Haïti-Université : Les conditions de la reprise
vendredi 4 juin 2010
Interview, Par Francesca Theosmy
P-au-P, 4 juin 2010 [AlterPresse] --- Les conditions sont progressivement réunies pour la reprise de l’ensemble des activités à l’Université d’État d’Haïti (Ueh), selon ce qu’indique le vice recteur à la recherche, Fritz Deshommmes, à AlterPresse.
« La volonté de reprendre est là, intense, pressante, chez les Décanats, la plupart des professeurs et des étudiants », confie le professeur Deshommes dans une entrevue accordée à AlterPresse.
« Les fonds nécessaires sont disponibles », ajoute-t-il.
Fritz Deshommes a répondu par e-mail aux questions d’AlterPresse.
AlterPresse - Quelle est la situation de l’université d’Etat après le tremblement de terre ?
Fritz Deshommmes - Le moins que l’on puisse dire, c’est que la situation est difficile.
D’abord sur le plan humain. Les pertes sont immenses, douloureuses. Nous avons perdu pas moins de 20 professeurs, dont un doyen et un vice-doyen, plus de 300 étudiants, plus de 20 membres du personnel administratif. Quand vous perdez en même temps ce nombre d’enseignants et de jeunes, ce n’est pas facilement acceptable. Quand en plus vous perdez des gens de la trempe de Pierre Vernet, Yolaine Lhérisson, Arsène Constant, cela devient insoutenable, insupportable…
Je préfère fermer rapidement ce chapitre…
Sur le plan physique, l’UEH se porte très mal. Les bâtiments logeant 7 facultés sur les 11 qui constituent l’UEH à Port-au-Prince sont totalement inutilisables soit parce qu’ils se sont effondrés sur-le-champ, comme la Faculté de Linguistique Appliquée, (FLA), l’Ecole Normale Supérieure (ENS), la Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP), (partiellement) soit parce qu’ils doivent être abattus, comme la Faculté des Sciences (FDS), la Faculté des Sciences Humaines (FASCH), la Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire (FAMV), la Faculté de Droit et des Sciences Economiques ( FDSE). Et même celles qui demeurent debout ne peuvent pas être mises à contribution. Certaines méritent de sérieuses réparations, comme l’Institut National d’administration, de Gestion et des Hautes Etudes Internationales (INAGHEI), l’Institut d’Etudes et Recherches Africaines d’Haïti (IERAH). Il faut compter aussi avec la phobie du béton, si vrai que même à l’INAGHEI, à l’IERAH , à la Faculté d’Ethnologie (FE), on est obligé de construire des abris provisoires. La seule faculté qui n’a pas été affectée et dont l’immeuble demeure totalement disponible est la Faculté d’Odontologie. La situation n’est pas différente au niveau de l’Office Central et ses dépendances. Le bâtiment principal du Rectorat doit être démoli. L’Immeuble logeant le programme de maitrise Histoire, Mémoire et Patrimoine s’est effondré. Celui logeant les Editions de l’UEH est aussi hors d’état de fonctionnement, en raison des importantes fissures subies et de la phobie du béton :
En réalité à part la faculté d’Odontologie, aucun bâtiment de l’UEH dans la zone métropolitaine n’est immédiatement utilisable.
Les pertes en bâtiments ont été estimées à 45 millions de dollars américains.
Également considérables sont les pertes en terme de matériel didactique et pédagogique, de matériel de fonctionnement : Bureaux, chaises, Ordinateurs, imprimantes, classeurs, retro projecteur, mais aussi bibliothèque, laboratoire scientifique (didactique et de recherche) laboratoire d’informatique etc.…
Une note positive cependant : nous avons pu récupérer toutes nos archives, notamment les relevés de notes, les dossiers d’étudiants et tous les documents permettant de retracer le parcours académique de nos étudiants. A ce sujet, il faut souligner la diligence, l’esprit d’abnégation, le sens des responsabilités des dirigeants et membres du personnel administratif de nos facultés qui, par des moyens inimaginables, dans certain cas ont pu sauver des décombres un nombre important de documents académiques.
Apr - Il était prévu, suivant les informations disponibles, que plusieurs entités de l’UEH reprennent le 3 mai ce qui n’a pas pu se faire. Qu’est-ce qui explique ce retard ?
