DUVALIER La face cachée de Papa Doc, tel est le titre du témoignage (avec une centaine de photos) qui paraît début novembre chez l’éditeur Mémoire d’encrier à Montréal, à l’occasion du centenaire de François DUVALIER (1907-2007) [1]. L’auteur de ce livre : Jean Florival. 77 ans, il connaît tout, ou presque du régime. Il vide sa mémoire, et livre un témoignage de toute importance sur François Duvalier, sur les principaux ténors de la dictature, et sur tout ce qu’il a vu, entendu et vécu.
Point de vue de l’éditeur et introduction de l’ouvrage
Soumis à AlterPresse le 2 novembre 2007
Spectateur et souffleur, Jean Florival est dans l’oeil du cyclone ; à l’intérieur du régime, sans un quelconque titre officiel. C’est en témoin privilégié qu’il plonge dans l’intimité du pouvoir, relate des faits jusque-là inconnus du grand public. Ce livre a le mérite d’exposer avec sérénité des événements tantôt tragiques, tantôt loufoques, dans le dessein de refuser l’oubli, et de mieux comprendre cette tyrannie qui a endeuillé les familles haïtiennes, afin de sortir du cercle de l’impunité et de la logique bourreau-victimes.
Découvrez les frasques d’un pouvoir qui fige depuis un demi-siècle l’histoire et l’imaginaire d’Haïti.
Selon le politologue Sauveur Pierre Etienne : « François Duvalier instaure en Haïti une dictature féroce, dont l’usage et l’ampleur de la violence font oublier tous les régimes autoritaires traditionnels et sanguinaires qui l’ont précédée. Jean Florival a réalisé le tour de force de présenter les multiples facettes de l’enfant terrible de l’occupation américaine et des classes moyennes. DUVALIER La face cachée de Papa Doc a le mérite de révéler des faits qu’un témoin privilégié se doit de partager avec ses concitoyens, afin de les aider à se ressaisir et à avoir le courage de se regarder objectivement, sans passion. »
Jean Florival, né en 1930 en Haïti, est journaliste. Il choisit l’exil en 1967 à New York et s’installe au Québec en 1973.
Introduction de l’ouvrage
Point de vue de l’éditeur et introduction de l’ouvrage
Soumis à AlterPresse le 2 novembre 2007
Spectateur et souffleur, Jean Florival est dans l’oeil du cyclone ; à l’intérieur du régime, sans un quelconque titre officiel. C’est en témoin privilégié qu’il plonge dans l’intimité du pouvoir, relate des faits jusque-là inconnus du grand public. Ce livre a le mérite d’exposer avec sérénité des événements tantôt tragiques, tantôt loufoques, dans le dessein de refuser l’oubli, et de mieux comprendre cette tyrannie qui a endeuillé les familles haïtiennes, afin de sortir du cercle de l’impunité et de la logique bourreau-victimes.
Découvrez les frasques d’un pouvoir qui fige depuis un demi-siècle l’histoire et l’imaginaire d’Haïti.
Selon le politologue Sauveur Pierre Etienne : « François Duvalier instaure en Haïti une dictature féroce, dont l’usage et l’ampleur de la violence font oublier tous les régimes autoritaires traditionnels et sanguinaires qui l’ont précédée. Jean Florival a réalisé le tour de force de présenter les multiples facettes de l’enfant terrible de l’occupation américaine et des classes moyennes. DUVALIER La face cachée de Papa Doc a le mérite de révéler des faits qu’un témoin privilégié se doit de partager avec ses concitoyens, afin de les aider à se ressaisir et à avoir le courage de se regarder objectivement, sans passion. »
Jean Florival, né en 1930 en Haïti, est journaliste. Il choisit l’exil en 1967 à New York et s’installe au Québec en 1973.
Introduction de l’ouvrage
DUVALIER La face cachée de Papa Doc
Le 22 septembre 1957, François Duvalier devient président de la République d’Haïti. Très peu d’observateurs, même avisés, peuvent prévoir que ce médecin et ethnologue instaurera dans le pays un régime politique dont la longévité – 29 ans – suscitera à la fois l’admiration de partisans zélés et la haine d’opposants farouches. L’expression quelque peu triste et affable de son visage de myope, le ton pathétique de ses discours de campagne pour dénoncer les injustices et les travers de la société haïtienne, laissent l’impression d’un leader austère et rigoureux animé des meilleures intentions en vue des changements nécessaires. Mais pour certains, François Duvalier demeure tout simplement le produit d’un contexte explosif qui donnera naissance à un pouvoir sans bornes.
