec Haïti, ainsi que l'entrée des Haïtiens sur le territoire dominicain. Quelques 170 personnes ont déjà été arrêtées et le commerce de vêtements usagés est interdit depuis lundi sur les marchés binationaux (Dajabon, Jimani et Elías Piña) dans le cadre des mesures préventives contre l'épidémie de choléra. (1)

Comme en témoigne la couverture du plus grand journal du Québec, La Presse de Montréal du 10 novembre dernier, Haïti ''Au pays du choléra'', nous sommes désormais considérés, au pire, comme des pestiférés, au mieux, stigmatisés à travers cette grave épidémie qui s'étend à travers les dix départements du pays. Dès le début de cette crise sanitaire majeure, plusieurs observateurs aguerris avaient vu venir l'ampleur de la catastrophe. Mais les autorités se voulaient rassurantes et les candidats à la présidence étaient trop occupés à mener campagne pour tirer la sonnette d'alarme ou mesurer l'étendue dévastatrice de cette épidémie. Quant aux journalistes qui l'ont fait, leurs voix se sont évaporées tel un verre d'eau dans le désert.
Depuis, la flambée du choléra s'est propagée partout et de nombreux travailleurs humanitaires estiment que les chiffres officiels, sous-estiment l'ampleur de l'épidémie. À ce sujet, la déclaration, le 15 novembre, de Nigel Fisher, coordinateur de l'action humanitaire pour les Nations Unies en Haïti est éloquente : '' Nous avons des cas dans tous les départements bien que les autorités haïtiennes (...) disent que seulement six des dix départements ont été touchés par la maladie '', a-t-il déclaré lundi dernier en soulignant que ''selon les épidémiologistes, le nombre de cas va augmenter de manière significative ''. (2) La MINUSTAH n'ait eu de cesse de se défendre contre les allégations faisant croire que les fosses septiques d'un camp situé près de Mirebalais, où beaucoup de soldats népalais sont basés, seraient la cause de la propagation du choléra dans le pays. Des manifestations antigouvernementales et anti-MINUSTAH ont éclaté le lundi 15 novembre au Cap Haïtien, faisant deux morts et au moins 19 personnes blessées, dont une quinzaine par balles. Cet apparent ''mouvement de colère'' s'est aussi répandu à Hinche. Au Cap-Haïtien, deuxième ville du pays, des manifestants ont incendié un commissariat et des véhicules qui s'y trouvaient. Le même jour à Hinche, des casques bleus népalais, ont été la cible de jets de pierre lors d'une manifestation, qui a rassemblé quelques 400 personnes. Mardi et mercredi, la situation restait tendue dans ces deux villes où des tirs sporadiques ont été entendus et des barricades enflammées ont été érigées.
"Ce qui s'est passé lundi n'est en rien spontané", a estimé le patron de la Minustah dans un courriel adressé à Reuters mardi. Il a ajouté que selon l'Onu, les violences qui se sont déroulées à Cap-Haïtien avaient été "bien planifiées et concertées"."Des empêcheurs de tout acabit, d'anciens membres de l'armée haïtienne, certains responsables politiques, des criminels, des groupes hostiles aux élections se cachent derrière ces incidents", écrit le Chef de la MINUSTAH à Reuters. "L'épidémie de choléra est tombée à point nommé pour ces gens-là, qui ont créé ce genre de situation".M. Edmond Mulet croit néanmoins que les élections peuvent toujours être un succès."Nous nous attendions à ce genre d'incidents, qui ont déjà eu lieu dans le passé avant une consultation. Mais la vaste majorité des Haïtiens souhaitent des élections, et ce malgré des initiatives de dernier ressort de la part de forces anti-démocratiques". (3)
Pour l'historien et analyste politique Michel Soukar, '' il est certain qu'il y a des secteurs qui ne souhaitent pas la tenue de ces élections parce que leur candidat n'a pas décollé dans les sondages'', déclare-t-il. Pour lui, il sera très compliqué d'imposer le candidat de l'Unité, Jude Célestin : '' pour des raisons que tout le monde peut constater, il (Jude Célestin) est difficilement vendable. Pour faire avaler cette pilule, le pouvoir devra appliquer trois tactiques : renvoyer les élections à la mi-janvier afin que les autres candidats soient épuisés tant physiquement que financièrement, attendre que le choléra fasse davantage encore de victimes et démobilise la population et, troisièmement, le pouvoir remplacera les maires, dont le mandat s'achève, par les membres du parti UNITÉ'', affirme-t-il tout en mettant le pouvoir en place en garde contre ces pratiques ''d'apprentis sorciers'' : '' Il ne faut pas sous-estimer à quel point le peuple est mécontent de la gestion des autorités haïtiennes or, lorsqu'il y a ce genre de sous-estimation, on ne peut plus contrôler les mouvements de rue. D'ailleurs, j'ai l'impression que c'est déjà ce qui s'est passé ces jours-ci. Dans un tel contexte, il faut faire très attention car le ras-le-bol est ressenti à travers le territoire et jouer avec cette frustration reviendrait à allumer une allumette devant un gallon de gazoline'', avertit-il. Pour le professeur Michel Soukar, il est clair que le pouvoir a joué sa partition dans ces manifestions. Rappelons qu'il y a trois semaines, le candidat à la présidence, Jacques Édouard Alexis, qui était Premier ministre lors des émeutes de la fin en avril 2008 avait reconnu sur l'émission Métropolis de Radio Métropole il y a trois semaines, que lesdites émeutes avaient été '' politiquement manipulées'' à l'époque. Pourtant, lorsqu'il était du côté de Préval, il n'en avait pipé mot.