FD - Effectivement, il était prévu que le 3 mai toutes les facultés devraient reprendre des activités académiques. Il faut clarifier ici. Nous n’avions pas dit que le 3 mai toutes les facultés allaient reprendre toutes leurs activités académiques. C’est simplement impossible compte tenu de l’immensité des dégâts.
Mais la reprise ne pouvait pas non plus se faire au même rythme et dans la même mesure pour toutes les facultés. Cela dépend de tout un ensemble de paramètres dont l’ampleur des pertes subies tant en termes physiques qu’humain, la configuration de l’espace physique, le nombre d’étudiants, le système utilisé dans le fonctionnement académique, les filières concernées et même l’état d’avancement du semestre déjà entame.
Par exemple, la reprise à la Faculté d’Odontologie qui est demeurée intacte ne peut être la même qu’à la Faculté de Linguistique Appliquée totalement dévastée.
Le nombre de salles de classe pouvant être construit à l’IERAH qui ne dispose pratiquement pas de cour intérieure est certainement moindre qu’a la FAMV qui s’étend sur une superficie plus grande.
La FDS accommodera plus facilement l’ensemble de ses étudiants, moins nombreux que l’INAGHEI.
Ce ne sont pas toutes les facultés de l’UEH qui peuvent se prévaloir de relations aussi privilégiées avec d’autres partenaires de leur filière que celles qu’entretiennent la FMP et l’HUEH et qui lui ont permis d’être hébergée de manière aussi gracieuse au niveau de plusieurs salles de cours.
Les modalités de la reprise à la FASCH qui privilégie le système de crédit ne sont pas obligatoirement les mêmes qu’à la faculté de Droit où prédomine le système annuel ou a la Faculté d’Ethnologie, qui utilise une combinaison des deux
Cela dit, la stratégie adoptée lors d’une réunion du Conseil de l’Université était la suivante : chaque Faculté devait soumettre au Conseil Exécutif un plan et un calendrier de reprise assorti d’un devis estimatif des moyens indispensables pour leur mise en œuvre.
Dans ce cadre, toutes les facultés devraient se prévaloir d’un minimum (ou d’un maximum) de fonctionnement académique au 3 mai.
Apr - Où en est-on avec ce plan ?
FD - Notons d’entrée de jeu que depuis le mois de mars et même de février, certaines facultés avaient déjà entamé leur reprise.
La FO avait dès le mois de février mis sur pied un programme de services à la communauté qu’animaient essentiellement les enseignants aidés de quelques étudiants. Elle avait été rapidement rejointe en mars par les Facultés d’Ethnologie et des Sciences Humaines, lesquelles en profitaient pour reprendre les stages d’étudiants et les soutenances de mémoire. La Faculté des Sciences prenait déjà soin de ses finissants.
Et depuis le mois d’avril plusieurs Facultés ont repris leurs cours « classiques », suivant en cela l’exemple de la faculté des Sciences qui avait déjà mis sur pied un programme spécial à l’ intention de ses finissants.
Si la Faculté d’Odontologie a pu reprendre toutes ses activités pour les raisons mentionnées plus haut, il n’en est pas de même pour d’autres. Dans la plupart des cas, les finissants sont privilégiés. Il importe ici de remettre l’accent sur le dévouement de certains professeurs, de membres de Décanat qui n’ont pas hésité à mettre leurs maisons privées ou leur lieu de travail au service d’étudiants, surtout en dernière année.
Pour revenir au 3 mai, un fonds d’environ 20 millions de gourdes a été mis à la disposition des facultés pour accompagner la reprise. La plupart d’entre elles ont déjà soumis des plans de reprises et devis appropriés. A date, plus de 7 millions ont été utilisés pour la construction de structures légères, d’abris provisoires devant loger des bureaux et des salles de cours.