À ce propos, écoutons-le, dans une envolée oratoire à l’adresse de ses miliciens rassemblés massivement dans la cour du Palais national le 6 avril 1964 :
Les miliciens doivent être ce qu’ils sont, c’est-à-dire toujours prêts à faire le coup de feu, parce que c’est ce qui me plaît. C’est peut-être un peu drôle d’entendre un homme qui a passé toute sa vie penché sur les travaux avec son frère Lorimer Denis, que ce soit dans le domaine de la médecine, de l’ethnologie, du folklore, mais l’homme a un autre aspect en lui, et à partir du jour où j’ai décidé d’accepter le diktat du peuple, l’homme est devenu un autre homme : il est aussi sauvage que vous, ayant la même flamme pour épauler le fusil quand il le faudra [2].
Le professeur Daniel Fignolé, ancien président provisoire (25 mai-14 juin 1957), compagnon de lutte, ami et compère de François Duvalier, l’a bien connu. Après tout, il a fondé avec lui le Mouvement ouvrier paysan (MOP) à la chute du président Élie Lescot, le 11 janvier 1946. Donc, il ne saurait guère ignorer les penchants dictatoriaux et l’opportunisme politique du partenaire d’hier, qui claquera la porte du Parti pour accepter le portefeuille du Travail sous le gouvernement Estimé. On comprend que, durant la campagne électorale de 1957, Fignolé attaque Duvalier au vitriol, mettant le pays en garde contre le rival exécré. Il prévient quotidiennement en continu à la radio que si François Duvalier devait être élu, il utiliserait toute une panoplie d’artifices pour s’accrocher au pouvoir. A-t-il tort ?
Clément Barbot, autre ancien compagnon de lutte et confident de longue date de Duvalier, traité d’ailleurs en alter ego au début du règne de Papa Doc, partage l’opinion du professeur Fignolé. Cependant, contrairement à ce dernier, c’est lui qui aidera Duvalier à instaurer en Haïti l’ère terrifiante de la Pax duvalierista. Ils se complètent à cet égard. Sauf que, pour son malheur, Clément Barbot a surestimé sa toute-puissance, sous-estimé imprudemment la force de dissimulation de François Duvalier. Il le paiera de sa vie.
L’image de gravité et de timidité apparente que Duvalier offre se veut rassurante : taille moyenne, tenue sombre en toute saison, nœud papillon noir à la Louis Borno – ancien président d’Haïti sous l’occupation américaine, du 15 mai 1922 au 15 mai 1930 –, lunettes épaisses à monture d’écailles d’intellectuel (à l’époque), voix lente, nasillarde, regard hypnotiseur de charmeur de serpents. C’est ainsi qu’il entend entrer dans sa légende, qu’il se prépare à jouer le « rôle historique » qui l’appelle, qu’il veut bâtir le mythe de « défenseur des opprimés », qui lui vaudra d’exercer cette fascination indéniable sur tant de gens.
De ceci, Duvalier est sûr : coûte que coûte, il accédera au pouvoir. N’a-t-il pas plus tard, du balcon de son bureau, déclaré lors d’une démonstration de force au Champ de Mars et dans la cour du Palais national qu’il se savait voué à un destin exceptionnel ? Et il expliquera, le plus sérieusement du monde, que le Dr Louis Hyppolite, lisant un jour les lignes de sa main, lui a prédit qu’il serait président d’Haïti. « Et je le suis en effet, n’est-ce pas ? », a-t-il ajouté.
