Par Jean-Marie Bourjolly
D’un voyage dans la Grand’Anse notre collaborateur est revenu la rage au cœur.
Désormeaux, 12 juillet 2007. D’ici, le regard porte loin ; on a une vue imprenable sur les collines en contrebas. Une épaisse fumée blanche s’élève simultanément d’une douzaine de sites. Vous avez deviné juste : des arbres viennent d’être abattus en grand nombre. La végétation est trouée ça et là par des carrés de terre brûlée à flanc de montagne. Les arbres coupés ne repousseront pas ; et la terre arable – la vie – s’en ira à vau-l’eau avec la prochaine averse.
J’ai le sentiment d’assister au naufrage prochain d’un bateau en train de faire eau…
La Grand’Anse : dernière réserve forestière et aquifère du pays, dit-on. Pour encore combien de temps ? Les Jérémiens se plaignent de l’assèchement progressif de leurs cours d’eau ; de fait, nous avons dû renoncer à nous baigner dans la rivière Roseaux, réduite à un filet d’eau les jours où il ne pleut pas. La désolation est si grande partout ailleurs qu’il est facile de se faire des illusions. D’ailleurs, je m’y suis laissé prendre jusqu’à ce que je parvienne ici, à cet endroit où s’amorce la descente vers l’autre versant de la montagne, en direction de Dame-Marie, de l’Ansed’Hainault et des Irois.
J’ai le sentiment d’assister au naufrage prochain d’un bateau en train de faire eau. Un bateau livré à lui-même. À Jérémie déjà, nous avions noté que des coupes à blanc étaient en cours à côté même dubureau départemental de l’Agri culture, c’est-à-dire, au nez et à la barbe des représentants des pouvoirs publics, si tant est que cette expression ait encore un sens.
Me voilà réduit à souhaiter, non pas la réfection, mais la disparition pure et simple de ces pistes qui nous tiennent lieu de routes.
Et que fait le gouvernement pendant que Rome brûle ? On présume qu’il a signé, le 10 juillet, comme prévu, le protocole de création du « corridor biologique de la Caraïbe » :
« une initiative sans précédent pour sauver la biodiversité en danger de la région » (Le Matin du 6 juillet 2007). « Paroles, paroles, paroles », chantait Dalida. Par ailleurs, Le Matin du 16 juillet, citant AlterPresse, nous apprendra que, le jour même où nous étions témoins de cette situation navrante, le Premier ministre procédait au lancement des travaux de construction de la route Port-Salut / Port-à-Piment: « Le Premier ministre haïtien a souligné les différentes potentialités qui existent dans cette partie du pays considérée comme « un diamant à l’état pur ». « Le département du Sud possède l’une des plus grandes réserves écologiques des Caraïbes : le Pic Macaya », a entre autres rappelé le Premier ministre. Est-il besoin de souligner à l’intention de ceux qui ont la responsabilité (je dis bien : la responsabilité, quitte à passer pour un naïf incurable) de diriger notre pays que la construction de routes ne peut qu’accélérer notre naufrage collectif si, parallèlement, aucun frein n’est mis au déboisement de ce qui reste de nos forêts ? Me voilà réduit à souhaiter, non pas la réfection, mais la disparition pure et simple de ces pistes qui nous tiennent lieu de routes. Car il est douteux que notre « diamant à l’état pur » résiste, malgré la dureté proverbiale du diamant, aux convoitises de tout poil que la rupture de son isolement ne manquerait pas de susciter, combinées à deux autres mandats gouvernementaux marqués par l’inaction et l’absence de vision.
Je descends de voiture la rage au cœur. Cette hémorragie de nos ressources non renouvelables ne s’explique même pas par des nécessités domestiques locales vu le nombre effarant de sacs de charbon de bois que nous avons vus au bord du chemin. En attente d’être évacués par camions ou par voiliers vers les grands centres du pays et même, paraît-il, vers l’étranger.
Pourquoi n’intervient-on pas ? Par manque d’argent ? Je me surprends à calculer mentalement le nombre de gardes forestiers (pour au moins stopper l’hémorragie avant que les dommages soient irrémédiables) que l’on pourrait payer pendant tout un mois avec la généreuse allocation de dépenses d’un haut fonctionnaire ou d’un ministre pour une seule journée de voyage à l’étranger. Une allocation forfaitaire si mes renseignements sont exacts, c’est-à-dire sans nécessité de produire un reçu pour les dépenses réellement effectuées, contrairement à la pratique en cours dans des pays riches comme la France, le Canada et les USA.
C’est quoi être ministre ?
Pourquoi rien n’est-il fait pour une exploitation rationnelle et globale de l’immense potentiel que possède encore cette région ? Absence de vision ? Incompétence ? Qu’attend-on ? La charité, s’il vous plaît ? Que la manne étrangère tombe une fois de plus dans notre sébile de mendiant ?
C’est quoi être ministre ? C’est quoi être ministre en Haïti ? Comment peut-on être ministre en Haïti et dormir chaque soir sur ses deux oreilles ?
mercredi 25 juillet 2007
Source Journal Le matin
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
mercredi 25 juillet 2007
Une question pertinente pour vous Messieurs lesministres haitiens:Comment peut-on être ministre en Haïti et dormir chaque soir sur ses deux oreilles ?
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