Des retards ont été enregistrés dans l’exécution des plans soumis. Soit parce que les devis ont pris du temps pour être acheminés au Rectorat, soit parce que le Centre National des Équipements (CNE) n’a pas su déblayer/démolir à temps les bâtiments concernés et rendre disponible l’espace (les couts de démolition dans le privé sont inabordables) soit parce que l’estimation initiale des délais de construction n’est pas exacte. Cela dit, en ce mois de mai, toutes les entités auront dans la mesure possible rouvert leurs portes à leurs étudiants, sauf deux qui devront attendre le mois de juin. L’essentiel est que la volonté de reprendre est là, intense, pressante, chez les Décanats, la plupart des professeurs et des étudiants. Les fonds nécessaires sont disponibles.
Progressivement, la vie académique reprend. Étudiants et professeurs sont heureux de réapproprier leur espace.
Encore une fois, il faut préciser que toutes les activités académiques ne pourront reprendre dans le cadre de ces dispositifs d’urgence.
Il faut donc sortir rapidement de l’urgence et aborder rapidement les problèmes structurels. C’est pourquoi le Conseil Exécutif consacre l’essentiel de ses actions à la véritable reconstruction de l’UEH.
On a voulu faire la comparaison entre l’UEH et d’autres Universités ou établissements d’enseignement supérieur, lesquels avaient annoncé des reprises rapides.
D’abord, il faut s’en féliciter car plus vite nos jeunes retrouvent le chemin de l’école et de l’université, mieux cela vaut pour eux et pour la société.
Il importe toutefois de rappeler que l’UEH à Port-au-Prince c’est au moins 15,000 étudiants, de loin supérieur à la moyenne des autres établissements, dont l’effectif atteint rarement 2000 étudiants. Au niveau national, si l’on ajoute ses antennes de province, l’UEH c’est plus de 50% des étudiants de tout le système et plus de ¾ des membres haïtiens de l’AUF. Pour permettre de mieux apprécier, rappelons que l’INAGHEI à lui seul rassemble plus d’étudiants que n’importe lequel de ces établissements. L’UEH c’est aussi plus de 800 professeurs, un nombre de filières, de programmes post gradués, de pôles d’excellence, une représentation territoriale, sans commune mesure avec les autres. L’UEH c’est aussi le principal pourvoyeur du système national d’enseignement supérieur en cadres académiques et non académiques. Avec des pertes telles que rapportées plus haut, la reprise doit y être certainement plus compliquée que s’il s’agissait d’accommoder un millier d’étudiants ou moins.
Cela dit, chaque fois qu’un établissement d’enseignement ouvre ses portes, quel qu’en soit le niveau (primaire, secondaire, supérieur, universitaire) et quel qu’en soit le statut (public, privé,…), il faut s’en réjouir et apprécier l’effort consenti dans les circonstances actuelles. C’est le pays qui se relève, c’est l’avenir qui se prépare.
Apr - Le rectorat a-t-il reçu de l’aide d’institutions universitaires internationales ?
FD - La coopération internationale ? Ce volet a pris une ampleur inusitée dans nos actions récentes. D’entrée de jeu, il faut vous dire que nous recevons de multiples offres d’appui et de collaboration de la part d’universités sœurs. La CUD de Belgique avec lequel nous avons un partenariat formel depuis plus de 10 ans et l’Université de Porto-Rico figurent parmi les premières à se manifester. Mais très vite nous avons été débordés et nous avons du mettre sur pied rapidement une commission des relations internationales. Car plusieurs grands défis se présentaient. Entre autres :
Comment identifier les offres les plus pertinentes compte tenu de nos besoins réels de court, de moyen et de long terme ?
Comment éviter les doubles emplois ?
Comment dépasser les effets de première « compassion » et éviter que le premier moment d’émotion passe, les bonnes volontés qui se manifestent demeurent ?
Nous avons du élaborer un cadre stratégique d’action pour mieux apprécier les offres. Dans certains cas, il a fallu contre-proposer et même refuser des propositions de départ. Notons également les manifestations d’intérêt de compatriotes de la diaspora, la plupart très utiles et très pertinentes.
Cela dit, cet aspect de nos activités s’est révélé très fructueux.