Alors il se fait connaître, s’organise méthodiquement. Fort de son passage à l’Institut d’ethnologie où il rencontre d’éminents professeurs – en particulier, le Dr Jean Price-Mars, auteur, entre autres, du livre culte Ainsi parla l’oncle –, il s’implique dans les milieux intellectuels, dits « indigénistes », publie des articles engagés dans la presse, rédige des ouvrages de la même veine. Celui traitant du problème des classes sociales à travers l’histoire d’Haïti, reçoit un certain écho. Il l’écrit de concert avec son ami Lorimer Denis, décédé peu après sa victoire électorale en septembre 1957. Il lui fera des funérailles nationales. Le Dr Louis Hyppolite, son ancien professeur à la Faculté de médecine, a eu droit au même hommage posthume à sa mort en 1970.
Il multiplie ses contacts au sein de l’intelligentsia noire, avide également de pouvoir. Il recrute dans les rangs intermédiaires de la hiérarchie militaire les officiers noirs négligés au profit de leurs frères d’armes mulâtres de même grade, ceux-ci jouissant, selon eux, de faveurs de toutes sortes des gouvernements de Lescot et de Magloire. Ils sont amers, actifs, décidés. Ils jureront allégeance à Duvalier, le moment venu. Il laisse le haut commandement mulâtre minoritaire à Louis Déjoie, la base désorganisée, malléable à merci, à Daniel Fignolé.
Ne devrais-je pas mentionner également la campagne d’éradication du pian ? Financée par le gouvernement américain dans les années 1940, la coordination du projet lui est confiée. Ce qui le conduit par monts et par vaux. La connaissance du milieu rural lui procurera un grand capital de sympathie. C’est d’ailleurs dans le cadre dudit projet qu’il rencontrera France Saint-Victor, qui jouera un rôle marquant dans sa vie, davantage que tous autres collaborateurs et collaboratrices, incluant Hervé Boyer, Luckner Cambronne, Clémard Joseph Charles, Gérard Daumec, Clovis Désinor.
Le gouvernement de Paul Eugène Magloire battant de l’aile dans ses manœuvres inconstitutionnelles pour garder le pouvoir au terme de son mandat de six ans, François Duvalier opte pour la clandestinité, laissant le candidat Louis Déjoie, sénateur de la République protégé par l’immunité parlementaire, continuer ouvertement le travail de sape en cours. Mais la fidélité des officiers de la police lui étant acquise, il est toujours averti à temps, toutes les fois que le gouvernement est informé de sa planque du moment. Aussi change-t-il de cachette à son gré. Auréolé, d’après lui, du prestige de maquisard, il se sent alors prêt à livrer l’assaut final.
Les publications abondent sur François Duvalier. Certains auteurs ont tout simplement versé dans la caricature, projetant de l’homme le profil ubuesque du souverain médiocre. D’autres, délibérément hostiles à bon droit, ne retiennent que l’horreur d’une dictature qui aurait fauché des proches. Je range évidemment dans cette catégorie celles et ceux qui, contraints à l’exil, ont traîné à l’étranger une existence de parias, faite de privations et d’humiliations. D’éminents compatriotes parmi eux font partie de mon panthéon, certains étaient aussi des amis. Très jeune, je me suis nourri de leur savoir, de leur expérience et de leur connaissance du milieu sociopolitique.
Nul, sans complaisance excessive, ne saurait l’occulter : la dictature de Duvalier est une dictature sanglante. Cela admis, il revient aux historiens, penseurs et politologues, d’aller au fond des choses, de questionner le pouvoir duvaliérien et d’en dresser le bilan. Pour l’heure, ce n’est point mon propos de me muer en historien, en juge ou en redresseur de torts. À la faveur de mes relations mondaines et politiques et, surtout, grâce à mon métier de journaliste à l’époque, j’ai été un spectateur, un témoin privilégié de scènes bouleversantes. J’en rends compte ici, espérant que cet ouvrage contribuera à faire la différence entre les rumeurs et la réalité.
Je n’écris pas non plus une œuvre littéraire. Je raconte en somme tout ce dont je me souviens en marge d’une période angoissante, avec l’impression aujourd’hui que les mêmes erreurs se répètent, que l’après-Duvalier n’est qu’un duvaliérisme sans Duvalier. Cela, sans glisser sous le tapis des faits auxquels, volontairement ou involontairement, j’aurais été mêlé. J’ai fait de la politique en dilettante. Des figures de marque du régime sont encore des amis intimes. Des opposants notoires ont eu droit à mon respect et à ma haute considération. À mes risques et périls, j’ai établi avec eux des liens étroits, insouciant du danger encouru.
