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lundi 22 octobre 2007

Du merilan à... la Mérilance


Par Claude C. Pierre

La Mérilance, oeuvre sans concession, propose sous format microfilmique un dévoilement tout en nuances, à partir d'un néologisme surgi à force d'observations de la plume acérée d'un témoin avisé. De merilan, sans accent sur le (e), mot d'origine haïtienne, d'obscure provenance populaire, est né, en effet, Mérilance: un substantif imaginé, inventé et francisé par l'homme de lettres et historien Willem Roméus. Ce créateur s'est saisi du mot créole connu, merilan attrapé dans le havresac de la sagesse populaire et en a fait son bien. Par la magie de la publication, le néologisme est devenu un bien commun partagé avec de nombreux lecteurs éventuels.

Dans son acception originelle de déchet/rejet, ce mot récupéré et mis en honneur se voit ainsi objet d'une splendide métamorphose. En fait, la sonorité établie de merilan, vocable du terroir, est, par le travail de l'homme de plume, devenue mérilance par transfert de langue, récupération et enrichissement phonétique. Dans le parler populaire du petit négoce saisonnier, le merilan exprime un état, une tare dont la mérilance constitue une catégorie ; et, dans l'intention de l'auteur, on peut y lire : espèce caractérisant une déchéance sociale, mettant en évidence une situation de médiocrité attestée, de médiocratie établie d'un état de choses qui ne dit pas son nom. Mérilance, produit linguistiquement dérivé, conservant sa couleur locale, typiquement du cru haïtien et venue tout droit de merilan : mangue ordinaire lotée en piles à même le sol.
Si le mot merilan, entre autres instrumentations, peut être considéré comme l'arme au bout de la langue du petit acheteur futé pour négocier une marchandise offrant peu d'attraits, il désigne, par effet dénotatif , rebuts et autres denrées blettes, au bord de la pourriture. À remarquer que la frange occidentalisée de la société n'ayant pas saisi toute l'opulence sémantique du mot ne lui avait jamais donné droit de cité dans le champ sémantique. Lui faisant la part belle, Willem Roméus, à la faveur d'un glissement de sens, en use comme arme de correction pour stigmatiser dans le menu nos défauts sociaux qui perdurent... à la limite de l'affaissement. Mûr à crever, décomposition avancée.La différence va au-delà de la forme, et Willem Roméus, passé maître dans l'art de dire, a coulé le vocable dans la dynamique de son propre langage.
La Mérilance donc, un livre de 125 pages ; ni roman, ni récit mais pensées, ni sentences, ni aphorismes, ni saillies mais propos lapidaire, bouillonnement intérieur, expression sans polissonnerie d'un état d'esprit lancé comme un jet se bousculant dans les méandres d'une langue totalement émancipée. Jusque-là, rien d'inédit, peut-être même rien de nouveau. Ce qui est surprenant toutefois, c'est la finesse de cette parole lapidaire, sans concession, sans compromis; le propos frondeur d'un observateur qui jette un regard froid sur la société. Ce témoin lucide et courageux ne recule point devant le péril de la dénonciation des défauts qui crèvent les yeux . C'est un franc-tireur qui fait mouche à tout coup. Pour atteindre son but, il utilise sa connaissance du milieu, sa maîtrise des langues française et créole, son engagement, sa sensibilité et son talent d'écrivain, sa science des mots pour nous porter à nous regarder en face, nous invitant à une plongée collective pour mieux nous scruter et découvrir nos travers ; ce, sans voie de sortie proposée, sinon les conséquences d'un accablant constat. Roméus s'appuie sur ses acquis comme historien ainsi que sur son savoir-faire d'enseignant pour nous inciter à nous regarder en face, dans notre tréfonds, nous initiant ainsi à une lecture neuve de la citoyenneté à bâtir ensemble, pourchassant les vieux démons.
Pour atteindre son but, il écrit en nous décrivant, nous photographiant. Il procède à notre radiographie, de l'intérieur, nous force à contempler notre propre portrait pas toujours beau, ni comme individus ni comme peuple, encore moins comme nation en mettant à nu nos tares, nos lâchetés, notre outrecuidance maladive.
Bien sûr, dans cette volée de bois vert sans concession, les politiciens en ont pour leur argent. Ils sont, plus souvent qu'à leur tour, épinglés et mis sur la sellette. Mais davantage encore que la valeur morale, les qualités littéraires évidentes de l'oeuvre lui assurent une longévité à bien des égards. Et, parce que touchant des vérités générales et des principes inviolables souvent bafoués ou foulés aux pieds par notre société délinquante et déliquescente, en déficit de courage et de vertu, j'ose déclarer que la leçon n'est ni vaine ni gratuite.
La Mérilance de Roméus use sans en abuser d'un certain goût de persiflage, voire d'ironie ; et par certains traits, il évoque parfois l'amertume rentrée et le détachement compatissant du philosophe Malebranche. Dans le contexte haïtien, plus que ces maîtres de l'ailleurs, la prose de Willem va au-delà de la lettre, l'esprit y prédomine. Sa parole s'inscrit dans le fait universel, une tranche des travers de l'homme et l'illustration de la bêtise haïtienne. Ce livre vaut son pesant d'or non seulement par sa valeur anhistorique dans la confusion des modes d'expression, mais encore par la gestion saine d'un propos à la fois léché et pleinement assumé.
Willem Roméus de la Mérilance... À quand la prochaine ? J'attends avec impatience de vous lire donc pour jouir du même bonheur de me divertir sans devoir reléguer mon intelligence aux vestiaires.
1. ROMEUS (Willem) , La MÉRILANCE, Fardin, 2007, Port-au-Prince, Haïti Pétion Ville 6 octobre 2007
Claude C. Pierre
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=49887&PubDate=2007-10-22

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