Nous avons pu négocier des bourses pour étudiants, de la coopération en termes de formation de formateurs. Tout en privilégiant des bourses de maitrise et de doctorat en faveur de nos enseignants actuels et futurs, nous avons été amenés également à négocier pour nos étudiants des formations de premier cycle ainsi que des opportunités d’aller finaliser leur travaux de sortie dans des laboratoires de recherche d’autres consœurs. Des professeurs vont également bénéficier de ce mouvement. Ils auront bientôt l’opportunité d’aller passer quelque temps chez des collègues, pour soit des recherches soit pour affiner un cours.
En outre, plusieurs accords ont été signés dans l’intervalle ou sont en passe de l’être. Parmi les plus pertinents, notons :
La Convention avec l’Université de Porto-Rico pour la formation de formateurs et la réalisation de recherches communes ;
La Convention avec l’Université Laval (et impliquant également le Ministère de la Culture) pour un vaste projet de recherche sur la conservation et la valorisation du patrimoine culturel national, y compris des savoirs locaux
La Convention avec le Centre National des Arts et Métiers de France qui prévoit la formation technique et professionnelle de près de 400 jeunes environ. Je vous donne une primeur : L’UEH a décidé de décentraliser cette formation le plus que possible. Elle va en profiter pour être présente dans les dix départements géographiques du pays ;
La Convention avec « Bibliothèques Sans Frontières » en voie de finalisation pour l’initialisation d’une bibliothèque centrale sur notre nouveau campus et le renforcement substantiel des travaux déjà entrepris sur notre bibliothèque virtuelle.
Le Mémorandum d’Entente avec la Florida International University sur un vaste programme de collaboration académique et administrative.
Il faut également insister sur l’apport de notre diaspora. Ce sont des compatriotes vivant à l’étranger (les ingénieurs Marie-Elsie Dowell, Ronald Colas, Dr Margareth Charles… entre autres) qui, avec l’aide d’une commission d’ingénieurs, architectes, géologues de la Faculté des Sciences, nous ont aidés à élaborer l’avant- projet de notre nouveau campus.
Récemment, nous avons réalisé un important atelier de travail qui nous permet déjà d’avancer dans le cadrage du pole des sciences pures et appliquées et dans la constitution de ce pole. L’implication de compatriotes de la diaspora (Drs Guerda Massillon, Chantale Damas, Roger Dorsinville, jr, etc.) y était substantielle et a permis de contempler d’autres pistes intéressantes et substantielles de collaboration
Notons également les bourses offertes par l’UWI, les universités françaises, canadiennes, américaines, l’Université de Porto-Rico, l’Université de Genève, l’Université Nationale de Varsovie, etc.
Il ne faut pas croire que dans cette mouvance, nous ne sommes que demandeur. Pour la plupart des universités du monde, Haïti est devenu un vaste laboratoire de recherche, un espace idéal de production de savoirs dans la plupart des champs de connaissance (économique, social, culturel, politique). Des chercheurs des plus grandes universités du monde débarquent chez nous, désireux de comprendre ce phénomène qui s’appelle Haiti, particulièrement les causes, les conséquences, les implications de cette catastrophe majeure, unique dans l’histoire récente de l’humanité. Pour un chercheur, pour une université, une meilleure connaissance de ce pays meurtri constitue une occasion de produire des savoirs nouveaux, de réaliser d’intéressantes publications et d’engranger un indéniable prestige. Ainsi dans le cadre de ces coopérations, notre apport en tant qu’université c’est la capacité que nous offrons aux collègues du monde entier d’enrichir le stock de savoirs de l’humanité sur les catastrophes, dans leurs aspects naturel et social tout en renforçant nos capacités et nos structures.
Apr - Y a-t-il un plan qui vise le long terme ?
FD - Notre prémisse est simple : Il nous faut reconstruire mais sur de nouvelles bases. Nous ne pouvons nous atteler à remettre les bâtiments effondrés dans l’état où ils se trouvaient avant le 12 janvier. Il y a tellement longtemps que nous nous plaignons de la dispersion de nos facultés, lesquelles fonctionnaient beaucoup plus comme des entités autonomes ou même indépendantes que comme des membres à part entière d’une communauté universitaire, avec toutes les difficultés et tous les gaspillages que l’on connaît en termes administratifs, financiers, académiques. Il ya tellement longtemps que nous réclamons un véritable campus universitaire pour loger une véritable université Pour toutes ces raisons, la CUEH a voté le 5 février dernier une résolution demandant au conseil Exécutif de reloger les facultés de l’UEH et de les regrouper selon 3 pôles disciplinaires :
• Le pôle des Sciences Humaines et Sociales
• Le pôle des Sciences médicales
• Le pôle des Sciences Linguistiques et Appliquées
C’est là qu’entre en jeu Damien. Étant donné que c’est à Damiens que nous disposons d’une substantielle portion de terrain destiné depuis plus de 10 ans a la construction d’un campus universitaire, nous n’avons donc pas le choix.