La face cachée de Papa Doc relate mes premiers pas dans cette ville de Port-au-Prince. J’y fais également mention de l’Affaire de Martissant, lié par un engagement vis-à-vis du président Magloire. Pour des motifs divers, j’ai retardé mon témoignage. Ce silence me pesait. Maintenant en fin de parcours, et quasiment revenu de presque tout, je voudrais lever un pan du voile, révéler en quelque sorte une face insoupçonnée du personnage multiple que fut François Duvalier, de même que la version authentique d’épisodes dramatiques et les motivations tragi-comiques qui y ont entraîné Papa Doc, souvent plus agi qu’agissant.
Je nourris l’espoir que l’on saura tirer des leçons de mon témoignage, afin que l’histoire ne soit une constante marche arrière.
Jean Florival DUVALIER La face cachée de Papa Doc ISBN : 978-2-923153-82-7 Pages : 296 Montréal, Mémoire d’encrier Prix : 29.95
[1] François Duvalier, né en 1907, médecin et ethnologue, règne en président à vie d’Haïti du 22 octobre 1957 au 21 avril 1971, date de sa mort. Son fils Jean-Claude, alors âgé de 19 ans, lui succède comme président à vie jusqu’au 7 février 1986. Pendant 29 ans, Papa Doc et Baby Doc édifient dans la première république noire des Amériques un empire obscurantiste qui plonge le pays dans la plus grande terreur. DUVALIER La face cachée de Papa Doc lève le voile sur cette tranche d’histoire. Révélations, intrigues, liaisons amoureuses, scènes de vie et de mort, portraits, paysages insolites, humour et sarcasme.
[2] François DUVALIER, Œuvres essentielles. La révolution au pouvoir (1962-1966), vol. lV, Port-au-Prince, Les Presses nationales d’Haïti, 1967, pp. 136-137.
Le 22 septembre 1957, François Duvalier devient président de la République d’Haïti. Très peu d’observateurs, même avisés, peuvent prévoir que ce médecin et ethnologue instaurera dans le pays un régime politique dont la longévité – 29 ans – suscitera à la fois l’admiration de partisans zélés et la haine d’opposants farouches. L’expression quelque peu triste et affable de son visage de myope, le ton pathétique de ses discours de campagne pour dénoncer les injustices et les travers de la société haïtienne, laissent l’impression d’un leader austère et rigoureux animé des meilleures intentions en vue des changements nécessaires. Mais pour certains, François Duvalier demeure tout simplement le produit d’un contexte explosif qui donnera naissance à un pouvoir sans bornes.
À ce propos, écoutons-le, dans une envolée oratoire à l’adresse de ses miliciens rassemblés massivement dans la cour du Palais national le 6 avril 1964 :
Les miliciens doivent être ce qu’ils sont, c’est-à-dire toujours prêts à faire le coup de feu, parce que c’est ce qui me plaît. C’est peut-être un peu drôle d’entendre un homme qui a passé toute sa vie penché sur les travaux avec son frère Lorimer Denis, que ce soit dans le domaine de la médecine, de l’ethnologie, du folklore, mais l’homme a un autre aspect en lui, et à partir du jour où j’ai décidé d’accepter le diktat du peuple, l’homme est devenu un autre homme : il est aussi sauvage que vous, ayant la même flamme pour épauler le fusil quand il le faudra [2].
Le professeur Daniel Fignolé, ancien président provisoire (25 mai-14 juin 1957), compagnon de lutte, ami et compère de François Duvalier, l’a bien connu. Après tout, il a fondé avec lui le Mouvement ouvrier paysan (MOP) à la chute du président Élie Lescot, le 11 janvier 1946. Donc, il ne saurait guère ignorer les penchants dictatoriaux et l’opportunisme politique du partenaire d’hier, qui claquera la porte du Parti pour accepter le portefeuille du Travail sous le gouvernement Estimé. On comprend que, durant la campagne électorale de 1957, Fignolé attaque Duvalier au vitriol, mettant le pays en garde contre le rival exécré. Il prévient quotidiennement en continu à la radio que si François Duvalier devait être élu, il utiliserait toute une panoplie d’artifices pour s’accrocher au pouvoir. A-t-il tort ?