48h après les manifestations, M. Préval a prévenu que son gouvernement utilisera tous les moyens légaux pour sanctionner les auteurs d'actes de violence. Dénonçant l'attaque et le pillage de plusieurs entrepôts, René Préval estime que ces secteurs veulent semer la discorde entre le gouvernement, la population et la MINUSTAH. Le président Préval déplore ce qu'il considère comme une tentative de déstabilisation et averti que la violence ne fera qu'aggraver l'épidémie de choléra. Paroles de pacotille.
Un silence lourd de conséquences
En Haïti, le silence de ceux qui savent alimente la propagation du choléra. Lors d'une entrevue téléphonique accordée mardi soir à Le Nouvelliste, Michel Soukar souhaite que, si la société civile haïtienne est incapable de prendre ses responsabilités dans l'enquête à mener sur les origines de l'épidémie, qu'elle fasse appel à des groupes de la société civile internationale. Il suggère que Greenpeace, par exemple, puisse faire la lumière sur cette tragédie nationale.
Non seulement les autorités ne nous ont vraisemblablement pas dit la vérité mais, le Premier ministre Jean Max Bellerive, dans une interview exclusive accordée à Métropolis et à Le Nouvelliste le week-end écoulé a demandé de ne pas '' stigmatiser une population comme étant responsable directement de l'importation de cette maladie en Haïti(...) Tant que nous n'avons pas des preuves très claires, au-delà des rumeurs et des suspicions, tant le gouvernement que les Haïtiens doivent se garder (de le faire)'', a-t-il déclaré. (4)
L'attitude du Chef de gouvernement quant à sa gestion de la crise du choléra et de l'enquête à mener sur ses origines a été qualifiée de ''lâche'' par le professeur Soukar. Mais que dire comportement du président Préval, qui lors d'une réunion organisée le 14 novembre écoulé par le gouvernement pour pallier au manque d'éducation et d'information face à l'aggravation de l'épidémie du choléra a, une fois de plus, choqué Haïti et sa diaspora en déclarant : '' Nous connaissons une crise sérieuse. Je ne veux pas défendre ma tête contre l'État, mais l'État n'a pas fait son travail. Ce n'est pas de votre faute, ce n'est pas de la mienne. Nous sommes dans une situation telle que nous recommandons à tout le monde de ne boire aucune eau, sans la traiter préalablement''? (5)
Pour Michel Soukar, les propos de René Préval sont '' typiques de son irresponsabilité et démontrent qu'il n'y a eu aucune éducation à la citoyenneté dans notre pays..'', souligne l'historien et analyste politique. '' En effet, un citoyen est responsable des actes qu'il pose or, un président qui déclare que ce n'est pas sa faute...alors, c'est la faute à qui ? À Dieu, au Diable ?'', questionne Soukar. ''Pour se présenter à la fonction présidentielle, faut-il bien avoir des solutions à proposer aux problèmes; peut-être pas à tous les problèmes, mais vous devez pouvoir faire face aux problèmes fondamentaux du pays parce que vous avez des solutions. Qu'on ne vienne pas me dire que Préval n'avait pas fait de promesses : il avait promis la décentralisation, un Parlement avec qui il pourrait travailler, entre autres. Aujourd'hui, où sont les résultats ? C'est justement parce que le Parlement n'a pas fait son travail que la Cour de Justice n'a pas encore interpellé René Préval '', déclare Michel Soukar. '' L'exemple de la Cour de Cassation, qui jusqu'à ce jour n'a pas de président, est un exemple patent. Si Préval n'est pas responsable, qui est responsable ? Si c'est ainsi, ce pays n'a ni besoin de président, de Parlement ou de dirigeants, Nous n'avons plus besoin de ces gens-là (au pouvoir) et c'est tout'', s'indigne l'analyste politique.
De son côté, Mme Mirlande Manigat, qui caracole dans les sondages, a déclaré cette semaine au magazine français L'Express que '' Le gouvernement a tenté d'utiliser la crise du choléra pour retarder les élections. Mais ce ne serait pas raisonnable. Rien ne dit que nous n'aurons pas dans un mois davantage de décès et de malades. Différer jusqu'à quand? Six mois? Un an? C'est peut-être le mauvais moment, mais il n'y en aura pas de bon dans les années à venir.''(6) Le professeur Soukar partage cette thèse et en a profité pour interpeller les candidats à la présidence à 10 jours du premier tour des présidentielles : '' il faut que les candidats ''déshabillent'' les actes de ce gouvernement devant les yeux de la population pour lui montrer dans quel état les ''responsables'' ont mis ce pays, quels sont les intérêts qu'ils défendent, la corruption qu'ils ont installé en se partageant des contrats juteux basés sur des monopoles qui font l'affaire de quelques familles'', a-t-il souhaité. Pour l'analyste politique, le silence ou le demi-silence des candidats à ce propos l'inquiète : '' je me demande parfois si nous ne sommes pas en face d'une certaine complicité de la part de la classe dominante. Tout le monde est victime du silence de la mafia. Il faut que les candidats disent aux électeurs voilà dans quel état votre pays est; voilà comment l'on fait de l'argent sur votre misère et démontrer comment, après 20 ans, ceux qui se disaient les défenseurs du peuple, sont les mêmes qui l'ont déplumé '', a-t-il conclu.