Il faut préciser qu’il s’agit d’un projet de long terme.
Beaucoup de démarches ont déjà été entreprises : Identification du site approprié, étude de sol, plan de distribution de l’espace, plan d’électricité ; estimation des couts de construction et d’aménagement. Aujourd’hui nous disposons déjà d’un projet (un « proposal » comme disent les américains) pour lequel nous cherchons le financement approprié. Nous pouvons dire que des 60 carreaux de terre constituant la concession à l’UEH, nous avons pu « sécuriser » 30 hectares sur lesquels s’élèvera le campus de Port-au-Prince de l’UEH. Y sont déjà identifiés les espaces devant être attribués aux différents pôles thématiques susmentionnés, aux Programmes de Maitrise en attendant les Ecoles Doctorales, à l’administration centrale, aux services généraux, à la bibliothèque centrale, aux Editions de l’UEH, à la librairie de l’UEH, aux résidences d’étudiants et de professeurs, aux sports, aux loisirs…
Nous allons lancer bientôt les travaux de terrassement et de clôture à partir d’un fonds spécial d’investissement de 3 millions de dollars mis à notre disposition par l’Etat Haïtien avant le séisme.
Pour le cout estimé, pour le nombre d’étudiants envisagés (25 000), pour la durée de vie des immeubles (40-50 ans), pour le type d’énergie à utiliser (propre et renouvelable dans une large mesure), pour la multitude d’activités contemplées, il ne peut s’agir que d’un projet de long terme.
D’autres campus sont également envisagés. Au moins deux autres dans un premier temps. Déjà nous disposons de terrains appropriés dans le Nord. Et le campus du Nord de l’UEH pourrait être une réalité plus vite qu’on ne croit, si les promesses à nous faites dans le cadre de la solidarité latino-américaine se concrétisent. Dans le Sud, le processus d’acquisition de terrain est en bonne voie. En réalité, d’une façon ou d’une autre, nous voulons être présents dans les 10 départements géographiques du pays comme nous l’impose la Constitution de 1987 et « dans une perspective du développement régional », nous rappelle l’article 281. Et il y a de grandes possibilités que nous le soyons dès la prochaine année académique.
Pour le campus de Port-au-Prince, le coût de la construction est estimé à 85 millions de dollars. Et le volume d’investissements nécessaires pour les trois prochaines années avoisine 200 millions de dollars. Pourrons-nous disposer des ressources nécessaires ? Certains se demandent plutôt : cela vaut-il la peine ?
Quand on connait le rôle de l’enseignement supérieur ou de l’université dans une société, on se rendra compte qu’il s’agit de sommes plutôt modestes par rapport aux besoins, par rapport aux attentes. La formation de cadres et de dirigeants conscients et compétents, la compréhension et la maitrise de phénomènes naturels et sociaux, la promotion de la science, de la technologie , de l’innovation, la validation et la valorisation de savoirs réels mais méconnus ou méprisés, la négociation du mode d’insertion du pays dans la mondialisation, le progrès économique et social de la nation, tout cela passe par l’enseignement supérieur. D’ailleurs, « Les pays qui se développent à un rythme accéléré et harmonieux ont mené une politique de formation supérieure articulée autour des besoins de leur société et du monde » comme le rappelait le recteur Jean-Vernet Henry à l’occasion du 18 mai dernier.
Apr - L’an dernier un colloque avait été organisé sur la reforme universitaire, et avant le 12 janvier on parlait beaucoup de reforme au sein de l’UEH. Est-ce un sujet qui préoccupe encore le rectorat ?