Clément Barbot, autre ancien compagnon de lutte et confident de longue date de Duvalier, traité d’ailleurs en alter ego au début du règne de Papa Doc, partage l’opinion du professeur Fignolé. Cependant, contrairement à ce dernier, c’est lui qui aidera Duvalier à instaurer en Haïti l’ère terrifiante de la Pax duvalierista. Ils se complètent à cet égard. Sauf que, pour son malheur, Clément Barbot a surestimé sa toute-puissance, sous-estimé imprudemment la force de dissimulation de François Duvalier. Il le paiera de sa vie.
L’image de gravité et de timidité apparente que Duvalier offre se veut rassurante : taille moyenne, tenue sombre en toute saison, nœud papillon noir à la Louis Borno – ancien président d’Haïti sous l’occupation américaine, du 15 mai 1922 au 15 mai 1930 –, lunettes épaisses à monture d’écailles d’intellectuel (à l’époque), voix lente, nasillarde, regard hypnotiseur de charmeur de serpents. C’est ainsi qu’il entend entrer dans sa légende, qu’il se prépare à jouer le « rôle historique » qui l’appelle, qu’il veut bâtir le mythe de « défenseur des opprimés », qui lui vaudra d’exercer cette fascination indéniable sur tant de gens.
De ceci, Duvalier est sûr : coûte que coûte, il accédera au pouvoir. N’a-t-il pas plus tard, du balcon de son bureau, déclaré lors d’une démonstration de force au Champ de Mars et dans la cour du Palais national qu’il se savait voué à un destin exceptionnel ? Et il expliquera, le plus sérieusement du monde, que le Dr Louis Hyppolite, lisant un jour les lignes de sa main, lui a prédit qu’il serait président d’Haïti. « Et je le suis en effet, n’est-ce pas ? », a-t-il ajouté.
Alors il se fait connaître, s’organise méthodiquement. Fort de son passage à l’Institut d’ethnologie où il rencontre d’éminents professeurs – en particulier, le Dr Jean Price-Mars, auteur, entre autres, du livre culte Ainsi parla l’oncle –, il s’implique dans les milieux intellectuels, dits « indigénistes », publie des articles engagés dans la presse, rédige des ouvrages de la même veine. Celui traitant du problème des classes sociales à travers l’histoire d’Haïti, reçoit un certain écho. Il l’écrit de concert avec son ami Lorimer Denis, décédé peu après sa victoire électorale en septembre 1957. Il lui fera des funérailles nationales. Le Dr Louis Hyppolite, son ancien professeur à la Faculté de médecine, a eu droit au même hommage posthume à sa mort en 1970.
Il multiplie ses contacts au sein de l’intelligentsia noire, avide également de pouvoir. Il recrute dans les rangs intermédiaires de la hiérarchie militaire les officiers noirs négligés au profit de leurs frères d’armes mulâtres de même grade, ceux-ci jouissant, selon eux, de faveurs de toutes sortes des gouvernements de Lescot et de Magloire. Ils sont amers, actifs, décidés. Ils jureront allégeance à Duvalier, le moment venu. Il laisse le haut commandement mulâtre minoritaire à Louis Déjoie, la base désorganisée, malléable à merci, à Daniel Fignolé.
Ne devrais-je pas mentionner également la campagne d’éradication du pian ? Financée par le gouvernement américain dans les années 1940, la coordination du projet lui est confiée. Ce qui le conduit par monts et par vaux. La connaissance du milieu rural lui procurera un grand capital de sympathie. C’est d’ailleurs dans le cadre dudit projet qu’il rencontrera France Saint-Victor, qui jouera un rôle marquant dans sa vie, davantage que tous autres collaborateurs et collaboratrices, incluant Hervé Boyer, Luckner Cambronne, Clémard Joseph Charles, Gérard Daumec, Clovis Désinor.