Une continuité morbide et inacceptable
''On ne fait pas de politique avec de la morale, mais on n'en fait pas davantage sans '', disait André Malraux. Or M. Préval a révélé la perversité de ses réflexes - en témoigne la polémique autour d'un pseudo pacte passé avec Mme Manigat et de la voiture offerte à l'ex-président Leslie Manigat- mais s'avère immoral et surtout sans aucune éthique. Sa prestation inoubliable devant les caméras de CNN suite au séisme vient d'être surpassée par sa déclaration publique face au choléra : '' Je ne veux pas défendre ma tête contre l'État, mais l'État n'a pas fait son travail. Ce n'est pas de votre faute, ce n'est pas de la mienne '' ! Préval aurait-il oublié que lui et son jumeau politique Jean-Bertrand Aristide ont été au pouvoir pendant 20 ans ? Pendant ces deux dernières décennies qu'est-ce qui a été fait pour traiter les eaux usées, gérer les détritus, augmenter les réseaux d'eau potable ? Rien ! Préval préférait construire des routes alors que la population mangeait à côté d'égouts à ciel ouvert et des immondices. Des routes qui aujourd'hui favorisent le déplacement des populations atteintes de la maladie. Quant aux eaux usées et à l'insalubrité, même Pétion-Ville, autrefois appelée ''La Coquette', est couverte de fatras et la puanteur qui s'en dégage est pestilentielle. Mais la Mairesse, Lydie Parent du même mouvement idéologique qu'Aristide et Préval, s'est présentée sans aucune honte comme candidate à la présidence...
C'est dans ce contexte morbide que le poulain de Préval, M. Jude Célestin, a déclaré lors du débat présidentiel ''Anvann' voté' : '' Je représente la continuité, je le dis et je l'assume ''. La continuité de quoi ? De la corruption, de l'insalubrité, de l'absence de gestion, de l'immoralité, du mépris et du silence de l'Omerta ? Car, de fait, mis à part ce débat où les thèmes et les questions étaient préparés, M. Célestin à l'instar de Préval en 2006, fuit tous les micros de la presse.
Au moment où nous parachevons ce texte, l'Envoyé spécial de Radio Canada à Port-au-Prince, Frédéric Nicoloff, vient d'annoncer que les spécialistes de la santé en Haïti craignent que le choléra explose dans les bidonvilles et en particulier à Cité Soleil. Le choléra pourrait ainsi atteindre son pic...au moment du scrutin. Or, la méconnaissance de la maladie et de sa transmission demeure très problématique dans un pays au taux d'analphabétisme de 70%. Sans compter les croyances locales. La majorité des électeurs accepteront-ils d'être dans des files pendant de longues heures à côté de potentielles personnes infectées ? Le tour n'est vraiment pas jouer et tout peut basculer dans les jours à venir.
'' Toute nation a le gouvernement qu'elle mérite'', disait François de Maistre. Mais il est clair aujourd'hui, que le peuple haïtien ne mérite pas d'être abandonné dans une telle fange politique et environnementale. Le 28 novembre prochain, il fera face, une fois de plus à son destin. Qu'il choisisse bien cette fois-ci car tout peuple forge son destin. Il y a deux formes de destin : un vertical et un horizontal. (7) Nous avons trop longtemps accepté d'être à l'horizontal. Espérons que la semaine prochaine, le peuple haïtien rassemblera ses dernières forces pour choisir un destin à la verticale !
(1) Romandie News, Un premier cas de choléra en République Dominicaine, 16 novembre 2010.
(2) Haïti Libre, Haïti - Épidémie : 16,799 cas déclarés, 1,034 morts, la riposte s'intensifie, 16 novembre 2010.
(3) Reuters, L'Onu incrimine des agitateurs à Haïti, 16 novembre 2010
(4) Nancy Roc, le Premier ministre Jean Max Bellerive confirme la tenue des élections le 28 novembre, Le Nouvelliste, 10 novembre 2010.
(5) Haïti Libre, Haïti - Épidémie : Préval rejette les responsabilités sur le gouvernement, 15 novembre 2010.
(6) Vincent Hugeux, Mirlande Manigat : "Les causes du choléra sont politiques", 16 novembre 2010.
(7) Amin Maalouf, Les Identités meurtrières.
Nancy Roc, Montréal, le 17 novembre 2010.
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=85757&PubDate=2010-11-17

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