FD - La réforme à l’UEH ? Elle est plus que jamais à l’ordre du jour. Elle s’impose même dans la conjoncture actuelle. Il existe un ensemble de paramètres qui la rendent encore plus urgente. Par exemple :
• Avant le 12 janvier, la Commission de Réforme devait élaborer un projet de réforme dont la mise en œuvre viendrait dans un second temps qu’on ne pouvait pas définir ;
• Avant le 12 janvier, l’on nourrissait beaucoup d’appréhensions sur la faisabilité de la dite réforme ;
o Parce que l’adhésion de la communauté n’était pas garantie ;
o Parce que le financement tant pour l’élaboration du projet que pour sa mise en œuvre paraissait plus difficile à obtenir.
Aujourd’hui, la force des choses nous oblige à ne penser qu’en termes de réforme même dans nos actions quotidiennes. Il y a :
• La nécessité d’aller sur un nouveau campus ;
• L’autorisation déjà obtenue de l’instance suprême de l’Université de regrouper les facultés par pôles disciplinaires.
• La nécessité de penser dans le feu de l’action à la gestion du campus, qui ne devrait pas fonctionner comme si les facultés étaient encore dispersées ;
• La nécessité de prendre en compte la fourniture de nouveaux services devant être pris en charge au niveau central : cafeteria centrale, résidences d’étudiants et de professeurs, bibliothèque centrale, etc.… ;
Dans le même temps apparaissent des opportunités de financement, de ressources, d’accompagnement, se rapportant tant à la conception qu’à la mise en œuvre. Bien entendu, cela ne veut pas dire que toutes les promesses seront honorées ou que l’adhésion au projet global n’est qu’une simple formalité.
Un exemple de la différence entre les deux moments : la décision du regroupement par pôle. Cette orientation majeure était sortie depuis janvier 2009 lors d’un atelier de travail organisé par la Commission de Réforme ; elle figure en bonne place dans le document de vision de ladite Commission (en voie de publication) mais rien ne garantissait qu’elle allait être adoptée par la communauté et par les instances compétentes.
Bien entendu, il faut rappeler que la Réforme n’est pas essentiellement physique ou géographique. Elle est académique, institutionnelle, territoriale, administrative.
Elle est dans les nouvelles relations que l’UEH doit entretenir avec la communauté, elle est dans le renouvellement de sa pertinence sociale, de sorte que les enseignements qu’elle dispense, les recherches qu’elle effectue, les services qu’elle offre, sa présence sur le territoire répondent beaucoup plus aux besoins de la société. Elle est dans les nouvelles relations à établir avec l’Etat, plus harmonieuses, plus fonctionnelles mais également avec le secteur privé, les communautés de base, la société civile.
Mais déjà, elle s’impose, ai-je dit. Dans les réflexions et les actions quotidiennes.
Le relogement sur seul campus ou le regroupement par pôle implique déjà de nouveaux cadres de fonctionnement sur tous les plans. Il y a les différents pôles à cadrer et à définir, les enseignements de base à identifier et à profiler, les nouvelles filières à instituer, les professeurs à fidéliser, à travers un plan de carrière et une grille salariale plus en rapport avec leur utilité sociale, le nouveau cadre institutionnel et réglementaire à définir, les organes de gouvernance à établir, les fonctions administratives à centraliser pour permettre aux Décanats de se concentrer sur leurs véritables missions académiques mais dans une perspective plus stratégique, etc. Ainsi en même temps que se construit le campus et qu’on se l’approprie, il faut penser à son fonctionnement. D’où la réduction drastique de la distance entre le projet de réforme et sa mise en œuvre.
Autant dire que la Commission de Réforme a du pain sur la planche. Précisons à ce sujet que cette commission qui avait organisé le colloque l’année dernière n’a jamais cessé ses travaux. Elle se fera plus visible à partir du mois prochain au cours duquel, elle soumettra à la communauté universitaire et aux secteurs concernés, pour discussion et validation, sa vision de la Reforme. Dans le même temps, des consultations auront déjà été entamé pour une assistance technique à l »élaboration d’un projet de Réforme.