Le gouvernement de Paul Eugène Magloire battant de l’aile dans ses manœuvres inconstitutionnelles pour garder le pouvoir au terme de son mandat de six ans, François Duvalier opte pour la clandestinité, laissant le candidat Louis Déjoie, sénateur de la République protégé par l’immunité parlementaire, continuer ouvertement le travail de sape en cours. Mais la fidélité des officiers de la police lui étant acquise, il est toujours averti à temps, toutes les fois que le gouvernement est informé de sa planque du moment. Aussi change-t-il de cachette à son gré. Auréolé, d’après lui, du prestige de maquisard, il se sent alors prêt à livrer l’assaut final.
Les publications abondent sur François Duvalier. Certains auteurs ont tout simplement versé dans la caricature, projetant de l’homme le profil ubuesque du souverain médiocre. D’autres, délibérément hostiles à bon droit, ne retiennent que l’horreur d’une dictature qui aurait fauché des proches. Je range évidemment dans cette catégorie celles et ceux qui, contraints à l’exil, ont traîné à l’étranger une existence de parias, faite de privations et d’humiliations. D’éminents compatriotes parmi eux font partie de mon panthéon, certains étaient aussi des amis. Très jeune, je me suis nourri de leur savoir, de leur expérience et de leur connaissance du milieu sociopolitique.
Nul, sans complaisance excessive, ne saurait l’occulter : la dictature de Duvalier est une dictature sanglante. Cela admis, il revient aux historiens, penseurs et politologues, d’aller au fond des choses, de questionner le pouvoir duvaliérien et d’en dresser le bilan. Pour l’heure, ce n’est point mon propos de me muer en historien, en juge ou en redresseur de torts. À la faveur de mes relations mondaines et politiques et, surtout, grâce à mon métier de journaliste à l’époque, j’ai été un spectateur, un témoin privilégié de scènes bouleversantes. J’en rends compte ici, espérant que cet ouvrage contribuera à faire la différence entre les rumeurs et la réalité.
Je n’écris pas non plus une œuvre littéraire. Je raconte en somme tout ce dont je me souviens en marge d’une période angoissante, avec l’impression aujourd’hui que les mêmes erreurs se répètent, que l’après-Duvalier n’est qu’un duvaliérisme sans Duvalier. Cela, sans glisser sous le tapis des faits auxquels, volontairement ou involontairement, j’aurais été mêlé. J’ai fait de la politique en dilettante. Des figures de marque du régime sont encore des amis intimes. Des opposants notoires ont eu droit à mon respect et à ma haute considération. À mes risques et périls, j’ai établi avec eux des liens étroits, insouciant du danger encouru.
La face cachée de Papa Doc relate mes premiers pas dans cette ville de Port-au-Prince. J’y fais également mention de l’Affaire de Martissant, lié par un engagement vis-à-vis du président Magloire. Pour des motifs divers, j’ai retardé mon témoignage. Ce silence me pesait. Maintenant en fin de parcours, et quasiment revenu de presque tout, je voudrais lever un pan du voile, révéler en quelque sorte une face insoupçonnée du personnage multiple que fut François Duvalier, de même que la version authentique d’épisodes dramatiques et les motivations tragi-comiques qui y ont entraîné Papa Doc, souvent plus agi qu’agissant.
Je nourris l’espoir que l’on saura tirer des leçons de mon témoignage, afin que l’histoire ne soit une constante marche arrière.
Jean Florival DUVALIER La face cachée de Papa Doc ISBN : 978-2-923153-82-7 Pages : 296 Montréal, Mémoire d’encrier Prix : 29.95
[1] François Duvalier, né en 1907, médecin et ethnologue, règne en président à vie d’Haïti du 22 octobre 1957 au 21 avril 1971, date de sa mort. Son fils Jean-Claude, alors âgé de 19 ans, lui succède comme président à vie jusqu’au 7 février 1986. Pendant 29 ans, Papa Doc et Baby Doc édifient dans la première république noire des Amériques un empire obscurantiste qui plonge le pays dans la plus grande terreur. DUVALIER La face cachée de Papa Doc lève le voile sur cette tranche d’histoire. Révélations, intrigues, liaisons amoureuses, scènes de vie et de mort, portraits, paysages insolites, humour et sarcasme.
[2] François DUVALIER, Œuvres essentielles. La révolution au pouvoir (1962-1966), vol. lV, Port-au-Prince, Les Presses nationales d’Haïti, 1967, pp. 136-137.
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