Je constatais impuissant les efforts de la défense haïtienne qui essayait de juguler la vague offensive des Italiens. Jean Joseph déployait toute la panoplie de ses qualités techniques pour calmer le jeu dans la zone, Wilner Nazaire utilisait tout son potentiel physique pour s'opposer à la puissance athlétique de ses adversaires. Sur l'aile, Bayonne et Pelao essayaient de colmater les brèches et Henry Francillon en état de grâce, réalisait des sorties extraordinaires et des plongeons acrobatiques afin d'empêcher le ballon de pénétrer dans les buts. Tom Pouce et Philippe Vorbe au milieu du terrain s'ingéniaient à temporiser le jeu. La première mi-temps s'acheva sur le score de 0-O. L'Italie débuta la 2eme mi-temps avec plus d'agressivité, visiblement vexée d'avoir été tenue en échec. Une passe de Chinaglia pour Rivera qui glisse le ballon pour Bonetti. Fachetti très avancé reçoit le ballon et sollicite Riva. Wilner Nazaire bien placé dévie le ballon de la tête vers Philippe Vorbe qui contrôle le ballon et d'une frappe sèche catapulte le ballon dans ma direction. Spinosi, le seul défenseur qui s'interposa entre moi et Dino Zoff, eut un moment d'hésitation pour me marquer ou essayer d'intercepter le ballon.
Je profitai de ce moment et comme une gazelle, j'entamai ma course. Surpris par mon accélération soudaine qui l'avait laissé derrière moi, Spinosi essaya de me retenir en s'agrippant à mon maillot. D'un coup de coude, je dégageai sa main et balle au pied, je me présente dans la surface de réparation face à Dino Zoff et au destin. Réalisant que le portier italien était sorti de sa cage pou diminuer l'angle de tir. Ce mouvement aurait pu me forcer à shooter, mais j'étais maître de moi-même, les réflexes sous contrôle. En l'espace d'une seconde, j'ai revu mes duels contre les gardiens du stade Sylvio Cator. J'avais marqué tant de buts dans une position pareille. Comme un serpent hypnotisant sa proie, je fixais Dino Zoff dont le visage traduisait une frayeur certaine. Je feintai Ie tir, Zoff plongea dans la direction où il croyait pouvoir intercepter le ballon. En état d'apesanteur, mon corps s'incurva en un mouvement pendulaire de droite à gauche et de mon pied gauche, j'ai exécuté un crochet sec qui laissa mon vis-à-vis comme un pantin désarticulé, sa main droite labourant le sol. Dans un ultime effort, Zoff essaya de me déséquilibrer en retenant mon pied droit, mais j'avais déjà glissé le ballon dans les filets. Un but à la Manno Sanon que j'avais réalisé tant de fois, mais qui, cette fois, avait une saveur particulière car il consacrait l'effort non seulement d'une équipe, mais aussi d'un peuple, le peuple haïtïen qui à ce moment vibrait avec moi".
Extrait de l'ouvrage « Toup Pou Yo » de Manno Sanon paru en 1997
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