A ce stade la vraie question n’est pas dans la nécessité ou l’urgence de la réforme, elle se situe plutôt dans la nécessaire harmonisation des actions du Conseil Exécutif et des réflexions de la Commission de Réforme pour que les dispositions qui s’imposent dans cette conjoncture post séisme et les opportunités qui s’offrent ne s’écartent pas d’un cadre stratégique global visant le moyen et les long terme, en d’autres termes ne jurent pas avec le travail de la Commission de Réforme dont le mandat est notamment de proposer les orientations fondamentales de la nouvelle Université d’E tat d’Haïti et de s’assurer que ces orientations rencontrent les vœux de la communauté nationale à travers ses divers secteurs concernés, c’est-a-dire , non seulement la communauté universitaire mais également la société civile, l’Etat, etc.…
Pour le dire d’une certaine façon, la Commission de Réforme dont la mission est essentiellement stratégique devrait se préoccuper de certains aspects pratiques tandis que le Conseil Exécutif, gestionnaire au jour le jour de l’Université, devrait augmenter sa capacité stratégique.
Conscientes de ces défis, les deux instances ont déjà convenu de se rencontrer plus souvent.
Apr - L’université avait ses problèmes avant le tremblement de terre. Je songe plus spécifiquement à la crise de la faculté de médecine. Une commission composée d’étudiants et de professeurs aurait été créée depuis et sera chargée de gérer les questions académiques et administratives. Comment se positionne le rectorat par rapport à cette commission ?
FD - La Crise à la FMP ?
Elle est en passe de trouver une solution heureuse et définitive. Les stages pratiques ont déjà repris depuis le mois d’avril et les cours d théoriques ont recommencé à partir du 19 mai prochain. Certes, le premier jour, il s’est produit un dérapage mais la situation semble avoir été vite maitrisée et les cours avaient pu reprendre des l’après-midi et continuent à se dispenser. Ce n’est plus cette situation de vive tension que l’on avait connue l’année dernière.
Il est vrai que le ton a été donné par l’assemblée générale des professeurs s de la FMP, le Conseil des Chefs de Département et le Décanat qui au lendemain du séisme ont décidé d’annuler l’essentiel des sanctions adoptées, dans un bel élan de grandeur d’âme et de dépassement.
La commission dont vous parlez n’est autre que la commission de suivi, qui figure depuis tantôt un an dans les propositions de sortie de crise. Elle est formée d’enseignants de la Faculté et sa mission est de rencontrer les représentants des étudiants pour se pencher sur les problèmes académiques et administratifs de la Faculté et proposer au Décanat des pistes de solution. Deux rencontres ont déjà eu lieu et une troisième a déjà été programmée.
Le Rectorat se réjouit de la mise en route de cette commission et du processus en cours qui semble s’acheminer vers une normalisation que souhaite tout le monde
Apr - Parlons de la participation de l’UEH aux Assises internationales de l’AUF qui se tiennent ce mois-ci à Montréal. Des attentes particulières ?
FD - Aux assises internationales de l’AUF a Montréal et à tous les fora internationaux auxquelles nous allons participer, notamment celles de Guadalajara au Mexique (31 mai-1er juin), nous allons exprimer nos besoins de tous types et voir quelles réponses nous pouvons obtenir.
Il y a d’abord les besoins liés à la reconstruction physique. Le campus de l’Ouest de l’UEH à Damiens devrait nécessiter environ 200 millions de dollars d’investissement sur les trois prochaines années. Ceux du Nord et du Sud 50 millions chacun. Il nous faudra des expertises en construction et aménagement de campus, en gestion de logistique universitaire. De la formation aussi en ces domaines pour nos cadres.
Un point très important dont on ne parle pas suffisamment et qui devrait se traduire d’abord par un appui financier spécial. C’est notre capacité d’augmenter de manière substantielle le nombre de nos professeurs à plein temps qualifiés. Dans cette conjoncture particulière, il nous faudra un appui spécial de 40 millions de dollars au moins pour les cinq prochaines années en attendant que l’Etat se reconstruise et dégage les ressources adéquates pour l’Université et que cette dernière, elle-même, par ses recherches, son expertise, renforce sa capacité d’autofinancement. Ce point est crucial si nous voulons garder et recruter des professeurs de niveau, y compris ceux que nous envoyons se former à l’étranger, si nous voulons nous lancer véritablement dans la recherche, développer une expertise, remplir nos obligations vis-à-vis de la communauté mais plus prosaïquement, encadrer nos étudiants, stabiliser l’Université, améliorer nos enseignements. C’est la base, qui conditionne le succès de toutes les actions que nous pouvons entreprendre. L’Université c’est d’abord des professeurs qualifiés et disponibles, pour l’enseignement, pour la recherche, pour les services à la communauté, pour le rayonnement institutionnel, pour la cooperation internationale. C’est-à-dire aussi décemment rémunérés, dans le cadre d’une grille salariale raisonnable, d’un plan de carrière motivant et de conditions générales de travail épanouissantes
Bien sûr, nous avons besoin d’appui pour la rénovation de nos programmes académiques, pour l’acquisition de matériel et d’équipement, de laboratoires, de bibliothèques, pour la formation et le perfectionnement de nos enseignants, pour la mise en place de nouvelles filières (académiques et professionnelles), pour la mise en place de programmes de deuxième et troisième cycle, pour le renforcement de nos structures administratives. Nous avons besoin de renforcer nos capacités en recherche, de mieux nous insérer dans des réseaux internationaux de recherche, d’opportunités pour mieux entrainer nos chercheurs, d’avoir des programmes communs de recherche avec nos partenaires.
Nous avons besoin de missions d’enseignement, de bourses de perfectionnement et de recherche.
Nous avons besoin de renforcer nos capacités d’enseignement à distance, de mieux raccorder nos étudiants, nos professeurs, notre personnel administratif au réseau universitaire mondial.
Nous avons besoin de nous rapprocher de notre diaspora, de pouvoir faire un pont fructueux entre nos immenses besoins d’enseignement supérieur et toutes ces capacités disposées à accompagner.
Ce sont autant de besoins que nous allons exprimer à Montréal, à Guadalajara et chaque fois que nous avons l’occasion de faire appel à la solidarité internationale.
Mais nous nous ne lasserons pas d’insister sur deux points fondamentaux qui conditionnent la réussite de tous les autres :
• L’espace de travail, nos campus ;
• Les ressources humaines, disponibles et compétentes.
Mais, se demanderait-on, quel intérêt auraient nos partenaires à nous épauler ? J’ai déjà indiqué combien, en ce moment particulier, nous sommes uniques pour la production d’un certain nombre de savoirs nouveaux qui constituent des mines précieuses pour des universités sœurs. Coopérer avec l’UEH et l’université haïtienne constitue pour ces dernières une garantie qu’à travers des projets de recherche communs, le renforcement des capacités de recherche et de formation, elles peuvent contribuer à faire reculer les limites de la connaissance et en tirer le prestige correspondant.
Par ailleurs, s’il existe un pays au monde à avoir droit à la solidarité internationale et qui puisse se prévaloir de dettes internationales éternelles contractées à son égard, il s’appelle bien Haïti. L’Amérique Latine qui entre maintenant dans la période de célébration du bicentenaire de ses indépendances en sait quelque chose. Les Etats-Unis avaient pu subitement doubler leur extension territoriale à la faveur de la Révolution Haïtienne d’il y a deux siècles et de la défaite des troupes napoléoniennes à St-Domingue, à travers le « Luisiana Purchase ». Sans parler de Savannah. Nous aurions pu citer également la Grèce, la République Dominicaine, la Caraïbe anglophone, etc.
Et puis, il faut rappeler que la France ne nous a pas encore restitué la Dette de l’Indépendance dont la valeur actuelle se chiffre en milliards d’euros.
C’est maintenant le moment idéal pour la manifestation de ce devoir de reconnaissance en faveur du pays dont les contributions morales, matérielles, conceptuelles à la libération et à la dignité de peuples et d’Etats de plusieurs continents ont été des plus remarquables. Et l’enseignement supérieur devrait constituer l’un des meilleurs réceptacles de cette solidarité internationale surtout si elle se veut digne de l’action désintéressée, généreuse, libératrice, des Haïtiens en faveur des opprimés d’alors.
[kft gp apr 04/06/2010 14 :00]
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
samedi 5 juin 2010
GRANDS DOSSIERS: HAITI UNIVERSITES
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